Ce vieux loup de mer qui a bourlingué de la scène punk française jusqu’à la Maison Ronde, fait vivre la playlist de France Inter, plébiscitée par les auditeurs. Son travail ? Façonner « l’architecture sonore » de la radio et défendre la musique indépendante.
Il voulait se faire appeler Raymond Poulidor. Parce que le coureur cycliste arrivait toujours en deuxième. « Comme la musique dans une émission« , se marre Djubaka. « Mais, Jean-Luc Hees, alors patron de France Inter m’a dit : ‘Tu ne peux pas prendre comme surnom, le nom d’un mec qui existe déjà !’ J’ai donc finalement choisi Djubaka, une sonorité proche de mon vrai prénom (qu’il tient à garder secret). »
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Djubaka, souvent rebaptisé « Djub », est aujourd’hui une institution à France Inter. Programmateur musical depuis 2001, il façonne la playlist de la chaîne, plébiscitée par les auditeurs comme l’a montré la grève de 2015. Au sein d’une équipe qui compte au total quatre programmateurs, il choisit avec soin les morceaux qui passent à l’antenne. Il a aussi sa propre chronique dans l’émission Si tu écoutes, j’annule tout.
Tatouages et voix de crooner
Tatoué jusqu’au crâne, voix de crooner et boucles d’oreilles, Djub est un enfant de la scène punk française. Son look tranche dans les couloirs de la Maison de la Radio. Il assure ne pas s’en soucier. « J’étais comme ça avant et si je me transforme, je suis malheureux. Dans ma vie, j’échange avec des gens de style très différents, je ne me limite pas à ça. »
Qui lui rend visite dans son bureau, pénètre dans une antre aux allures de tanière magique. Des CDs partout, des posters et des objets bizarres en tous genres (quelques plans furtifs existent dans le documentaire La Maison de la Radio de Nicolas Philibert).
Pourquoi avancer masqué et prendre un pseudo ? Juste parce que son nom est, comme il le dit, « imprononçable » et « réservé à la sécu ? » « Je suis surtout un grand amateur de sons, de musique, et aussi d’images. Le recours au pseudo est un hommage à mon attrait pour l’époque edo, période du Japon où les artistes prenaient parfois quatre, cinq noms sur une carrière. »
« Architecture sonore » de France Inter
Sur France Inter, il est en charge de ce qu’il appelle « l’architecture sonore« . Un travail que les auditeurs ne soupçonnent pas forcément et qui rappelle un jeu de composition picturale.
« Je vois tous les producteurs, tous ceux pour lesquels je vais diffuser de la musique. Je leur demande s’ils connaissent l’invité qu’ils vont recevoir. Je me renseigne sur des sujets pointus en rapport avec l’émission, je sais de quoi on va parler. Je m’intéresse aussi à la voix de l’invité, à son débit. Je m’intéresse à ce dont a besoin un producteur pour rentrer dans l’émission et avoir un dialogue avec un invité. »
Djubaka tisse des univers avec du jazz éthiopien, de l’afro-funk ou encore des standards de jazz américains. Il a choisi d’utiliser au maximum la carte du défricheur d’indépendants et de jeunes talents.
Pour cela, il puise dans la colossale discothèque de Radio France et fait aussi ses propres recherches. Depuis trois ans, il a pris le parti de ne plus aller qu’à des concerts où les entrées sont entre cinq et dix euros. Il évite les circuits des attachés de presse, des gens de métier. Une approche curieuse et physique de la musique, qu’il nourrit aussi avec des communautés locales, pendant ses voyages.
« En tant que grand fan de blues, je suis récemment allé à Chicago. Je voulais me faire un trajet pas trop touristique. Deux peintres m’ont indiqué des endroits où aller. Il y a des moments comme ça où tu vas voir un concert et où tu sais que tu es au bon endroit, au bon moment, à la bonne heure. En Afrique, j’ai aussi découvert des musiques, sur la plage, le soir en faisant la fête avec des gens. Même chose pour les musiques asiatiques, chinoises, balinaises ou d’Inde. »
« Enfant, j’ai volé plus de disques que de bombecs »
Cette passion de la musique, Djubaka la tient d’abord de ses parents. Jeune baroudeur viré de l’éducation nationale à 16 ans, il affirme venir d’une famille où il « n’y a jamais eu d’argent« , mais de « la débrouillardise pour se procurer la musique« .
« Mon grand-père était ouvrier spécialisé en mécanique de coffres-forts. Il allait sur les bases de l’OTAN qui étaient tenues par les Américains à la fin des années 1950. Il ramenait des 45 tours à mon père. Quant à ma grand-mère, elle a eu un plan pendant toute sa vie de salariée. Elle était technicienne dans une banque en face de l’Olympia. On payait les places pas cher du tout et j’allais à l’Olympia, au poulailler, voir des concerts. »
Shooté à France Inter, il ne se rappelle pas avoir écouté une autre radio quand il était enfant. À sept ans, il découvre le reggae sur la chaîne, avec un petit transistor qu’il allume la nuit. Il est fan de l’émission Bananas, consacrée aux musiques caribéennes. Dans un beau texte pour le festival de radio Longueur d’Ondes, il écrit même : « Enfant j’ai volé plus de disques que de bombecs (et pourtant j’aimais ça…). A la différence des ours gélifiés, je savais partager une chanson entendue la nuit précédente et qui avait hanté mon sommeil. J’essayais de convaincre les autres gamins de l’importance de ce morceau de trois minutes trente, c’était vital ce fut fatal… »
Pendant sa jeunesse, Djubaka découvre la scène punk française des années 1980 et le Do it Yourself, un mouvement artistique fondé sur l’action et l’autodétermination. Avec sa femme, ils deviennent tour à tour galeristes, puis journalistes pour divers magazines de musique et d’art. Jusqu’à ce que ça s’arrête et qu’il décide de se consacrer à la programmation musicale. « La presse a changé, je n’avais plus de rapport curieux avec les rédacteurs en chef, je n’avais plus d’émotions avec eux. J’ai donc décidé d’arrêter. »
Militant du service public
Son côté sulfureux ne contrarie pas son rôle de programmateur pour la radio généraliste. Au contraire. Djub est un fervent défenseur du service public. Il insiste sur la particularité de la chaîne :
« Ça ne m’aurait pas intéressé de le faire pour une radio privée où il y a un rapport d’argent avec les maisons de disques et la publicité. Là, j’ai un lieu où je peux m’exprimer, laisser une patte, amener un avis et contribuer à l’éclosion de gens, comme on pourrait le faire dans le cadre d’un festival. J’ai la chance de ne pouvoir juger que sur la qualité artistique. »
En plus, de son travail de programmateur, Djubaka est conseiller pour Hey!, une revue trimestrielle consacrée à l’art underground, qu’il a créée avec sa femme, Anne, en 2010. En 2014 et 2015, le couple est commissaire de l’exposition Tatoueurs, Tatoués, au musée du Quai Branly. Djubaka joue aussi de la scie musicale et mixe sur gramophones sous le nom de Mr Djub.
Ce vieux loup de mer aime l’art sous ses formes radicales. Mais il sait faire la part des choses : « Pratiquement tout ce que j’écoute chez moi est inécoutable à l’antenne. J’écoute du radical en world, en jazz, en punk, en rock… J’ai gardé une passion pour ce qui est difficile, ce qui demande un temps d’écoute un peu plus long. Je peux me réveiller avec de la noise. Mais je ne vais pas la programmer pour un 6/9 de France Inter !« .
*Hey! Galery Show #1 jusqu’au 22 avril à la Art Factory, 27, rue de Charonne 75011 Paris. L’exposition réunit les artistes promus par la revue Hey! Djubaka mixe à cette occasion sur gramophones lors de la GramoPhoZone, un mixe live contemporain, les 21 et 22 avril à 20h30.
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