Bien avant de parler de sexe sur TikTok et Instagram, Madonna partageait ses fantasmes érotiques avec le monde entier au fil des pages de son livre “Sex”. Trois décennies après la publication du volume original, Saint Laurent Rive Droite réédite l’ouvrage subversif et organise une exposition des clichés dans le cadre du Miami Art Basel qui se déroule du 29 novembre au 4 décembre. L’occasion d’interroger la force du livre, hier comme aujourd’hui.
Majeur gauche en bouche, le droit entre les cuisses : les mains de Madonna miment et offrent une ode à la masturbation féminine. Regard bandé, sous-vêtement BDSM en cuir, le tout articulé à une coiffure platine rappelant celle de Marilyn. Mi-vierge, mi-catin, la star fait scandale en 1992 dans ce cliché extrait de son livre Sex.
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Dans une société habituée à la narration patriarcale du désir sexuel, celle qui est déjà une superstar de la pop, expose le plaisir féminin dans un ouvrage de 128 pages, dont 101 de photographies soft porn, accompagnant la sortie de son cinquième album Erotica.
Scène lesbienne, SM, fétichisme, orgies, anulingus … En moins de dix jours, le livre se hisse en tête des best-sellers du New York Times. Objet de collection, mais aussi outil polémique et politique, il réapparaît aujourd’hui dans le cadre du projet culturel Saint Laurent Rive Droite à l’initiative de Madonna elle-même et d’Anthony Vaccarello, directeur artistique de Saint Laurent . En plus d’une réédition limitée à 800 exemplaires, ces clichés s’exposent au Art Basel de Miami. Un objet à l’intersection de la pop culture, de l’expression du désir féminin et du féminisme. Comment regarder cet objet en 2022 ?
Auto-plaisir
En 1992, la star est couronnée du titre de reine de la provoc jouant simultanément avec les codes religieux et sexuels (roulage au sol en mariée débauchée en 1984 sur la scène de MTV awards, scène bisexuelle et homosexuelle dans le clip Justify my love, simulation de masturbation sur le Blond Tour en corset conique Gaultier. “Les artistes sont là pour troubler la paix”, rappelle-t-elle en citant James Baldwin.
La sortie de Sex le 21 octobre 1992 fait l’effet d’un court-circuit dans l’imagerie érotique, communément pensée depuis un point de vue masculin – le fameux male gaze. “Ici, le regard masculin est subverti par un regard autodirigé. Dans plusieurs clichés de Sex, Madonna, est l’objet de son propre désir”, note la philosophesse Susan Bordo. À trois reprises dans l’ouvrage, Madonna est photographiée se caressant face à un miroir. Dans la majorité de clichés (91/101) elle est le sujet principal. Quant aux hommes, ils restent au second plan, un seul pénis apparaît, et il n’est pas en érection.
À tout juste 34 ans, Madonna déjoue les codes genrés de la mise en image porn et se met en scène dans une posture de contrôle. Posture que l’on retrouve également dans le processus de production et la fabrication du livre. Quelques mois avant la sortie du livre, la material girl concluait un accord avec Time Warner, afin de posséder son propre label : Maverick Records. Un tour de force, qui comprenait Maverick Films, Maverick Musica, l’édition de livres et une société de production télévisée. Quant à Sex, elle en maîtrise tous les aspects. Dans une interview accordée en 1992 à Vanity Fair, elle revient sur le choix du photographe Steven Meisel, connu pour son travail dans la mode. Il prendra plus de 20 000 clichés de Madonna et passera un mois avec elle pour procéder à la sélection. Coté direction artistique, elle choisit Fabien Baron, alors directeur artistique de Harper’s Bazaar qui s’exclamera : “128 pages présentant le même sujet, la même personne, et à chaque page, elle est nue ! C’est dur. Qu’est-ce que vous en faites ?”
La réponse ? Un objet de collection, enveloppé dans un emballage métallisé scellé, marquant son caractère illicite. En ouvrant le livre, le lecteur découvre des images majoritairement en noir et blanc ou se croisent Naomi Campbell, Isabella Rossellini et les rappeurs Big Daddy Kane et Vanille Ice. Le tout est accompagné de texte, comme écrit à la main où Madonna raconte ses fantasmes. Traduit en français, allemand, japonais et espagnol, le livre est un phénomène culturel et enregistre des ventes records à sa sortie.
Même si beaucoup crient au scandale : “Tout le monde est sorti acheter Sex, il a été vendu en deux secondes. Et ensuite tout le monde m’a insultée. Pour moi, c’est une déclaration sur l’hypocrisie du monde dans lequel nous vivons. Le fait que tout le monde soit si intéressé par le sexe, mais ne veuille pas l’admettre…”, conclura Madonna dans une interview à New Music Express en 1995.
Scandale et nouveaux tabous
Trois décennies plus tard, la réédition du livre fait jour dans un contexte ou la parole et la monstration de la sexualité passent par de nouveaux canaux, tout en restant un objet de censure et de contrôle. Quant à Madonna, elle conserve son statut d’artiste libre et engagée sur les représentations de la féminité.
En novembre 2021, âgée de 62 ans, elle poste sur Instagram une photo d’elle allongée sur un lit en body-string, collant résille, talons aiguilles, et tétons à l’air, rappelant ainsi les clichés érotiques de Sex. Aujourd’hui comme hier, la sentence est sans équivoque : Madonna est censurée. “Je suis étonnée d’avoir réussi à maintenir ma santé mentale pendant quatre décennies de censure, de sexisme, d’âgisme et de misogynie« , s’indignait-elle alors sur la plateforme
« Madonna est victime d’âgisme, mais contrairement à d’autres célébrités comme Susan Sarandon ou Helen Mirren, elle est ramenée à une femme qui, historiquement, a utilisé son corps comme une marchandise sexualisée”, écrivent les sociologues des médias Kristyn Gorton et Joanne Garde-Hansen dans un article publié en 2012. Grâce à sa position d’icône, construite ardemment au fil des quatre dernières décennies, Madonna continue de briser les tabous contemporains. Le scandale reste son ultime arme, tel un miroir confrontant la société à ses discriminations.
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