Avec “Où es-tu, monde admirable”, la romancière irlandaise récidive : personnages de vingtenaires dépressifs, fausse profondeur, style informatif. Et si Sally Rooney était la plus grande arnaque de ces dernières années ?
À moins de 30 ans et deux romans, l’Irlandaise Sally Rooney était déjà un phénomène éditorial, vendant des millions d’exemplaires de Conversations entre amis et Normal People, devenus des livres cultes, puis des séries emblèmes des millennials.
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S’il paraît que certain·es la détestent – elle ne manque jamais une occasion de s’en plaindre –, Sally Rooney semble au contraire adorée par la presse anglaise, notamment par le Guardian qui, lors de la publication de son troisième livre, Beautiful World, Where Are You, en septembre 2021, accusait celles et ceux qui osaient la critiquer d’être “soi-disant des hommes” et “soi-disant misogynes”. Ou l’art de censurer toute parole critique, ce qui est grave, et de dézinguer toute entrave au marketing Rooney. D’ailleurs, Beautiful World était déjà l’un des plus grands best-sellers de 2021 au Royaume-Uni seulement trois jours après sa sortie.
Des plaintes dépressives
Étant soi-disant une femme, et soi-disant féministe, j’ai finalement lu cette semaine, armée, je dois l’avouer, d’un certain courage – ses deux premiers romans m’étant tombés sur le pied –, Où es-tu, monde admirable, paru en traduction française lors de la dernière rentrée. Hélas, la prose de Rooney provoque toujours la même impression chez moi : celle qu’on se moque de nous en essayant de nous faire passer un collage de phrases informatives (il boit, elle mange, ils marchent, elle rencontre Machin, il quitte Machine), générées avec la conviction d’un ordinateur, pour de la littérature ; et pour de la profondeur philosophique et de la gravité politique, une compilation de platitudes sur les sujets sociétaux à la mode. Le réchauffement climatique, par exemple, la mort de la politique, l’impression d’être né·es au mauvais moment.
Ces plaintes dépressives, plus que des réflexions, dont raffolent les jeunes héros et héroïnes de ses romans, Sally Rooney les place ici dans les e-mails que s’échangent Alice et Eileen, les deux protagonistes, meilleures amies approchant la trentaine, soi-disant solitaires mélancoliques, mais qui ne ratent jamais une fête. Dès le début, Alice, une jeune écrivaine célèbre, rencontre Félix sur Tinder ; Eileen, elle, est amoureuse de Simon, qu’elle connaît depuis l’enfance, tout en vivant avec un autre jeune homme, Aidan. Le roman se contente de dresser la liste de leurs vagues, très vagues, voire extrêmement floues, rencontres, ponctuées des mails des deux filles. Pour elles, le seul remède à la fin du monde (en gros), c’est l’amitié et l’amour. Surtout pas la colère ni le suicide, non mais ! Si Rooney ne faisait pas preuve d’une bonne dose de cette “bonté vertueuse” que les Anglais·es adorent, elles et eux pour qui être “nice” est devenu la panacée, elle ne vendrait pas autant.
Rien de nouveau
Bref, ici, rien de bien nouveau : Monde admirable a des allures de plagiat de ses deux précédents romans. L’amour entre jeunes gens, son grand sujet, va être narré sans passion ni sentiment, sans sensualité ni émotion, sans chaleur, sans drame ni tragédie, à peine avec souffrance, et surtout sans aucun humour. Quand les personnages se séparent, ça donne ceci : “Un soir de décembre, Simon a appelé Eileen pour lui annoncer qu’Alice avait été admise dans un hôpital psychiatrique de Dublin. Eileen était assise sur un canapé, le téléphone à l’oreille, Aidan rinçait une assiette sous le robinet. Après sa conversation avec Simon, Eileen est restée avec le téléphone sans rien dire, lui aussi était silencieux. Bon, a-t-il finalement lâché, je vais te laisser y aller. Quelques semaines après, Eileen et Aidan se séparaient. Il lui a dit qu’il se passait trop de choses, qu’ils avaient besoin tous les deux de prendre du recul. Il est retourné vivre chez ses parents et elle a pris une chambre dans l’appartement d’un couple marié situé dans le nord le plus pauvre de la ville.”
Sally Rooney, c’est l’amour raconté par une sociopathe ; c’est l’idée que celles et ceux qui ne lisent jamais se font d’une “écrivaine”, et celle qu’un agent se fait d’un bon produit. Dans Monde admirable, celle que personne ne doit critiquer sous prétexte qu’elle est une femme et qu’il serait misogyne de le faire, écrit de son alter ego écrivaine : “Le livre d’Alice a paru au printemps. Il a été l’objet d’une grande attention de la part de la presse, bienveillante au début, suivie de quelques mauvais articles en réactions aux premières louanges et autres flagorneries.” Si on signe ici ce qu’elle appelle un “mauvais article”, ce n’est pas en réaction aux louanges, mais parce que le phénomène Rooney est bel et bien le symptôme de la paresse intellectuelle et émotionnelle dans laquelle notre époque se complaît.
Où es-tu, monde admirable ? de Sally Rooney (Éditions de l’Olivier). Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux. 384 p. 23,50 €
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