Un peu par hasard, on s’est retrouvé ce weekend embarqué sur le tournage de « Interference », nouveau clip homemade du collectif anglais Breton. Récit d’une journée d’apprentissage do it yourself intense où tout le monde a mis la main à la pâte.
« Tu lui as dit ? » demande au téléphone Roman Rappak à son manager. « Ah non, attends » rétorque-t-il avant de se tourner vers nous. « Demain, on tourne une nouvelle vidéo. On a besoin de trois filles pour jouer des putes à l’arrière d’un van : on compte sur toi. » Le ton est donné : comme pour celui de December, le tournage du clip d’Interference, extrait d’Other People’s Problems, premier album de Breton à paraître fin mars, se fera avec les moyens du bord et la bonne volonté de tous.
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Rendez-vous est donc pris le lendemain au Breton Labs, QG du groupe dans le Sud de Londres, près d’Elephant & Castle. Pas de bow window ni d’intérieur soigné ici : les quatre garçons habitent une ancienne banque désaffectée gardée par une grille cadenassée avec une grosse chaîne pour vélo. Roman, tête pensante du collectif (et accessoirement parfaitement bilingue) nous accueille l’air un peu hagard. Depuis l’aube, il a entamé une course contre la montre : le clip doit être terminé avant ce soir, édité dans les jours qui viennent et en ligne dans la semaine – un travail de titan pour l’Anglais qu’on devine fortement workaholic.
On passe une première porte, puis une seconde. « Attends, je vais te faire visiter » lance-t-il avant de s’improviser guide de monument abandonné. On lui emboîte le pas, on le suit tant bien que mal à travers les escaliers et les couloirs en tentant de ne pas s’éloigner : facile de se perdre dans ce dédale d’immenses salles glaciales et sombres dont on serait bien incapable de donner le rôle à l’époque où le bâtiment était encore en fonction. L’une d’entre elle a d’ailleurs récemment servi au tournage du clip de Sinead O’Connor que Roman a réalisé. Quand ils ne bossent pas pour eux-mêmes, les gars de Breton travaillent pour les autres, sans relâche.
« C’est là qu’ils faisaient entrer l’argent dans la banque, et ici, là où il le stockait » explique Roman en poussant une porte blindée : d’un côté, des étagères vides estampillées £5000, de l’autre, un coffre gigantesque plongé dans le noir – on apprendra plus tard qu’à leur installation, c’est dans cette pièce alors inondée que les garçons ont trouvé un orgue en fin de vie, qui après avoir été branché (« ce n’est pas l’idée la plus maligne qu’on a eu » concèdent-ils) a donné naissance aux samples de The Well, l’un des morceaux de leur ep Sharing Notes.
Après un passage à la cantine intacte de la banque qui sert maintenant de cuisine collective, puis sur le gigantesque toit avec vue sur Londres, on entre finalement dans l’annexe de Breton, caverne d’Ali Baba où s’entasse dans un grand bric-à-brac deux vieux canapés, des instruments, des bouquins, des pochoirs, un frigo et tout un tas d’objets non-identifiés. Au milieu de la pièce, une immense tente de mariage mi-chambre, mi-salle de répétition qui protège vaguement du froid intense qui règne à l’intérieur. A l’autre bout, une petite pièce pleine d’ordinateurs sert de salle de travail, d’enregistrement, de montage. Et de nuits blanches.
La moitié des scènes ont déjà été tournées ce matin en extérieur, puis dans l’appartement d’un ami du groupe avec les deux enfants de celui-ci et Gerry, héros du clip, pote de pote de pote aux tatouages imposants. Roman branche sa caméra pour commencer à monter en attendant le retour de deux autres membres du groupe, Daniel McIlvenny et Adam Ainger. Le temps manque : Chris McIlvenny, manager du collectif et frangin de Dan, attrape un bout de papier pour faire la liste des scènes manquantes – celle du van, faute de copines disponibles et de van justement, s’est transformée en « on va juste te mettre dans le coffre d’une voiture, tu verras, ça va bien se passer« .
Après une pause McDo, le tournage reprend à la nuit tombée. La troupe se dirige vers le sous-sol pour tourner une scène d’intimidation/tabassage en règle dans l’un des coffres. Dan sera la victime, son frère, le bourreau. Un bout de scotch sur la bouche, les mains dans le dos, le garçon se fait malmener par Chris devant la caméra de Roman – « Dès qu’on a besoin de quelqu’un à tabasser dans nos vidéos, c’est toujours Dan qui prend » se marre le manager avant de prendre Dan dans les bras. « Désolée frangin. »
On part dans l’autre coffre. « Assieds-toi par terre avec Dan et Adam » demande Roman alors qu’il règle un projecteur. On s’exécute, capuche sur le crâne et air désespéré de rigueur – il s’agit ici de « jouer » les jeunes gens apeurés, retenus contre leur volonté par le héros du clip, père célibataire et homme de main franchement pas commode. Ambiance trafic d’êtres humains : la lumière balaie la pièce à plusieurs reprises, on baisse la tête. La scène est terminée.
Caméra planquée dans un sac plastique, on marche ensuite dans le quartier pour rejoindre une place éclairée devant l’Imperial War Museum où les garçons veulent tourner une scène de course-poursuite. « Tu seras mon garde du corps si on essaie de me braquer la caméra » rigole Roman. Dan s’élance, coursé par Jerry, lui-même suivi de Roman, caméra au poing. On ricane en voyant passer puis repasser, puis re-repasser le trio essoufflé. La prise est dans la boîte, on peut repartir au Lab pour tourner les deux dernières scènes, un échange mystérieux entre le protagoniste et Patrick, ami acteur du collectif venu donner un coup de main, et la scène finale. On ne finira pas dans la peau d’une prostituée terrifiée dans un coffre de voiture cette fois-ci, faute de temps.
Il est 20 heures lorsque le tournage se termine. Roman passera une partie de la nuit et les 72 heures suivantes à travailler sur l’édition du clip et à répéter sans cesse avec ses complices. La semaine prochaine, le groupe s’envolera pour New-York pour son premier concert sur le sol Américain. On veut bien parier que ce ne sera pas le dernier.
Breton – Interference
Breton – Edward The Confessor
Album Other People’s Problems (FatCat).
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