Du 7 au 11 décembre 2022 se tenaient les 44e Rencontres Trans Musicales de Rennes sous un soleil radieux. Retour sur une semaine de fête et de musique.
Les 44es Rencontres Trans Musicales de Rennes se seront donc déroulées dans un froid polaire, mais sous un ciel bleu californien. Mieux, la fête foraine et les odeurs de churros faisaient leur grand retour sur l’esplanade Charles-de-Gaulle qui fait face au Liberté, la salle de spectacle de la ville située à quelques encablures du centre, conférant au paysage des allures de pochette d’album des Bryan’s Magic Tears. On aura même l’occasion de voir les copains décaniller quelques conserves au stand de tirs au but, même si, chou blanc, on ne repartira pas avec le maillot de l’équipe de France.
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L’année dernière, on se souvient que, in extremis, la réunion annuelle des aficionados de musique venus des quatre coins du globe avait pu se tenir dans un contexte de stress lié au retour au pas de charge des restrictions sanitaires. Ce qui n’avait pas empêché de croiser quelques artistes éminents, au premier rang desquels Andrea Laszlo de Simone (pour un dernier round scénique avant de raccrocher les gants) et WU-LU, qui sortira quelques mois plus tard l’un des albums les plus explosifs de 2022.
Alors, quoi de neuf pour cette nouvelle édition ? De la création de Zaho De Sagazan, qui n’aura pas été notre tasse de thé, aux déambulations dans les halls du Parc Expo, sous les coups de butoir techno (Bambi), post-punk (Porchlight) ou complètement hybrides (le mini Korg mélangé aux instruments traditionnels du quintet Nana Benz du Togo), les Trans auront été fidèles à elles-mêmes. Récit.
Jour 1, jeudi 8 décembre
Nous voilà arrivé·es à Rennes, un jour après le déclenchement des hostilités dans la salle de l’UBU, où se sont croisé·es Ariel Tintar, Danielle Ponder, les Français de Société étrange – bercés dès le plus jeune âge par les langueurs kraut de Can – et Medline. Sur les coups de 16 h, un poil à la bourre, on retrouve Phat Dat sur la scène de l’Étage, au Liberté. On avait suivi de loin le parcours des Lyonnais, eux qui nous avaient interpellé avec le titre inaugural de leur premier EP, Culture Shock, paru en 2019. Le quartet compense sur scène un léger manque de charisme par une indéniable maîtrise du langage pop – guitare, basse, batterie, clavier –, merveilleusement retranscrit en concert. Leur premier album Flowers, sorti cette années chez Catapult et Another Record, convoque un large pan de sonorités groovy, en mêlant plages instrumentales exotica (Striking Second First), pop songs aux chœurs Beatles (The Mighty Sea) et arrangements malins. Une belle façon d’ouvrir une journée de festival.
Plus tard, on file à République pour choper la ligne C6, direction l’Air Libre, le théâtre de Rennes où se joue cinq soirs de suite la traditionnelle création des Trans. Cette année, c’est au tour de Zaho de Sagazan de s’y coller, après Lujipeka l’année dernière, Lous & the Yakuza avant lui, ou encore Jeanne Added, Fishbach, Aloïse Sauvage et un certain Stromae en 2010. Ces dernières années, l’influence de Stromae se fait justement un peu trop sentir sur la chanson francophone à notre goût, notamment sur la musique de Zaho de Sagazan, autrice-compositrice-interprète de 22 ans, indéniablement douée, voire surdouée. On ne réduira néanmoins pas le travail de la chanteuse à ces considérations filiales, celles-ci remontant d’ailleurs sans doute plus loin, jusqu’à Brel ou Barbara.
La création des Trans a toujours quelque chose de sacré, un décorum qui nous oblige, une sorte d’aura qui peut parfois brouiller les pistes critiques, surtout quand on rajoute à cela un emballement – parfois lacrymal – qui semble faire l’unanimité. On devine ce qu’il faut d’acharnement au travail pour monter, le plus souvent dans un temps record, un spectacle qui tient la route, avec un catalogue de chansons que l’on pourrait faire entrer dans une boîte d’allumettes (pour la plupart, les artistes qui s’y frottent n’ont pas encore sorti d’album).
Ainsi, formellement, la créa de Zaho de Sagazan ne souffre aucun reproche : la mise en scène est minimaliste (deux types perchés sur des plateaux surélevés tripatouillant des synthétiseurs modulaires luminescents comme dans un astronef / un piano côté cour / une chanteuse déambulant de cet espace comme dans un ballet de danse contemporaine / un éclairage soufflant le chaud et le froid glacial) et la voix de Zaho de Sagazan, sidérante de justesse d’un bout à l’autre. À ce titre, les morceaux joués au piano, près du micro, demeurent les plus saisissants, parce que les moins en prise avec une emphase exténuante pour nos oreilles.
Où est donc le problème ? Un peu partout ailleurs, et notamment dans le vertige que nous inflige l’idée que ce retour au réalisme nerveux, déclamé et autocentré dans la chanson francophone, amplifié par des roulages de “r” comme emportés par la foule, ne soit désormais et pour longtemps la nouvelle norme pour soigner les vivants. Rappelons, à toutes fins utiles, que la musique n’est pas toujours obligée d’être une catharsis.
Jour 2, vendredi 9 décembre
La nuit s’est jetée sur Rennes et, quand on sort du métro, nos phrases se condensent en fumée à travers les lèvres. On serre les poings dans nos poches. À 18 h, l’obscurité cogne déjà si fort que les néons clinquants d’une fête foraine noient la façade du Liberté, le complexe culturel rennais. Dans le brouhaha qui remplit l’intérieur, on monte l’escalier deux par deux pour atterrir à l’Étage, une salle transformée en carnaval par Hippie Hourrah. Déboulé de Montréal en chapeau et bottes de cow-boy, en long manteau noir dissimulant un superbe caleçon à paillettes et en collants opaques qui ne tarderont pas à tomber, le chanteur (Cédric Marinelli, pour les intimes) déballe sa voix éraillée sur des textes à la Dutronc, à qui ils ont piqué le titre d’une chanson de 1968 pour le nom du groupe. Les gars font mine de s’en foutre mais ils démarrent au quart de tour, les riffs à vif, déments et étirables, émis par des guitares sixties, psyché et mal élevées. Tout pour plaire.
La navette se met à vrombir et à secouer. On se croirait en colo, avec les monos bourrés et les gosses qui chahutent pour rien, le sourire en coin. Direction le Parc Expo, où de gigantesques entrepôts jalonnent les abords de Rennes. Le béton froid et les lumières bleues collent parfaitement à la peau de Porchlight, nouvelles tronches de Brighton. L’usine à post-punk fait encore des merveilles. En plissant les yeux, on jurerait voir Charlie Steen de Shame sur scène. Mais Porchlight s’en sort très bien sans recyclage, en inscrivant sur le papier glacé du punk d’après des sonorités bizarroïdes et obliques, qui finissent forcément dans la démence.
Après une excursion auprès d’Akira, DJ nantaise discrète et prodigieuse, on se faufile sous les boules disco qui constellent la scène de Şatellites, un groupe de Tel Aviv dont le formidable mélange de folk traditionnel turc et de rock psyché donne le sens de la fête. Avant de quitter le Parc Expo pour une virée nocturne dans les rues rennaises, on se laisse enlacer par le show vaporeux de QuinzeQuinze. Comme une messe qu’on murmure, le collectif s’unit autour de gestes minutieux et d’essais électro cassés par des voix solides ou caressés par des chœurs. Les promesses sont scellées.
Jour 3, samedi 10 décembre
C’est l’embourgeoisement. On renonce à la navette, et on chope un taxi pour nous rendre au Parc Expo. Dans le Hall 3, on rate de peu l’Australienne Grace Cummings, mais on est bien au rendez-vous pour Puuluup, duo improbable formé par Marko Veisson et Ramo Teder, deux Estoniens jouant une folk expérimentale sur un talharpa, une sorte de vielle à roue rudimentaire à quatre cordes, mêlée à des influences plus électronqiues. Avec Duo Ruut, qui ouvre toute la semaine à l’Aire Libre avant Zaho de Sagazan, Puuluup est le deuxième groupe venue d’Estonie de ces 44es rencontres Trans Musicales. Intéressant, mais on décale avant la fin, pour une petite séance de tabassage au Hall 9, le plus grand du site, où Bambi est en train de livrer un set techno tapageur. La DJ française et militante au sein de l’association Consentis, passée par la pratique apaisée du violon et la danse, a transformé la salle en rave intimiste, avec ses kicks et ses digressions trance.
Sur les coups de 00 h 30, on débarque en nombre au beau milieu du set de 79rs Gang, dans le Hall 8. Ambiance mardi gras – les colliers de perles en moins –, pour un set que ce bon vieux Dr. John, figure emblématique de La Nouvelle Orléans, n’aurait pas renié. Les “Black Indians” du gang célèbrent le blues en fanfare, la polyrythmie de transe, les guitares country-funk et le hip-hop. Un beau bordel bien groovy, pour une belle éjaculation de couleurs pimpantes (fallait voir ces costumes). Fin du set, nous voilà reparti·es déambuler dans le Parc Expo, avant de revenir sur nos pas, dans le Hall 8 – après un court passage Hall 3, le temps d’applaudir les Réunionnais Mouvman Alé –, pour voir à l’œuvre le quintet Nana Benz du Togo, avec ce mini-Korg hypnotique qui accompagne les incantations de la triplette de chanteuses de la formation togolaise. Sûrement l’un des meilleurs shows de la soirée.
Après s’être envoyé une bière, on passe Place des Fêtes, localisation ad hoc, investie les trois soirs par les punks en parka gris de Dalle Béton, qui ont la particularité de couler une plaque de béton à chaque représentation (avec une bétonnière, oui). Quelle idée ! La soirée est en passe de se terminer pour nous après un dernier passage Hall 9 où joue None Sounds, duo ouïghour établi à Barcelone et maîtres d’œuvre d’une techno aussi radicale que leurs prises de position politiques à l’encontre du pouvoir chinois.
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