La disparition de François Tanguy, à la veille de la présentation au Festival d’Automne à Paris de sa dernière création, “Par Autan”, est un choc.
Créateur singulier à la tête du Théâtre du Radeau, compagnie installée au Mans en 1977 dont il devient le metteur en scène en 1982, François Tanguy est mort d’une septicémie dans la nuit de mardi 6 décembre. Il avait 64 ans. Une nouvelle foudroyante, tant l’univers théâtral qu’il déployait depuis des décennies au cœur de La Fonderie, cet ancien garage où le Radeau avait posé ses amarres, reste tout autant inclassable qu’indispensable.
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C’est en 1992 que ce lieu initialement squatté prend le nom de Fonderie, résumant bien l’alchimie à l’œuvre dans la succession des créations de la compagnie. Par une étrange coïncidence, les élu·es de la ville n’ont, à l’époque, pas vu ce squat d’un si mauvais œil et ont laissé faire. “Même s’il s’agissait de pas grand-chose : occuper un espace vide, désaffecté et, au lieu de le réaffecter immédiatement, laisser les mouvements et les actes construire et occuper le lieu à mesure qu’il se libérait de ce qui l’avait d’abord occupé, nous avait confié François Tanguy en 2001, lors de la création de Cantates. On tente de restituer des surfaces en résistant à la superficie, au quadrillage, au pouvoir de la gestion comme administration du pouvoir.”
Après dix années consacrées au répertoire, et qui s’achèvent en 1989 avec Woyzeck-Büchner-Fragments forains, vint le temps de créations originales, à nulles autres pareilles, portées par une troupe d’acteur·trices faisant corps avec l’univers bricolé, fantasmé, fantomatique, bruissant de tous les échos du monde passé, présent et à venir, en mouvement permanent. À l’image de ce vent d’Autan qui souffle à Montpellier et qui donne son titre au dernier opus du Théâtre du Radeau, Par Autan.
“Le théâtre est l’endroit d’où l’on regarde”
Chacun des spectacles du Radeau constitue un nouvel opus, une (re)composition de son aventure théâtrale et d’une démarche qu’il résume d’une belle formule : “Étymologiquement, le théâtre est l’endroit d’où l’on regarde. Pas d’où l’on voit, attention… C’est un terme qu’on emploie pour désigner ce qui est en train de se faire.” À propos de Cantates, un spectacle proche d’une expérience chimique, il écrivait : “Aller à vue, dans l’air où les ondes portent les matières, se muent en formes dans le regard, en voix dans l’espace, ou quelque autre perception, selon les vitesses, les résonances, les traits, les facultés de l’instant.” Tout y est : la profondeur de champ obtenue par une scénographie mouvante de tables, tréteaux, paravents et planches, polis par le temps et la poussière, fidèles au bricolage savant de ce théâtre forain qu’il chérit depuis toujours.
Sans oublier, à la façon du “Il était une fois” des contes, l’étincelle de départ : “L’histoire commence quand il y a un récit qui dit qu’il y a une histoire”, qui éclaire ce qui fonde l’essence du théâtre, et qui pour François Tanguy représente “ce lieu qui est entre l’espace, les corps et le temps. Il ne s’agit pas tant de remettre de la stabilité ou de faire tenir ce qui est instable, mais de lier ces deux termes, de délier de l’intérieur le pouvoir des liens, la force de gravitation. Bizarrement, c’est là qu’on trouve une profondeur de champ, c’est-à-dire quelque chose qui refait surface, qui restitue la possibilité de la surface et rejette le principe de la superficie.”
Quelque chose qui affleure et aiguise les sens et l’attention avant de disparaître pour resurgir ailleurs. Le mystère de la présence qui se frotte à l’absence. Un art subtil et dévastateur dont on se sent aujourd’hui tristement orphelin·es.
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