Après son lancement sur HBO en 2017, la série débarque sur TF1 ce 25 août 2020] La promesse lancée par Reese Witherspoon et Nicole Kidman, pendant la promotion de Big Little Lies, a été tenue. Le final a même enfoncé le clou, la mini-série de sept épisodes a été résolument “conçue contre le modèle majoritaire hollywoodien”.
Les deux comédiennes, qui sont à l’origine de la série, se sont tout de même tournées vers deux hommes bien connus du circuit hollywoodien: le showrunner David E. Kelley (Ally McBeal, The Practice) et le réalisateur Jean-Marc Vallée, qui avait déjà adapté Wild avec Witherspoon en tête d’affiche. Kidman et Witherspoon ont aussi choisi celles qui allaient interpréter les héroïnes puissantes et faillibles du livre de Liane Moriarty. Un casting all-star, mélangeant générations, genres et filmographies, où l’on retrouve le côté badass des jeunes comédienne de Divergente (Shailene Woodley et Zoë Kravitz), l’inquiétant familier de l’actrice fétiche de David Lynch, Laura Dern, et la troublante Nicole Kidman comme revenue du temps d’Eyes Wide Shut.
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Une histoire inédite
Cependant, Big Little Lies n’est pas un palimpseste des récits cinématographiques mythiques de ces comédiennes. Au contraire, c’est une histoire qui semble inédite puisqu’elle raconte avec réalisme et netteté la puissance de la violence. La série commence avec une rentrée des classes et un incident : la fille de Renata (Dern) a été étranglée par un camarade de classe, le présumé coupable serait Ziggy, le fils de Jane (Woodley). Cette dernière, nouvelle venue dans la ville de Monterey en Californie, pense que son fils est innocent et trouve réconfort et soutien auprès de deux autres mères de l’école : Madeline (Witherspoon) et Celeste (Kidman). Le pilote se double d’une autre investigation en flash-forwards autour d’un meurtre qui se passe plusieurs semaines après la rentrée dont le présumé coupable serait un parent d’élève.
La série se déploie vraiment au troisième épisode, lorsque l’intrigue principale autour du meurtre passe au deuxième plan et que le rapport à la violence qu’entretiennent Jane Chapman et Celeste Wright est dévoilé. [Attention spoilers] Jane rêve de tuer l’homme qui l’a violée, crime dont est issu son fils Ziggy. Celeste se fait battre par son mari et explore une autre forme de violence pendant leurs rapports sexuels. Les deux héroïnes se retrouvent dans des situations où la violence s’allie au désir de vie et de procréation (garder Ziggy pour Jane, faire l’amour pour Celeste) mais aussi à la pulsion de mort (désir de tuer l’agresseur pour Jane, désir de se laisser mourir sous les coups de son mari pour Celeste). Dans les deux cas, la violence est d’abord perpétrée par un homme mais les deux femmes la recyclent. La violence n’est pas éliminée au contact des personnages féminins, au contraire elles se l’approprient. La menace de violence ne se situe plus du côté de la biologie, ni des stéréotypes : les femmes, au-même titre que les hommes, en sont capables. A elles de décider si elles veulent l’utiliser.
Penser la violence au féminin
Big Little Lies dénonce dans un premier temps les violences faites aux femmes- si souvent mises sous silence et non représentées. Mais dans l’ultime épisode, c’est en pensant la violence féminine que la série bascule d’une œuvre bouleversante à un manifeste féministe et donc politique. La violence des héroïnes se différencie de celle utilisée par les hommes car réalisée de manière collective. [Attention spoilers] Durant le climax, le choix est fait de montrer les cinq héroïnes tuant le mari de Celeste, après qu’il l’ait rouée de coups. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, la représentation du meurtre n’est pas cathartique pour le spectateur. Cette séquence n’existe pas pour purger nos passions, faire couler nos larmes et expier nos angoisses. Bien au contraire.
La séquence du meurtre est découpée en deux temps. Le premier temps est celui où Jane comprend que l’homme qui l’a violée est le mari de Celeste. Fondu au noir. Lumières des ambulances, visage décomposé de Celeste, pompiers s’agitant. Un plan montre le corps empalé de son mari. La scène du meurtre sans ellipse arrive six minutes après- comme un flash-back presque immédiat. Montée en accélérée, elle est entrecoupée de plans de vagues se heurtant aux rochers dès que l’homme frappe Celeste ou ses amies et qu’elles répliquent. Le fait que la séquence se déroule en avance-rapide empêche que l’adrénaline monte, que la peur s’empare de nous. Nous savons déjà qui va mourir, nous voulons juste savoir comment. Le suspens est évacué et dès lors la révélation du meurtre a un impact différent. Le montage alterné entre l’océan et la scène renforce la violence des coups, qui s’écrasent comme les vagues sur un rocher, mais cela rend la violence plus imagée et moins difficile à regarder. Ces effets de montage évacuent toute l’émotion qui aurait pu submerger le spectateur face à la violence du mari et la solidarité des femmes. En empêchant la catharsis, la série nous oblige à réfléchir et à nous confronter à une image subversive : celle de femmes, censées être de parfaites mères, qui ont recours à la violence pour changer le cours de l’histoire.
Violences et maternité
Le cinéma avait montré trois paires de fesses moulées se dirigeant vers la voiture de Stuntman Mike pour le tuer dans Boulevard de la mort de Tarantino. Dans l’adaptation de Joyce Carol Oates Foxfire : Confessions of a Girl Gang, Laurent Cantet suivait une bande de filles qui allait être condamnée pour sa violence. La série, elle, représente quelque chose d’absolument tabou, des femmes violentes qui sont de bonnes mères. De plus, les meurtrières de Big Little Lies, ne sont ni sexualisées pendant le meurtre, ni punies. En mentant à la police, elles échappent à la justice. Aucun rappel à l’ordre.
Les images de la fin de la série donnent l’impression que ces héroïnes inventent un nouveau système. Face à l’océan, comme de parfaites mères, elles regardent leurs enfants jouer sur la plage. Dans le dernier plan, on entend le cliquetis d’un briquet, indiquant la présence de la détective chargée d’enquêter sur le meurtre. Mais ce son reste hors-champ et la série ne connaitra pas de deuxième saison. Les cinq héroïnes resteront donc libres, survivant grâce à la sororité. Pas d’homme à l’horizon. Comme si lors de cette soirée pendant laquelle le meurtre a été commis, où les femmes étaient déguisées en Audrey Hepburn et les hommes en Elvis, ces derniers s’étaient éclipsés. Les femmes en viennent aux mains avec le patriarcat puisque c’est dans la tenue du « King » que le mari de Celeste est tué. Une mise en abime du geste de Kidman et Witherspoon qui, en faisant naître une série qui parle de femmes et de surtout de mères, ont ouvert une porte au matriarcat. Un Hollywood régit par les mères ? Une transition difficilement imaginable sans violence féminine.
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