En trente ans de carrière, Juliette Binoche, aura su ménager quelques moments de télé marquants, entre fascination et maladresse. Elle occupe cette semaine l’affiche de deux films, diamétralement opposés, le premier, « Telle mère, telle fille », est une comédie française, le second, « Ghost in the Shell », un manga culte propulsé en version live dans un blockbuster futuriste. On la retrouvera très bientôt en guest de la saison 2 de la série « Dix pour cent ».
Si on a maintes fois commenté l’impressionnante et exigeante filmographie de Juliette Binoche, ses rares (mais précieux) passages télévisuels ont su dessiner le portrait d’une actrice dont les éclats de voix et la sensibilité exacerbée ont bien souvent provoqué des moments marquants entre émotion et embarras. Ce qu’il y’a de fascinant (et d’attendrissant) chez Juliette Binoche, et dans ses diverses prises de paroles publiques, c’est que se dégage de ces instants, parfois surréalistes, une image double: celle d’un être à la fois réfléchi mais aussi, paradoxalement, porteur d’une parole ingérable, celle d’une enfant blessée chargeant sur ses frêles épaules tous les malheurs du monde, passant avec aisance du rire qu’on croirait forcé, des longs sanglots aux discours exaltés. Il fallait au moins ça pour revenir en quelques points sur les sept apparitions mémorables sur petit écran de Juliette Binoche.
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1/ Interview muette en 1986 pour la sortie de Mauvais Sang
En 1985, âgée d’à peine 21 ans, Juliette Binoche décroche un rôle d’envergure dans Rendez-vous d’André Téchiné aux côtés de Lambert Wilson. Un an plus tard, elle rencontre Leos Carax, jeune cinéaste prodigue remarqué pour un premier long métrage au romantisme noir Boys meet girl. Mauvais Sang deviendra le film d’une époque et le premier grand rôle d’une jeune actrice, devenue muse et amoureuse de son cinéaste. Dans cette archive qui date du 30 décembre 1986, soit un mois après la sortie du film, l’actrice ne répondra à quasi aucune question, laissant son interlocuteur dans le plus profond désarroi. Derrière ses infimes murmures, on lit sur son visage de jeune rebelle, une jubilation à peine dissimulée. Dès les premières secondes, les images la montrent se frottant les yeux comme une enfant qu’on aurait extirpée de son lit, les cheveux en pétard, la mine boudeuse. Alors que le journaliste enchaîne tant bien que mal les questions, elle reste muette, bat lourdement des cils et le scrute comme une bête curieuse. Si du haut de ses jeunes années, Binoche se la joue ici un peu diva grunge, celle pour qui la futilité de l’exercice promotionnel ne passe pas, prouve surtout ses immenses qualités d’actrices qui n’ont besoin d’aucun mot quand la seule présence (magnétique) suffit.
2/ César Bleu en 1994
Elle est l’une des rares actrices françaises à avoir voir réussi « le grand chelem » en raflant les prix d’interprétation féminine des trois plus grands festivals de cinéma : Cannes, Venise et Berlin. Elle a également décroché un césar et un oscar (qui manque à Isabelle Huppert pour pouvoir l’égaler). Son marathon aux récompenses, Juliette Binoche le démarre très tôt. En 1994, après déjà quatre nominations les années précédentes, l’actrice décroche déjà le César pour son rôle dans Bleu, issu du triptyque tricolore de Krzysztof Kieslowski. Elle a tout juste trente ans et le même minois photogénique qu’elle traîne depuis ses débuts. A travers une parole décousue mais sensible, la jeune Juliette se rappelle alors avec tendresse les cinéastes qui ont déjà croisé son chemin sans oublier, évidemment, de mentionner son cher Leos : « Je pense à Leos qui s’est arrêté et je ne souhaite qu’une chose c’est qu’il continue parce que c’est comme ça que le cinéma vit . »
3/ « It’s must be a French dream » – 1997
En 1997 alors que Kristin Scott Thomas se voit ravir l’oscar de la meilleur actrice pour son rôle de grande amoureuse dans Le Patient Anglais par Frances McDorman pour Fargo des frères Coen, Juliette Binoche emporte, elle, celui du meilleur second rôle dans le même film. Elle a alors 33 ans et devient après Claudette Colbert en1935 pour New York-Miami de Frank Capra, Lila Kedrova pour Zorba le Grec de Michael Cacoyannis en 1965 et enfin Simone Signoret pour Les chemins de la haute ville de Jack Clayton en 1960, la quatrième actrice française récompensée par l’Académie américaine. Binoche, dans une robe de véritable princesse médiévale, déboule fièrement sur scène et entame un discours d’une gracieuse candeur, en saluant d’abord sa concurrente Lauren Bacall, avant de conclure « This is a dream, it’s must be a French dream ».
4/ La belle et la bête – 2002
En 2002 l’émission de Thierry Ardisson organise un combat au sommet entre la Belle et la Bête, entre l’affect et l’intellect, en conviant le rabougri Alain Finkielkraut et la très sensible Juliette Binoche sur le même plateau. Alors que l’essayiste évoque le conflit israélo-palestinien, rapidement l’actrice française l’interpelle « alors qu’est-ce qu’on fait? ». Un échange un peu surréaliste s’engage alors entre elle et Finki, incapable de regarder l’actrice dans les yeux. Mais les paroles animées de la triste pleureuse (« Je suis désolée de pleurer, c’est vous qui devriez pleurer ») ne déclenchent chez Finkielkraut qu’un méprisant sourire gêné doublé d’une colère froide.
5/ « She cosmetics » – 2008
En 2008, Juliette Binoche cumule les projets artistiques : cinéma (bien sûr) mais aussi danse et peinture. Durant cette année charnière, sa soeur aînée, la documentariste Marion Stalens, la filme partout : du festival de Deauville où elle est accueillie comme la plus « internationale des actrices » aux répétitions de danse avec le chorégraphe Akram Khan jusqu’à son atelier de peinture. Là, vêtue d’un simple tablier, visage démaquillé et barbouillé de petites taches de peinture, cheveux lâchés ou négligemment relevés, Juliette gribouille des petits croquis sur ses nombreux carnets. Une hyperactivité artistique, brandie comme un étendard, qui n’a fait que renforcer son statut de véritable artiste.
Un an plus tard, en plein César, la présentatrice et humoriste Valérie Lemercier imagine, le biopic de la grande Binoche. Dans un teaser parodique et glamour rythmé par des slogans publicitaire (« She acts! She points ! She cooks ! She dances ! She comestics »), l’humoriste parodie avec génie l’actrice, en jouant à l’artiste dont l’inspiration créatrice déborde des pores de sa peau et la submerge. Après la diffusion, la vidéo est longtemps introuvable sur Internet et Juliette Binoche, absente ce soir là, aurait été selon son entourage, profondément vexée par ce pastiche.
6/ Copie conforme – 2010
Tout au long de sa carrière, Juliette Binoche, a bâti une filmographie à l’exigence folle, et cela dès ses débuts. Elle tourne successivement avec Jean-Luc Godard, Jacques Doillon, André Téchiné et Leos Carax puis plus tard Kieslowski, Ferrara, Hou Hsiao-hsien, Akerman, Assayas et Dumont. En 2010, le cinéaste iranien Abbas Kiarostami présente à Cannes son nouveau film Copie Conforme, le premier tourné hors d’Iran, dans un village de Toscane. Binoche y incarne une femme trouble et sans nom qui se déchire avec un homme (son amant ou un parfait inconnu ?) et dont on ne sait jamais si les paroles sont véritables ou mensongères. Un rôle de faux-semblant qui lui vaut le prix d’interprétation féminine à Cannes en 2010. Ce jour là, l’actrice se fait à nouveau la voix des opprimés, celle d’un autre cinéaste iranien : Jafar Panahi, retenu dans son pays par les autorités iraniennes.
7/ Les malheurs de Juliette – 2014
Elle en a déversé la pauvre Juliette, des torrents de larmes tant au cinéma que lors d’apparitions télé. En 2014, six ans après L’heure d’été, elle est à l’affiche du nouveau film d’Olivier Assays, Sils Maria. Quelques mois plus tard, début 2015, l’émission Sept à Huit de TF1, lui consacre une interview. Le journaliste Thierry Demaizière l’interroge sur les attentas perpétrés contre la rédaction de Charlie Hebdo quelques mois plus tôt. S’ouvre alors un nouveau chapitre des malheurs de Juliette car les pleurs chez Binoche, s’ils sont sincères, apparaissent souvent comme une énième palette de son jeu d’actrice ou comme le besoin pressant de théâtraliser le réel. Son visage se ferme, sa voix devient hésitante, tremblotante, et le silence qui ponctue chacune de ses paroles se fait pesant. Juliette s’essuie machinalement les joues sèches, et se lance, candidement, dans un discours humaniste : « Mais nous sommes tous des enfants, vous êtes un enfant! »
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