Pour sa deuxième mise en scène d’une pièce de l’Anglais Dennis Kelly, Chloé Dabert joue sur l’humour pour dresser le portrait au scalpel d’un damné du système capitaliste.
Ne vous fiez pas au titre de la pièce. Ni mares de sang, ni dépeçage en règle ne sont au programme de L’Abattage rituel de Gorge Mastromas. Revisitant le mythe de Faust cher à Goethe, le dramaturge anglais Dennis Kelly prend un malin plaisir à garder ses distances vis-à-vis de son sujet, pour nous proposer une pièce qui hésite entre le récit littéraire et les scènes dialoguées. Une manière de ne jamais oublier que nos existences sont comparables à des destinées de fourmis, au regard de l’immensité d’un univers si vaste et si froid qu’il pourrait geler “l’eau qui se trouve dans vos yeux en un instant”.
Loup solitaire
Dennis Kelly choisit le point de vue de l’entomologiste. Pour parler de la vie de son héros, il va jusqu’à commenter le moment de jouissance qui préside à sa conception ; il jubile à décrire le banal de son enfance et les désordres amoureux de sa vie, jusqu’au jour où, lors de son premier job, une diablesse d’aujourd’hui déclare ne se fier qu’à son jugement pour décider de la vie ou de la mort d’une entreprise. Ayant compris que l’empathie était une voie sans issue, Gorge Mastromas devient un loup solitaire qui ne peut que réussir dans la jungle capitaliste.
Prix Impatience 2014 pour sa mise en scène des Orphelins, écrit en 2009 par Dennis Kelly, Chloé Dabert relève avec talent le défi de monter le nouvel opus de son auteur fétiche, signé en 2013. Tracer son chemin dans ce labyrinthe de mots est une drôle d’aventure. Chaque morceau de vie de Gorge Mastromas est une énigme. L’âpreté du propos n’excluant pas d’en rire, Chloé Dabert et ses comédiens multiplient les apartés. C’est en jouant sur l’ironie et la force comique des provocations distillées par Dennis Kelly que la troupe révèle la misère sans lendemain de devenir un Howard Hughes contemporain..
L’Abattage rituel de Gorge Mastromas de Dennis Kelly, mise en scène Chloé Dabert, avec Bénédicte Cerutti, Gwenaëlle David, Marie-Armelle Deguy, Olivier Dupuy, Sébastien Eveno, Julien Honoré, Arthur Verret, du 19 avril au 14 mai, au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe