Pour sa 17e édition programmée du 16 au 19 novembre, l’événement qui réunit chaque automne des centaines de professionnels de l’industrie musicale dans la plus grande métropole du Québec a su offrir une fois encore la vitrine idéale aux artistes canadien·nes émergent·es. De quoi s’immerger avec ce reportage dans les scènes indés locales et se laisser surprendre par la vitalité de certain·es artistes interconnecté·es.
Le store électrique de la chambre d’hôtel laisse entrevoir des flocons blancs en suspension. En contrebas, deux voitures de police stationnées sur la chaussée de Downtown Montréal tentent de gérer le trafic pris dans les intempéries, tandis que la voix d’un journaliste d’une chaîne d’info locale échappée du téléviseur allumé affirme que la ville n’a pas connu de chutes de neige depuis 210 jours.
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On se demande ce qui est le plus surprenant : être pris de court par les premières neiges, un mois de novembre dans la province du Québec, ou sentir pointer le début d’un mal de crâne alors que le souper de la veille, préparé aux petits oignons à notre arrivée sur le sol canadien, avait de quoi neutraliser par la suite les effets des quelques verres descendus dans un bar sportif de la Petite Italie ? Une chose est sûre. En ce mercredi 16 novembre, jour d’ouverture de la 17e édition de M pour Montréal, tout reste à découvrir, et l’imposante programmation aux noms presque inconnus semble elle aussi présager de belles choses inattendues.
À l’image de South by Southwest (SXSW) à Austin, Texas, et d’autres événements français similaires comme les Trans Musicales de Rennes ou le MaMA, le festival québécois créé en 2006 a pour vocation de mettre en avant une multitude d’artistes venus des quatre coins du Canada, d’aider à leur développement et permettre leur rayonnement au-delà des frontières. Pour se faire, M pour Montréal réunit plus de 300 délégués locaux et internationaux issus de l’industrie musicale (labels, bookers, journalistes) et aligne autant les showcases réservés aux acteurs du secteur, que les concerts ouverts au public, répartis dans diverses salles de la ville entre le quartier des spectacles et Mile End, vivier incontournable de la scène artistique indépendante montréalaise.
Premières neiges, premiers frissons
20 h 30. La nuit est tombée depuis belle lurette et il s’est arrêté de neiger lorsqu’on se dirige vers les imposantes colonnes du Ministère, cette ancienne banque reconvertie en salle de concert qui trône sur le boulevard Saint-Laurent. Bibi Club est l’un des premiers groupes à débuter les festivités. Coup de bol, c’est aussi l’un des rares noms identifiables de la sélection pour l’avoir déjà vu partager l’affiche des Inrocks Super Club à Paris, en mai dernier. De quoi prendre ses marques illico et appréhender le déroulé des showcases pour les trois prochains jours.
Comme la majorité des musicien·nes invité·es à se produire cette semaine, Adèle Trottier-Rivard et Nicolas Basque, duo sur scène/couple à la ville, ont une vingtaine de minutes montre en main pour assurer leur set. Très vite, leur dream pop aux accents lo-fi prend une toute autre dynamique. Les motifs de guitare couplés au grain des accords plaqués sur un Prophet-6 se font plus tapageurs que sur disque, et à mesure que la boîte à rythme s’emballe, Bibi Club s’oriente vers une montée en puissance pour un final grisant.
Pour la suite, on s’apprête déjà à voir débouler l’une des artistes “les plus fucked-up” de la sélection officielle du festival, pour reprendre les mots de Mathieu Aubre, coordinateur de la programmation du M. Signée quelques jours auparavant sur le très cool label du coin Mothland (on en reparle plus bas), Naomie de Lorimier, multi-instrumentiste et figure active de l’underground de Montréal, est venue présenter son projet perso N NAO, sorte de folk porté par une très nette appétence pour l’expérimentation. Entre harmonies de voix sous auto-tune, boucles electro-acoustiques et ambiances éthérées derrière le son des machines, la musicienne marche dans les pas de Jenny Hval, tout en assurant la jonction entre Bon Iver, Portishead et le Drukqs d’Aphex Twin. Le silence de l’auditoire, qui semble aussi ébloui que circonspect, interpelle. La performance impressionne.
Microcosme solidaire
N NAO puis Valence, originaire de la ville de Québec que l’on retrouve dans la foulée pour un concert de pop vintage décontracté, offrent les premiers exemples révélateurs de la connexité inhérente à la scène indé québécoise. Si l’on reconnaît Samuel Gougoux, batteur du groupe VICTIME et membre de Corridor, ces cracks notoires de Montréal, assis derrière les fûts aux côtés de Naomie de Lorimier, on ne s’étonne plus de voir que le saxophoniste de Valence n’est autre qu’Antoine Bourque alias Mystério, musicien multitâche et compagnon de route d’Hubert Lenoir, récemment aperçu à Paris lors des deux shows incendiaires de ce dernier à la Maroquinerie.
Au fil des quatre jours de festival, les visages de musiciens familiers vont se croiser, se recroiser, de formations en formations, sur scène comme aux bars des différentes salles de la ville. Les collaborations s’avèrent nombreuses. L’entraide et le soutien entre artistes sont perceptibles. Ce n’est donc pas un hasard si le plus Québécois des Californiens Patrick Watson, révélé en partie à M pour Montréal à l’instar de Grimes ou Mac DeMarco, est lui aussi venu par surprise partager la scène mercredi soir avec l’artiste soul queer Fernie.
Les merveilles de Bonbonbon
Deuxième jour. La fatigue commence à s’installer lorsque la boule à facettes du Quai des brumes, autre rade situé à quelques encablures du Plateau-Mont-Royal, achève de nous bercer devant la performance de velours signée du musicien prolifique Cedric Noel. Il faut attendre les coups de 22 h 30 pour que la dégaine show off et le rock rutilant d’ALIAS, signature en rouge et noir de l’écurie Simone Records, ne vienne mettre un terme à un jet-lag persistant.
Mais c’est surtout en prenant la direction de la Sala Rossa, où se déroule la soirée organisée par Bonbonbon, que la magie va opérer. Alexandre Archambault, co-fondateur de ce petit label qui monte, au roster affirmé dans la défense des musiques psychédéliques francophones et héritières de la grande époque yéyé québécoise, nous avait prévenu. “Nous sommes les sunshine pop kids à tendance champis.”
Sous des lustres tamisés, autoharpe, flûte traversière, tambourins et batterie feutrée attendent sagement que les guitares douze cordes soient accordées. Tout l’attirail de la pop baroque est réuni et pour cause, Vanille, entourée de six musicien·nes, a tout pour embarquer l’auditoire de l’autre côté du miroir. Derrière son alias fleur bleue, Rachel Leblanc dresse des ponts entre l’Atlantique, Louise Forestier et Weyes Blood d’un côté, Françoise Hardy et Melody’s Echo Chamber de l’autre. Sur scène, les morceaux comme l’enchanteur À bientôt, tiré d’un deuxième album prévu pour février prochain, prennent toute leur ampleur.
Place ensuite au grand cirque rock’n’roll de la bande d’Allô Fantôme, projet solo mené par le jeune Montréalais Samuel Gendron. Tenues de scène flamboyantes, maquillage de rigueur et verre de rouge posé sur un piano électrique en surplomb du public… L’heure est à la fête 70’s dans le sillage de Foxygen et The Lemon Twigs quand soudain, un visage poupon surmontée d’une chapka des plus identifiables fait irruption au milieu du public.
De passage à Montréal pour obligation professionnelle d’ordre médiatique nous dit-il, la superstar du Québec Hubert Lenoir semble bel et bien encline à profiter du joyeux bordel offert par Allô Fantôme. Douze jours après avoir braqué le Gala de l’Adisq, l’équivalent québécois des Victoires de la musique, en repartant avec sept récompenses dont le prix de l’artiste de l’année, le voici à bondir dans les premiers rangs d’une fosse en ébullition sur le rythme de l’entraînant Sur la pointe des pieds. De quoi boucler ce jeudi soir en beauté, avec l’une des soirées les plus fun du festival.
Dark kids et DIY
Vendredi, on repart au Quai des brumes où une reprise du Little Dark Age de MGMT fait patienter le public avant la performance tout aussi spectrale de Lydia Képinski, l’une des artistes féminines locales les plus attendues de la sélection. Si l’on connaissait l’avance des Québécois sur les questions d’égalité femmes-hommes, autant préciser que les programmateurs de M pour Montréal ont mis un point d’honneur à constituer une affiche paritaire, chose beaucoup trop rare dans le milieu pour le souligner. Il est à peine 17 h et malgré tout, on se croirait plongé sous les stroboscopes de la Batcave en plein cœur de la nuit. Lydia Képinski, eyeliner à la Siouxsie Sioux, mène alors d’une main de maître un set des plus saisissants, où la synth pop se conjugue à la dance pour mieux pervertir un lyrisme décapant.
Plus tard, pendant que la soirée hip-hop va bon train du côté du quartier des spectacles, on regagne Mile-End et la Sala Rossa pour retrouver Philippe Larocque, Jean-Philippe Bourgeois et Maxime Hebert aka “les mothés”. Une partie de la petite équipe de Mothland, devenue label en cours de route sous le coup de la pandémie, fête ce soir les cinq ans du début de ses aventures. Pour l’occasion, elle a installé deux scènes sous un même toit où alternent plusieurs groupes signatures tels que Grim Streaker et leur postpunk importé de Brooklyn, ainsi que d’autres formations avec qui elle partage une même philosophie.
Des romantiques synthétiques Crasher jusqu’à Priors, dernier coup de poing garage de la soirée avant de poursuivre les festivités dans les bureaux de Mothland situés aux portes de Rosemont, tous entretiennent une communauté DIY à la liberté créatrice, soudée par une certaine idée de la débrouille et du cycle court, un amour inconditionnel pour les décibels des marges et davantage pour les fringues noires.
Gagnants des derniers instants
Le samedi, ultime journée marquée par la victoire des Canadiens de Montréal à domicile face à l’équipe de hockey sur glace de Philadelphie en tirs de barrage, il faut se rendre au Club Soda, dans le quartier des spectacles, où les jeunes Montréalais adeptes du microdosage de psilocybes se sont donnés rendez-vous. C’est ici que l’on retrouve Étienne Côté, croisé récemment sur les routes de France en première partie de Clara Luciani, avec son projet pop-folk LUMIÈRE (là encore, Naomie de Lorimier aperçue dans les chœurs). En guise de démonstration de force finale, le blondinet s’empare aussi de la batterie du supergroupe Bon Enfant pour une grand-messe haute en couleur, à grand renfort de pédales wah-wah et de groove psychédélique sous influence Khruangbin.
Histoire de faire nos adieux au Mile-End, on décide après coup d’aller repousser la porte du Ministère pour une dernière salve de guitares avec Ducks Ltd. Devant la propension du groupe de Toronto à tricoter des sonorités jungle pop, il n’est pas étonnant de voir une fois de plus Jonathan Robert/Personne et le reste de Corridor, quasi au grand complet, s’octroyer une pause nocturne dans les rangs. La bande vient en effet de commencer à enregistrer leur 4e album dans un studio des environs.
Au lendemain, alors que l’A-320 du retour peine à se mettre en mouvement sur le tarmac de Montréal-Trudeau, on se repasse dans les oreilles Dimanche Soir d’Hubert Lenoir, morceau de circonstance pour amplifier déjà la nostalgie d’une semaine groggy. “Des phénomènes comme Hubert, on n’en rencontre qu’un tous les vingt ans ici”, nous avait confié le co-fondateur du label Bonbonbon. En repensant aux dizaines de concerts de ces quatre jours, on se demande alors si l’un·e des artistes programmé·es suivra à son tour la même trajectoire que l’enfant terrible québécois. Dans le meilleur des cas, on pourra dire que tout cela n’avait rien de surprenant. Au pire, la 17e édition du M pour Montréal aura été une belle surprise.
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