Invité à se produire pour la soirée de clôture des Inrocks Festival, le groupe parisien assurera la première partie de Ride, à l’Élysée Montmartre. De quoi s’entretenir en amont avec sa tête pensante, Benjamin Dupont, et évoquer shoegaze, influences et réinvention.
L’association était évidente. Qui mieux que Bryan’s Magic Tears pour accompagner Ride, ces piliers du shoegaze anglais, attendus de pied ferme dimanche 18 décembre pour la clôture des Inrocks Festival, sur la scène de l’Élysée Montmartre, à l’occasion de la tournée du trentième anniversaire de Nowhere, album-monument d’un genre dont le regard n’a, semble-t-il, jamais dévié de ses pompes ni des pédales d’effets ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si la bande menée par le guitariste et chanteur Benjamin Dupont a su démontrer son habileté à s’affranchir des étiquettes, elle n’en demeure pas moins la digne héritière d’un rock tout aussi coincé entre la fin des années 1980 et le début des nineties, le crépuscule de l’adolescence et le petit matin synonyme de descente, où les riffs noisy franchissent un mur du son brumeux jusqu’à trahir les émotions. Du premier album éponyme de Bryan’s Magic Tears, paru en 2016, au récent Vaccum Sealed (2021), il suffit de piocher au hasard parmi la discographie des Parisien·nes pour se rendre compte que les influences ont bien été digérées. Ce dimanche, nul doute qu’elles sauront être plus que célébrées.
Au printemps 2017, vous faisiez la première partie de The Jesus and Mary Chain à l’Élysée Montmartre. Cinq ans plus tard, vous remettez ça avec Ride dans la même salle. Ça vous fait quoi d’être associé·es à ces noms, de partager la même scène ?
Benjamin Dupont – Je n’irais pas jusqu’à dire que nous sommes honorés, mais c’est chouette de pouvoir jouer avec des formations qui nous ont vachement influencés. C’est même assez gratifiant. On est donc plutôt contents et excités. Ride fait partie de mes influences, beaucoup moins si l’on compare à The Jesus and Mary Chain, mais il fait bien partie des dix groupes qui influencent ma musique.
Le son auquel Bryan’s Magic Tears nous a habitué·es depuis le premier album en 2016 n’a rien à voir avec Dame Blanche, ton ancien projet plus orienté garage à l’époque. Qu’est-ce qui t’a poussé à aller dans cette direction ?
Un achat de matériel en meilleur état. [rires] Je pense aussi qu’on avait peut-être cette ambition de jouer sur de plus grosses scènes et d’avoir un plus gros son, qui enveloppe un peu plus la tête, plutôt que d’avoir juste cet aspect cinglant du garage, même si on a toutefois gardé ce côté un peu destroy du son. Donc oui, je pense que notre ambition était d’envoyer plus de son dans la gueule des gens.
As-tu vu aussi un moyen de mettre davantage tes influences en avant ?
Quand on a monté Dame Blanche, c’était un truc entre amis. On n’était pas tous des musiciens aguerris et notre musique s’adaptait au niveau de chacun. Avec Bryan’s Magic Tears, c’était beaucoup moins le cas, ce qui m’a permis de revenir à des choses que j’écoutais depuis le début. Ça faisait très longtemps que j’écoutais de la musique de ce type, du shoegaze ou ce genre de choses. C’était donc l’occasion pour moi de coller un peu plus à mes influences et de les mettre un peu plus en œuvre. Après, avec Bryan’s Magic Tears, ça n’a jamais été une question de faire du copier-coller non plus, mais je pense qu’on pouvait mieux atteindre cette espèce de son supersonique en jouant à cinq musiciens, dont trois guitares, plutôt qu’avec Dame Blanche. Avant, c’était plus compliqué, il n’y avait même pas une vraie batterie, deux guitares un peu branques… [rires] C’était très très cool, mais c’est vrai qu’on ne pouvait pas faire exactement ce que je voulais. J’ai eu envie de passer à autre chose et cette autre chose est la musique que nous faisons aujourd’hui.
On ne peut pas dire que Bryan’s Magic Tears soit un groupe véritablement shoegaze, mais c’est un terme qui revient souvent pour décrire votre musique, sans doute en raison de ses guitares enveloppantes ou de sa mélancolie inhérente. Comment entretenez-vous ça ?
En fait, on ne l’entretient pas tellement. C’est assez naturel chez nous. C’est comme ce côté mélancolique, ce n’est jamais très réfléchi. Étant donné que c’est moi qui compose nos morceaux, j’apporte cette émotion au truc et c’est quelque chose qui vient très naturellement. La mélancolie est une composante qui sera toujours là, quel que soit le style de musique vers lequel nous nous dirigerons au final. Mais je ne la mets pas forcément en rapport avec le shoegaze, même si c’est sûr que ce style de musique s’y prête complètement. On nous colle cet adjectif alors que ce n’est pas du tout une volonté de notre part, ce sont simplement nos influences qui ressortent. Souvent, certes. D’ailleurs, c’est en train de s’étioler, parce qu’on se lasse assez vite dans le groupe. On a gardé quelque chose de mélancolique et cet aspect un peu nappe ou halluciné du shoegaze sur le dernier album, mais on a surtout essayé d’apporter de nouvelles choses. On a ouvert les portes et je pense que le prochain disque sera encore différent.
On entend clairement une évolution sur Vaccum Sealed, tant sur la production que sur les influences, qui peuvent aller des Smiths aux Happy Mondays ou à Primal Scream. Cette évolution est-elle aussi naturelle ou ressens-tu le besoin de te réinventer au fur et à mesure ?
C’est un mélange des deux. Quand on commence à se lasser de quelque chose, on va forcément, sciemment ou inconsciemment, se diriger vers un autre truc. En général, pour moi, ça passe par essayer d’écouter plus de nouvelles choses et, lorsque j’ai des influences qui me plaisent, je les refais maladroitement, ce qui produit quelque chose de nouveau. Ça a été le cas pour le dernier album où je me suis replongé un peu dans le truc de Manchester des années 1980-90. On peut entendre les influences, mais ça n’a rien à voir avec cette musique non plus. Je pense qu’il s’agit surtout de garder du plaisir dans la création et ce plaisir, on ne peut pas l’avoir quand on fait la même chose trois fois d’affilée.
Tu disais plus haut que The Jesus and Mary Chain et Ride faisaient partie de tes influences principales. Tous ces groupes partagent une certaine manière d’utiliser le son et de le traiter, ce qui fait que le côté immersif de leur musique s’apprécie autant sur disque que sur scène. Idem pour Bryan’s Magic Tears ?
Je dirais que c’est un groupe qui s’écoute autant sur scène, pour avoir une expérience particulière, que chez soi, avec un gros casque. L’expérience fonctionne aussi. Mais nous adorons incarner cette musique sur scène parce que c’est surtout le moment où nous sommes tous réunis, contrairement au studio, où je suis généralement seul ou entouré parfois d’un ou deux membres. Ce sont des moments qu’on aime alterner avec des périodes de création.
Gardes-tu en tête cette dimension scénique quand tu écris tes morceaux ou sont-ils adaptés pour le live après-coup ?
L’adaptation se fait dans tous les cas et c’est là que se trouve l’essence de Bryan’s Magic Tears. Je ne suis pas juste avec un backing band, chaque membre apporte sa façon de jouer. La notion de groupe s’installe parce que le groupe n’est pas simplement là pour exécuter un truc que j’ai enregistré en studio. Parfois, les morceaux sont quelque peu réarrangés pour être un peu plus pêchus sur scène, mais lorsque je compose, je pense aussi à ce que chaque membre pourrait faire ou apporter à l’ensemble. En gros, je ne vais pas faire de solo à la Jimi Hendrix sachant que mon guitariste n’aime pas ça. C’est un espèce de micmac un peu spécial.
Pour vous avoir vu en festival en pleine journée et dans des salles plus réduites à la nuit tombée, sur quel genre de scène préfères-tu jouer ?
Je n’aime pas forcément les grosses salles mais justement, le concert à l’Élysée Montmartre avec The Jesus and Mary Chain en 2017 était super. Cette salle a vraiment un super son, j’ai donc trop hâte d’y rejouer et je pense que ce sera cool. Mais le truc que je préfère, ce sont les clubs, du genre 400-500 personnes. J’aime qu’il y ait une proximité sonore avec le public, qu’il se prenne un peu le son des amplis.
Vous êtes allés jouer à Brighton, dans le cadre du festival Great Escape, en mai dernier. As-tu eu l’impression que le public anglais appréciait différemment votre musique ?
Les gens sont beaucoup plus réceptifs. Je ne peux pas comparer avec Paris, mais quand on tourne dans le reste de la France, il y a des villes où ça prend et d’autres où la musique que nous jouons n’est pas forcément parlante. Alors qu’en Angleterre, tu sais que toute cette musique qui nous a influencé et qu’on retranscrit fait partie de la culture, dans chaque strate de population. Ce n’est pas une musique obscure qu’ils n’ont jamais entendue. C’est assez agréable parce que tu sais, dès les premières notes, qu’ils ont capté. Après, tout le monde là-bas n’est pas fan de ce genre de musique, ce n’est pas ce que je veux dire, mais le public sait que tu n’es pas en train de faire un truc chelou qui sort de nulle part.
Récemment, vous avez participé, Lauriane Petit (bassiste et chanteuse de Bryan’s Magic Tears, ndlr), au dernier album de Bracco, qui vient tout juste de paraître chez Born Bad Records, votre label commun. Quels sont vos projets pour la suite ?
Le concert avec Ride à l’Élysée Montmartre sera un peu la date de fermeture de la grosse tournée qu’on a faite cette année. C’était assez intense et on est plutôt crevés, donc là, on va sans doute retourner en studio. On va essayer de mettre en place un calendrier pour la prochaine sortie. J’ai déjà bossé sur quelques morceaux.
Bryan’s Magic Tears, concert le 18 décembre aux Inrocks Festival à Paris (Élysée Montmartre), en première partie de Ride.
{"type":"Banniere-Basse"}