A l’heure d’Instagram et du selfie banalisé, les œuvres vidéo introspectives réalisées par Peter Campus dans les années 1970, présentées au Jeu de Paume, redéfinissent étonnamment le rapport du spectateur à son image.
“Vous entrez dans la salle et, dans un premier temps, l’œuvre est invisible. Ensuite, vous recevez brièvement le choc de votre propre image en activant la caméra. Ce sont deux phases voulues.” La démarche de l’un des pionniers de l’art vidéo tient tout entière dans ces quelques mots, empreints de la simplicité fulgurante des grandes œuvres.
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Au seuil des années 1970, l’Américain Peter Campus fait basculer l’image en mouvement dans l’art et la rend autonome dans ses rapports encore complexes au film. Né en 1937, Peter Campus vient pourtant lui-même du cinéma, et c’est même une première expérience de monteur pour l’artiste Joan Jonas qui lui mettra le pied à l’étrier de l’art contemporain.
Si personne ne vient, rien ne se passe
A travers elle, il commence à fréquenter la scène la plus excitante du New York des années 1960, celle qui se constitue autour de la Judson Memorial Church et où se rencontrent performeurs, danseurs et musiciens d’avant-garde. Là, un noyau dur composé entres autres de Trisha Brown, Lucinda Childs, Yvonne Rainer pour la danse, Terry Riley et La Monte Young pour la musique, réinvente la perception que nous avons tant de notre propre corps que de l’espace.
Pour de nombreux artistes, Peter Campus mais aussi Bruce Nauman, Nam June Paik ou Bill Viola, l’expérience est décisive. Comment alors continuer à s’accrocher au format classique du film d’artiste exposé en galerie, que l’artiste décrète carrément “très barbant (…) à moins d’avoir fumé du shit” ?
Ce qui intéresse alors Peter Campus, c’est la caméra sans viseur, c’est-à-dire la caméra de surveillance, permettant d’obtenir une image sans début ni fin, extensive à l’espace-temps de l’exposition. Si personne ne vient, rien ne se passe ; si personne ne regarde dans l’objectif, non plus : “Projetée entre quatre murs, la vidéo accroît la vision – alors que la vision se réduit lorsqu’on colle son œil à la caméra.”
De multiples expériences perceptives
Au Jeu de Paume, la magistrale exposition que consacre l’institution parisienne à cet artiste trop rare – et impossible à expérimenter par procuration – nous propulse d’emblée sur la scène. Kira, première installation en circuit fermé de 1971, braque son œil mécanique sur l’entrée de l’exposition. Retransmise en direct sur un moniteur, l’image ainsi enregistrée est filtrée par deux miroirs en rotation aléatoire.
Sans changer de place, le visiteur se voit apparaître et disparaître, tournoyer et se déformer. Ce principe sera décliné en de multiples expériences perceptives, qui donneront tour à tour l’impression de (se) voir double, ou encore d’accéder, le temps de quelques instants, à la vision de surplomb permettant de s’observer quitter la pièce de dos.
Entre soi et le monde, il y a déjà un filtre
Plus complexes que le simple reflet tout en donnant la même impression d’immédiateté, ces dispositifs offrent une expérience psychologique captivante. Comme devant un miroir, le regardeur y fait l’expérience de la confrontation en temps réel avec son propre corps. Mais parce qu’il est filmé, il n’est pas seulement réfléchi mais déjà représenté.
Entre soi et le monde, il y a déjà un filtre, celui de la caméra vidéo, qui instaure un infime décalage temporel – quelques millièmes de secondes, qui pourtant permettent de se découvrir un autre.
Video ergo sum jusqu’au 28 mai au Jeu de Paume, Paris VIIIe
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