Les deux Mesrine, Un prophète et des millions de spectateurs. Pour parler des mauvais garçons et de la taule, le cinéma français explose avec mister Dynamite : Abdel Raouf Dafri, scénariste en colère avec une sacrée tchatche. (Photo: Malik, héros d’Un Prophète de Jacques Audiard)
LES BANLIEUES
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“La vie de la banlieue et de la misère, les émeutes, ce ne sont pas les mêmes à Roubaix, à Tourcoing ou dans la couronne parisienne. J’ai grandi dans le Nord. Là, on ne singe pas les Américains. Il existe un vrai repli communautaire : les mecs sont vachement arabes, ils se trimbalent en sandales, tu as l’impression d’être au bled. Les banlieues parisiennes, c’est différent, étalage de la thune et du bling-bling. Je ne supporte plus le paternalisme de la gauche, le mépris de la droite devant les communautés arabes. Et les Noirs ? Ils font rigoler… Tu dis “Noir” à un Français, il pense à la Compagnie Créole ! Ce qui m’intéresse, c’est de faire des films où l’on voit plusieurs ethnies, une représentation de la société française d’aujourd’hui. Prends Un prophète. J’étais en colère quand je l’ai écrit. J’ai inventé un personnage qui prend le pouvoir dans les cités et organise une mafia sous charia. Mais d’abord, le mec, il va apprendre la vie en prison. Logique : c’est là qu’on apprend tout. Il va niquer les Corses et sortir comme un big boss. A l’origine, mon personnage était beaucoup plus sombre, mais Audiard a besoin d’aimer ses héros. Pas moi.”
LA MORALE
“Les gangsters me fascinent beaucoup plus que les hommes d’affaires ou les politiciens. Les uns et les autres usent de la même sémantique : abattre un ennemi, le faire tomber, l’englober, l’absorber, le corrompre. Les Américains l’ont compris. En France, on barbouille tout ça de vernis moral. Voilà pourquoi la gauche a perdu : elle essaie de moraliser des gens qui ne pensent qu’à faire de la thune et à rafler du bénèf.”
LES ARABES
“On m’a dit : “Vous partez dans le cliché : l’Arabe, c’est ce mec qui se retrouve en prison.” Arrêtez de déconner : dans les prisons françaises, la première religion, c’est l’islam. Autrefois, en prison, on enfermait les gangsters dans l’espoir de les réinsérer : le mec devait sortir un peu moins agressif. Aujourd’hui, la prison est devenue une façon de masquer les problèmes sociaux. On a éliminé les hôpitaux. Je ne parle pas des durs de durs qui vivent en centrale. Mais dans les maisons d’arrêt, t’as que des malades, je te jure, et le pire, ce sont les centres pour mineurs et ceux qui y font la loi.”
LES TAULARDS
“C’est dans un centre comme ça que commençait notre scénario. Il faut comprendre : les mecs arrivent du Maghreb, ils savent qu’on va les expulser, donc ils commettent un délit, se font enfermer dans un centre pour mineurs. Là, c’est génial : ils font trois repas par jour, ils n’ont rien à perdre et les plus habiles deviennent de gros caïds. Et du coup, ils restent en France ! J’ai des potes à moi qui rentraient en taule. Extraordinaire : quand ils sortaient, ils étaient incapables de s’acheter un billet de train, incapables de remplir un papier, ils écrivaient avec plein de fautes d’orthographe mais ils t’expliquaient que tel magasin n’avait pas de système d’alarme et qu’on pouvait le braquer facile, ou comment trafiquer une carte bleue, comment niquer un chéquier, toutes les combines. Ils ne savaient rien faire sauf ramasser de la thune. Les éducateurs sont très clairs. Ils disent : “Ne vous y trompez pas, ces individus ne sont pas sous-adaptés au système mais sur-adaptés. Ils comprennent très très vite.”
LE HÉROS
“Mon personnage, Malik, arrive en prison et apprend tout seul : un cerveau en action. Un type instinctif, pas très beau et qu’au début on méprise, mais qui écoute, comprend les réactions des autres et sait tout de suite dans quel coup il doit se placer. Untel est très émotif, un autre plutôt froid : je peux tirer sur cette corde-là. Je suis persuadé que le public français est prêt à admettre des personnages antipathiques et à les suivre du début à la fin. Sinon, comment expliquer le succès de Jonathan Little avec les Bienveillantes ?”
LE SÉSAME
“Quand j’ai écrit Un prophète, y a un producteur juif, Marco Cherqui, qui n’avait pas une thune et qui est tombé amoureux de l’histoire. C’était bien mon bol ! Par bonheur, Audiard s’y est intéressé aussi. Et quand on a appris que Monsieur Jacques Audiard prêtait attention à un scénario écrit par deux mecs qui sortaient de nulle part – dont un avec un pedigree d’Arabe – tout le monde s’est écrié : “Nous voulons lire.” Avant les gens s’en branlaient. Morale : si t’as pas un Blanc – ce n’est pas péjoratif dans ma bouche – qui met le pied dans la porte et qui dit aux Arabes : allez- y les mecs, entrez, il ne se passe jamais rien. C’est comme les boîtes de nuit : il faut un Céfran avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus pour faire rentrer les Arabes planqués derrière lui.”
LE FUTUR
“Les Français devraient se méfier : si on ne travaille pas sur les mecs en prison, le jour où ils vont sortir… Parce qu’ils sont de plus en plus brutaux. Regarde les cartels mexicains. Les mecs ne vivent que pour se flinguer, la vie n’a plus d’importance. Voilà le principe du fascisme : l’humanité n’est plus une fin en soi, c’est un moyen. Ou tu es fort, tu domines et tu tues, ou tu es faible et tu crèves. C’est ça, la prison : un rapport des forts et des faibles.”
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