En 2011, 60 % des étudiants estimaient que leurs ressources ne leur permettaient pas de vivre dans de bonnes conditions. Reportage à Nantes dans la première banque alimentaire créée au profit des étudiants les plus modestes.
Chaque jeudi soir, ils sont au rendez-vous. Un sac de courses à la main, des dizaines d’étudiants font la queue derrière la cité universitaire Launay-Violette, à Nantes. L’objet de leur venue ? Une distribution alimentaire au profit des plus modestes, organisée à l’initiative de l’Association pour la solidarité étudiante en France (Asef). Moyennant un euro symbolique, chacun remplit son cabas de fruits, légumes, laitages, conserves, plats surgelés, viande… Des denrées fournies par la Banque alimentaire de Loire-Atlantique.
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Certains produits sont sacrifiés par les étudiants
« Au début, on n’accueillait qu’une cinquantaine d’étudiants. Depuis deux ans, ils sont entre 200 et 250 selon les semaines« , estime Cécile Hellegouarch, vice-présidente de l’Asef, qui a fêté ses dix ans en 2012. Certains arrivent par le bouche à oreille, d’autres sont orientés par les assistantes sociales du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). C’est le cas de Shérérazade, vingt ans, qui, en cette veille des vacances d’hiver, y fait ses courses pour la deuxième fois : « Mes parents ne peuvent pas trop subvenir à mes besoins, ils ne roulent pas sur l’or« , se justifie la jeune femme, en deuxième année de langues étrangères appliquées.
Un moyen pour elle comme pour tous les bénéficiaires d’alléger leur budget nourriture, de manger équilibré et de repartir avec des produits habituellement sacrifiés. « Surtout la viande, le poisson et les desserts« , précisent Cristina, Maria et Laura, originaires d’Espagne, venues accompagnées de Moira et Maria, d’Italie. « En Espagne et en Italie, ce genre d’initiatives existe mais pas pour les étudiants. C’est dommage car la situation est encore pire qu’ici« , déplorent les cinq étudiantes en échange Erasmus.
Beaucoup d’étudiants ont recours au Secours populaire
Sur le modèle nantais, première banque alimentaire étudiante créée en France, d’autres antennes ont vu le jour : Saint-Nazaire, Strasbourg, Pau et même Bruxelles. Lutter contre la précarité des jeunes, c’est l’un des chantiers prioritaires du Secours populaire (SP) pour les deux ans à venir. L’association tire le même constat : les étudiants sont de plus en plus nombreux à faire appel à ses services, tant pour une aide alimentaire, un soutien, une écoute, que pour l’accès à la culture et aux loisirs. A ce jour, sur les 8 500 personnes accueillies régulièrement par la Fédération de Loire-Atlantique du SP, 1 363 sont des étudiants, soit environ 16 %.
« Jusqu’en 2011-2012, cette proportion était de l’ordre de 10 % », signale Nathalie Boyer, la directrice départementale. Là où l’on constate de façon la plus flagrante que la part des étudiants augmente parmi nos bénéficiaires, poursuit-elle, c’est au niveau de l’aide vestimentaire. »
A Nantes, le Secours populaire dispose de deux boutiques proposant des vêtements à prix modiques (4 euros le pantalon, 3 euros la chemise, etc.). « Depuis deux ans, on voit de plus en plus d’étudiants qui viennent s’habiller dans nos vestiaires. Ils ont 18, 20 ans, pas beaucoup plus« , témoigne Danielle Alexandre, présidente départementale du SP de Loire-Atlantique.
La difficulté s’accroît pour les 18-25 ans
Pour tenter de répondre à ce besoin, l’association a prévu d’implanter une antenne sur le campus universitaire nantais dès la rentrée 2013. « L’idée, c’est de mettre en place une permanence d’écoute, mensuelle dans un premier temps, et d’installer une annexe de nos vestiaires sur place. » L’association entend ainsi mieux les accompagner et mieux définir leurs besoins. « Si nous constatons que le besoin criant est alimentaire, nous réfléchirons à créer une permanence spécifique pour eux dans nos locaux habituels. »
Parallèlement, les deux bénévoles s’inquiètent d’un phénomène plus récent : les jeunes sans domicile fixe. Des étudiants précaires qui « subissent leur situation« , à la différence des jeunes marginaux à la rue, en rupture avec la société.
« Début janvier, raconte Danielle Alexandre, deux jeunes filles d’une vingtaine d’années sont passées nous réclamer des couvertures. Etudiantes, elles nous ont expliqué qu’elles dormaient dans leur voiture, n’ayant pu trouver un foyer pour les accueillir. »
Un étudiant sur quatre est aujourd’hui boursier
Bien qu’extrêmes, ces situations se multiplient, révélatrices selon elle de la crise et de la difficulté croissante pour les 18-25 ans de financer leurs études et d’arriver à se loger.
« Il y a effectivement de plus en plus d’étudiants dont les familles sont fragilisées par des situations de perte d’emploi, qui ne sont plus en mesure d’aider leurs enfants à couvrir les dépenses liées à leurs études, en particulier d’hébergement« , observe Anne Renaud-Anex, conseillère technique de service social au Crous de Nantes-Pays de la Loire, lequel dispose d’environ 8 000 logements au sein de l’académie, pour 115 000 étudiants.
Les places en résidence universitaire sont attribuées en priorité aux boursiers aux échelons les plus élevés. Conséquence : nombreux sont ceux appartenant aux classes moyennes modestes qui ne peuvent en bénéficier, pointent les organisations étudiantes, qui réclament l’agrandissement du parc de ces logements sociaux.
Pour l’Union nationale des étudiants de France (Unef) et la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), l’élargissement de la précarité au sein du monde étudiant est désormais visible à tous les niveaux. L’évolution du nombre de boursiers tous échelons confondus en atteste : en dix ans, ce chiffre a augmenté de plus de 30 %. Ils étaient 484 500 en 2003, ils sont aujourd’hui 632 500. Soit près d’un étudiant sur quatre.
Elisabeth Pineau
La précarité étudiante en chiffres :
– Accueil En 2011, sur les 2 427 905 personnes accueillies au Secours populaire français, on comptait 125 800 jeunes de 18-25 ans, dont 23 455 étudiants.
– Salariat étudiant En dix ans, la proportion des étudiants exerçant une activité rémunérée pendant l’année universitaire a augmenté de près de 5 points, passant de 45,5 % en 2000 à 50,3 % en 2010.
– Ressources Selon la dernière enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, parue en 2011, près de 60 % des étudiants estiment que leurs ressources ne leur permettent pas de vivre dans de bonnes conditions.
– Aides financières 31% des étudiants déclarent percevoir une bourse sur critères sociaux. En cinq ans, le nombre de boursiers échelon 6 a augmenté de 25 %, passant de 95 400 en 2008 (année de sa création) à 119 200 en 2013.
– Accompagnement Les services sociaux de l’ensemble des Crous emploient 177 assistantes sociales, soit une pour environ 15 000 étudiants.
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