Sur Netflix, Alejandro González Iñárritu signe une autofiction symboliste d’une lourdeur et d’une fatuité proprement sidérantes. Bon courage pour regarder jusqu’au bout.
Bardo n’a certes pas été directement produit par Netflix (qui l’a acheté en avril dernier), mais on peine à imaginer comment un tel film aurait pu exister sans le soutien de la plateforme. En effet, il semble en tous points satisfaire la ligne éditoriale et le cahier des charges en matière de grands projets d’auteur : durée interminable (2 h 54, et encore a-t-on échappé à 22 minutes qu’Iñárritu aurait retranchées après la Mostra), mise en scène opératique m’as-tu-vu, absence ostentatoire de toute espèce de garde-fou à la production.
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Iñárritu invente une forme outrancière et presque obscène du vieux cliché du “film personnel”, à travers le portrait kaléidoscopique d’un personnage dont il est à peu près clair qu’il est son alter ego, pour ne pas dire un support d’autofiction : un réalisateur mexicain couvert d’honneurs mais en proie à une sorte de crise personnelle, artistique et politique, qui revient dans son pays natal se confronter à son passé, ses démons, aux blessures de l’Histoire…
Un film détestable
La pesante “rêverie” qui en résulte ressemble à ce que pourrait nous proposer une intelligence artificielle à qui l’on aurait demandé de débiter au mètre des scènes de grand cinéma symboliste et réflexif : reconstitutions fantaisistes impliquant les conquistadors ou la guerre américano-mexicaine, caricatures grossièrement moralisantes du monde contemporain (la télévision est le royaume de l’hypocrisie et des sourires de surface, merci pour le scoop), séquences de “transe”…
Iñarritu semble en tous points convaincu de signer son Huit et demi ou son Miroir, mais il n’a clairement pas la poésie de Fellini ou de Tarkovski. Il est plutôt un agile faiseur par trop convaincu de la profondeur pourtant quasi-nulle de ses “visions”, d’un pompiérisme fat et d’un ringard terminal. Soporifique et dénué de structure, le film aurait pu ne pas être détestable en soi s’il s’était abstenu d’ajouter à la liste de ses défauts la vanité égotiste effarante qui semble en motiver chaque scène. Le seul point d’ancrage de ces trois heures, c’est le visage invariable de Silverio Gama, dans un numéro ridiculement surjoué d’honnête génie mal attifé, ostensiblement fatigué car passablement abattu par la médiocrité du monde qui l’environne, grossière figure de moralité dans laquelle Iñárritu ne se cache pas de se projeter.
Reste une question : à qui s’adresse un tel barnum surproduit ? Iñárritu semble ravi de nous montrer dans quelles proportions démesurées il peut travailler dans un néant total, et Netflix satisfait de s’afficher en grand mécène des arts et des projets non commerciaux. Mais il eût fallu quelque part une figure, celle d’un véritable producteur, pour dire à tout ce petit monde qu’un film doit avoir un autre objet que ces autocélébrations grotesques, et un destinataire qui semble avoir été clairement oublié en chemin : les spectateur·ices.
Bardo d’Alejandro González Iñárritu. Sur Netflix.
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