Avant leur date ce soir aux inRocKs Les Bains, le groupe 10LEC6 nous présente un remix de leur EP disponible aujourd’hui, « Bedjem Mebok ». Ecoute, et rencontre.
Formation menée par Jess et Simon, 10LEC6 évolue depuis plus de 10 ans dans les circuits alternatifs. Punk expérimental, voire tribal, la musique de ce groupe (qui a changé plusieurs fois de chanteuse depuis ses débuts) s’amuse à éviter les étiquettes avec soin. Tête d’affiche de notre soirée mensuelle inRocKs Les Bains, 10LEC6 sort aujourd’hui son EP sur le label de Pedro Winter, Ed Banger, avant un album prévu pour cet été. Rencontre avec Jess, Simon, Gaëlle, Erwan et Nicole, créateurs d’une musique profondément libre et résolument inclassable.
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10LEC6 a beaucoup évolué depuis ses débuts en 2004…
Jess (batterie) : Nous avons toujours eu une composante tribale et dance. Au début, nous étions quatre. Erwan a fini par nous rejoindre, et ses percussions renforçaient le côté percussif. Nicole, qui est notre troisième chanteuse, vient du Cameroun, et chante en Boulou : ça a vraiment changé notre projet, mais c’est une évolution lente, qui est passée par plein d’étapes.
Pourquoi n’avoir pas changé de nom ?
Simon (basse) : On aurait pu, mais c’est pour nous la même manière de travailler : c’est une évolution, pas un changement radical.
Gaëlle (percussions) : Le noyau est le même.
Jess : Les anciens morceaux étaient plus hardcore mais il y avait des breaks funk ou dance. Ils ont pris le dessus et sont devenus la trame des morceaux.
Vous parlez de noyau : quel est celui de 10LEC6 ?
Simon : C’est basse/batterie/percus/voix. Ce n’est pas si commun : il y a d’habitude une guitare, un synthé. Au lieu de prendre un guitariste, on a choisi Erwan qui a mis du coup l’accent sur le côté percussif.
Erwan (percussions) : Nous nous sommes toujours intéressés à la déstructuration, aux collages d’idées.
Jess : Nous travaillons de manière instinctive, et nous sommes bien incapables de dire si une séquence est à 3 ou à 5. On s’en fout. C’est ça qui donne la base rythmique de départ. Mais l’impulsion peut aussi venir de Nicole.
Nicole (chant) : De mon côté je cherche les paroles et les mélodies qui peuvent s’adapter à cette base. Quand on se retrouve, on discute des choses à enlever et à ajouter.
D’où vient cette envie de tout déstructurer ?
Jess : On joue à l’instinct. La structure break/pont/refrain ne marche pas pour nous.
Simon : Nos morceaux deviennent vraiment merdiques quand on commence à structurer (rires). Nous avions essayé avec notre première chanteuse de faire de vraies chansons, et ça nous a fait moins rire.
Erwan : Simon joue des lignes de basse sans connaître les temps et Jess joue en face des choses très ancrées. Du coup, la basse est planante et la batterie très droite, ce qui nous permet en tant que percussionnistes de placer ce que l’on veut dessus.
Du coup, les morceaux tiendraient presque du bœuf, ou du jam ?
Jess : Ce sont des échantillons qui sont ensuite assemblés sans logique ou sans règle. Cela donne ainsi des structures un peu éclatées, des changements de tempo au milieu des morceaux.
Nicole : On peut être en train de jouer et d’un coup, quelqu’un s’inspire de quelque chose, et cette chose nous ramène à une autre, et ça crée un beau mouvement, une belle chanson.
Erwan : Le chant a amené une structure, parfois une idée de couplet/refrain qu’il n’y avait pas auparavant. Cela permet d’écouter ce que l’on fait avec plus de facilité.
Il y a quand même des morceaux très lisibles, très dansants.
Jess : C’est un disque fait pour la danse. Notre intention, c’est vraiment de faire de la musique de club.
Erwan : A la fin des morceaux, on cherche toujours à les amener vers quelque chose de plus dance.
Simon : En live, les fins de morceaux se prolongent, se transforment en transe. Ils s’appuient sur une vraie énergie.
Depuis combien de temps préparez-vous votre album, qui sera disponible cet été ?
Simon : Quatre ans.
Jess : Pendant presque deux ans nous n’avions plus de studio, nous répétions assez peu.
Erwan : Cet album a mis beaucoup de temps à sortir, nous avons passé pas mal de temps à Mains d’œuvres, plusieurs jours par semaine à jouer, rejouer, à réenregistrer.
Les phases de cet album semblent avoir été imaginées à différents moments.
Jess : C’est vrai qu’il y a des moments où on a été plus inspiré par une ambiance ou une autre. Des choses traditionnelles que Nicole a ramené, des sonorités africaines actuelles qu’on écoute beaucoup, plus électroniques. On essaie à chaque fois de garder une énergie brute, quelque soit le style ou le rythme que l’on choisit.
Est-ce qu’il y avait quelqu’un qui posait un regard extérieur sur vos avancées ?
Simon : Nous préférons tout maitriser de A à Z. Avoir quelqu’un comme un manager ou un producteur casserait peut-être tout l’esprit de 10LEC6. Nous ne savons jamais très bien où nous allons au départ, et du coup tout prend un peu de temps.
Il est très difficile de définir votre musique…
Jess : C’est ce qu’on cherche aussi, à être inclassable, de ne pas suivre un mouvement.
Simon : Nous essayons d’aller sur des terrains qui ne sont pas exploités.
Votre programmation à la troisième édition d’inRocKs Les Bains peut-être considérée comme surprenante…
Simon : En effet (rires). Comme être signés sur le label Ed Banger : c’est à la fois bizarre et cool.
Erwan : 10LEC6 est un partage de beaucoup de musiques. C’est mortel de signer sur un label comme Ed Banger, de jouer aux Bains pour les inRocKs : cela permet de montrer qu’il y a autre chose dans le paysage français, une musique hybride, qui existe beaucoup ailleurs.
Jess : Ce n’est pas si improbable que ça qu’on se retrouve à jouer dans des clubs. On pense notre musique ainsi. Cela nous permet de mettre la basse et le kick en avant, et du coup notre musique prend une ampleur qui n’est pas possible sur une scène en extérieur. C’est dans les clubs finalement que 10LEC6 marche le mieux.
Comment vous est venue l’envie de confronter plusieurs genres musicaux ?
Jess : Je baigne dedans depuis très longtemps.Je dirige avec mon partner Crabbe le label Bazzerk qui est dédié aux musiques africaines urbaines…C’est une sensibilité qu’on a tous dans le groupe.
Erwan : Toute ma carrière de musicien, j’ai fait des percussions traditionnelles, pas mal de world music, du jazz. Quand j’ai entendu la musique de 10LEC6 ça m’a beaucoup plu. Le côté percus, évidemment, mais aussi le fait que ce soit une musique aussi énervée que déstructurée. C’était ce que je cherchais et c’étaient deux univers que je n’avais pas l’habitude de voir confrontés.
Est-ce qu’il faut connaître tous ces courants musicaux pour apprécier au mieux la musique de 10LEC6 ?
Simon : J’espère que non ! Il y a des morceaux plus accessibles, qui permettent de passer à des morceaux plus tordus.
Jess : Le fait que nous ayons une dimension dance rend notre musique très accessible.
Nicole : Les gens sont tellement habitués aux rythmes « normaux », que quand ils se rendent compte de sons un peu nouveaux, ils s’interessent plus à la provenance, à la façon dont c’est réalisé… La musique est souvent compartimentée et ça donne des choses assez monotones. 10LEC6 est un mélange de musiques africaines, de rock, c’est différent, et je suis sure qu’on va trouver notre place.
La voix est aussi utilisée chez 10LEC6 comme un instrument rythmique.
Simon : Nicole chante en Boulou. Nous ne comprenons pas cette langue, du coup nous nous concentrons sur la rythmique. Nous découpons les morceaux, on nous collons des choses qui n’ont normalement rien à faire ensemble.
Jess : On déstructure ses chansons et elle est ensuite obligée de les rechanter d’une nouvelle manière.
Nicole : Et pourtant il y a des paroles ! Je ne chante pas des bêtises !
C’est embêtant ça quand on est parolières, non ?
Nicole : Au début, ça me dérangeait beaucoup parce que je ne comprenais rien, j’avais une façon bien précise de faire la musique, mais avec 10LEC6 c’est une autre façon de voir les choses. Ils découpent, me présentent de nouvelles sonorités en me disant « ça, c’est mieux », des fois je m’entête, eux aussi. Mais quand on finit par se mettre tous d’accord, c’est super bien.
De quoi parlent d’ailleurs vos chansons ?
Nicole : D’amour, de spiritualité, de mes enfants, du paradis, du fait de se chercher, de la solitude, des popotins, de notre groupe aussi : je dis « si tu aimes la musique, viens vers nous ».
Il y a quelque chose qui revient souvent dans 10LEC6, c’est presque cette dimension sacrée…
Simon : Dans le premier clip cette dimension vient du réalisateur Théodore Fivel. Il a un univers ésotérique et il aime jouer avec ces codes. Nous l’avons laissé faire, le morceau finalement s’y prête assez bien.
Il y a aussi une exploration plastique dans 10LEC6…
Jess : C’est dans l’ADN de 10LEC6 depuis le départ : nous avions rencontré notre première chanteuse aux Beaux-Arts. Nous allons sortir un fanzine en parallèle. Notre pochette, colorée, a été réalisée par le street-artiste Horfée avec qui nous voulions travailler depuis longtemps. Cela a été rendu possible grâce à Ed Banger. La pochette de l’EP, quant à elle, est signée Druillet, parce que Théodore Fivel s’en était inspiré pour la sculpture dans la vidéo d’un de ses dessins. C’était cohérent de lui demander, la boucle était bouclée.
Vous ne voulez pas qu’on voit vos visages ?
Jess : Ce n’est pas trop notre truc.
Erwan : Nous nous demandions si nous n’allions pas faire les prochains concerts avec des masques…
Il y a une appréhension à sortir cet album ?
Simon : Pas du tout, nous sommes plutôt contents. Il y aura surement des remarques sur le fait que nous sortons sur Ed Banger, mais on s’en fout. Nous serons plus exposés, et ça c’est vraiment bien.
Erwan : Ce qui nous manque, c’est de pouvoir jouer. Notre dernier concert date a eu lieu il y a deux ans en Suisse…
Jesse : Nous avons mis du temps à trouver des gens qui souhaitaient bosser avec nous, nous n’avions pas d’argent. Il fallait trouver le bon fonctionnement avec aucune économie. Sodi qui est un producteur d’Afrobeat (Fela Kuti, Femi Kuti…) nous a laissé enregistrer dans son studio (Zarma) avec notre pote ingé Lionel Boutang.
Erwan : Nous avons de plus tous des projets en parallèle, et le fait de ne plus avoir de studio de répétition, de ne pas avoir de manager pour se focaliser sur les dates, au bout d’un moment donné, on oublie de chercher. Le fait qu’on ait quelqu’un qui s’interesse à l’album, cela tenait presque de l’insolite. Enfin, nous allons pouvoir revenir.
Vous êtes pointilleux ?
(en chœur) : oui. Pour les mixes, nous avons été très exigeants et cela a pris beaucoup de temps. C’est assez compliqué d’expliquer ce que nous souhaitions. On a fait appel à Crabbe pour faire le mixdown final de l’album
Jess : Aucun de nous n’est ingénieur son mais nous savions ce que nous voulions.
Erwan : Jess a de plus l’oreille très aiguisée de part sa carrière de DJ.
Les titres ont des formats chansons…
Simon : A l’origine les morceaux étaient beaucoup plus longs. On les a réduits au fur et à mesure.
Erwan : L’objectif c’est évidemment que ça soit plus long en live. Pour les festivals, les concerts à venir, nous travaillons beaucoup dessus pour prolonger les sets. Et puis la présence de Nicole change tout, c’est quelqu’un de très ouvert, de très positif. Elle est devant, elle est là. Et ça va être drôlement cool.
Vous pouvez nous parler du morceau qui clôture l’album, What dat azz do ?
Jess : C’est une cover d’un morceau de DJ Funk. On a fait une cover de son morceau, et après on lui a demandé de faire un remix de la cover. On aimait bien cette idée de mise en abyme. On ne va pas s’arrêter là, et faire une cover du remix de la cover du morceau de DJ Funk.
Dans toute cette approche un peu déstructurée et insaisissable, est-ce que 10LEC6 ne serait pas à l’image de 2017 ?
Nicole : Je pense que oui. On propose quelque chose de nouveau. Mais 10LEC6 fait vraiment quelque chose qui sort de l’ordinaire, qui n’est pas diffusé, qu’on ne connait pas. Nous sommes convaincus que c’est une musique qui ne ramènera pas l’apocalypse, mais qui fera plutôt des merveilles.
Erwan : Dans notre musique, il y a une vision plutôt positive, alors que quand on voit le monde, ce n’est pas vraiment le cas.
Simon : Le vrai côté punk de notre musique est là. C’est un positionnement en marge. Ce n’est pas une question de musique, mais d’approche. Oizo en a une qui pourrait être comparable à la nôtre. Il prend un plaisir de dingue à déstructurer ses morceaux.
Erwan : Je pense que 10LEC6 s’intéresse beaucoup à la musique nouvelle et hybride. Nous avons toujours eu l’oreille alerte.
Quelles sont donc vos inspirations ?
Jess : il y a des groupes qui nous ont inspiré et qui sont assez récents, qui ont réussi à créer une fusion, entre musique tribale et expérimentale, comme OOIOO, avec la batteuse de Boredoms.
Erwan : Nissenenmondai nous parle aussi beaucoup.
https://www.youtube.com/watch?v=UFF2bL2obMI
Quel est le meilleur titre pour appréhender 10lec6 ?
Erwan : je pense qu’on aura tous un avis différent. Ayong Yo Yop est le plus taré, après Bone Bame est le plus accessible, aussi traditionnel que groove.
Simon : Etam Enabe a un truc un peu Sly & Robbie qu’on a beaucoup aimé, un peu plus dub au départ.
C’est vrai qu’il y a des sonorités discos, des fois caribéennes avec le steeldrum…
Erwan : C’est une idée de Jess et Simon, qui adorent ses instruments. Nous refusion d’utiliser ses sons là avec Gaëlle et finalement…Le fait de faire venir des musiciens qui ont rajouté leur propre touche marche très bien.
Vous avez été accompagné par de nombreux musiciens ?
Simon : Le steeldrum, c’est Clément Bazin, qui a fait une super session.
Jess : Il y a Antoine Kogut de Syracuse aussi, Quentin Sirjacq, un pianiste plutôt classique qui a fait des synthés, un flutiste égyptien de Tel-Aviv. Mehdi de DVNO aussi, qui nous a permis de signer chez Ed Banger : nous sommes allés rendre visite à Pedro pour parler musique. Nous avions l’album sur une clé. Nous lui avons fait écouter le featuring de DVNO qui est un de ses amis. Il a écouté et nous a dit « je vous le sors direct ».
Simon : Ados, nous avions un groupe de hardcore avec Gaëlle et Mehdi. Nous nous connaissons depuis très longtemps. Du coup, quand il nous a fallu une voix un peu plus hardcore, ce qui n’est pas le truc préféré de Nicole, on a pensé directement à lui. Quand ils partent tous les deux avec Nicole, c’est fou. C’est vraiment une rencontre.
Un conseil d’écoute ?
Simon : Les versions live et album sont vraiment très différentes. Avec Nicole sur scène, tout prend une autre dimension.
Jess : Il faut aussi se pencher sur les remixes : celui de DJ Bebedera, et celui d’Alexis Le Tan et Joakim. Ils ont un projet de trance Goa, Full Circle, et ils ont fait trois versions. Le fondateur du label Optimo a aussi sa version, sans oublier le remix de DJ Funk.
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