En amont de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nous avons échangé avec Andréa Bescond, actrice, autrice et réalisatrice engagée sur le sujet.
Tandis que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a réuni 100 000 personnes dans les rues de France ce samedi 21 novembre (chiffres #NousToutes) et sera mise à l’honneur ce vendredi 25 novembre dans le cadre de la Journée internationale qui vise à les éliminer, nous avons voulu donner la parole à l’une des personnalités les plus artistiquement et médiatiquement actives dans ce combat. Actrice, autrice et réalisatrice, Andréa Bescond a placé au cœur de son travail la lutte contre les violences -ainsi que celle contre la pédocriminalité-, depuis les premières représentations de sa pièce Les Chatouilles en 2014, jusqu’à leur reprise, annoncée début 2023. Après avoir aussi réalisé un film du même nom, Andréa Bescond publiera un roman sur le sujet à la rentrée (Une Simple histoire de famille, chez Albin Michel), et s’apprête à lancer un média vidéo hebdomadaire sur les défaillances de la France en ce qui concerne le traitement de ces violences.
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Des défaillances qu’elle dénonce au quotidien sur un compte Instagram de plus en plus suivi, où elle s’adresse, en lettrage blanc sur fond noir, directement aux agresseur·ses et aux institutions. Lesquelles sont désignées comme les responsables directes d’un fléau qui ne fait que s’aggraver – selon un communiqué du collectif #Noustoutes, “les violences sexuelles ont augmenté de 33% tandis que les condamnations pour viol ont baissé à 0,6%”. Avec elle, nous avons parlé de son engagement et du traitement judiciaire et médiatique des violences sexistes et sexuelles à l’ère post-#MeToo.
Quand avez-vous commencé à militer sur Instagram?
Je défends le point de vue des victimes sur les réseaux sociaux depuis quelques années mais, juste avant #MeTooInceste, j’avais décidé de les quitter car je voyais que ça ne servait pas à grand-chose. Même après #MeToo, on ne sentait aucune volonté politique sur les sujets que je défends. Après être allée voir la majorité des ministres concernés, en avoir parlé au Président, avoir posé en couverture du magazine Elle avec Brigitte Macron, j’avais le sentiment de ne pas pouvoir aller beaucoup plus loin. Mais, lorsque le hashtag #MeTooInceste a été lancé, je me suis dit que je ne pouvais pas rester à côté de ça. Avec d’autres militant·es, on a commencé à se rassembler pour défendre nos idées.
Depuis quelques semaines, vous vous adressez directement aux agresseurs, aux institutions ou à l’État, pourquoi?
J’ai eu un déclic. Je me suis rendu compte que parler du point de vue des victimes n’intéressait pas grand-monde. En revanche, mettre les auteurs en avant suscite étrangement de l’intérêt. C’est une manière de responsabiliser, et même si cela peut paraître violent de pointer du doigt les agresseurs, la justice, l’État ou l’Église, aujourd’hui, il faut arrêter d’être poli·e.
Quelles réactions suscitent ces textes?
Je constate que leur visibilité a augmenté, que les gens s’indignent et partagent. Je reçois aussi beaucoup de témoignages. C’est une chance de pouvoir répondre ou donner espoir à des personnes qui, parfois, sont au fond du trou, tellement il n’y a pas de justice, tellement on leur enlève leur dignité malgré le courage qu’ils ou elles ont eu de témoigner. C’est ça la violence, en fait. Certaines personnes me perçoivent comme un danger, s’émeuvent que je “ne respecte pas la justice”. Mais le danger ce n’est pas moi, mais le fait que seuls 0,6 % des violeurs sont condamnés et que la majorité des victimes n’obtiennent ni justice, ni protection. Je ne sais pas pourquoi l’État n’a pas envie de prendre cette cause en mains – peut-être parce que les enfants ne votent pas? C’est pourtant la clef d’une belle société, car tout découle essentiellement des failles de l’enfance, y compris les drames terroristes. Tous ces hommes qui plongent dans l’ultra violence -attention, je ne les excuse pas, j’ai moi-même été violée à 9 ans et je n’ai tué ni violé personne par la suite-, c’est le fléau de la société. Tant qu’on ne prendra pas en charge le fléau des violences, et ce dès la crèche, rien ne changera.
En quoi ce travail de visibilisation est-il important pour vous?
Les défaillances du système judiciaire sont assez invisibilisées par les médias mainstream. Notre seule chance aujourd’hui, c’est de créer nos médias afin de produire une contre-information, qui est fondamentale pour le changement de cette société. En ce moment, par exemple, on est bien au courant que Benzema est forfait, mais on sait moins que la petite Vanesa est morte aux mains d’un récidiviste qu’on n’a pas suivi et qui vivait sa vie tranquille.
Depuis #MeToo, le traitement médiatique des violences sexuelles n’a-t-il pas évolué?
Non, pas du tout. Si les médias emploient désormais le terme “féminicide”, par exemple, c’est sous la pression féministe. C’est fou à quel point les militantes ont dû être oppressives, ont dû déployer de l’énergie, tout ça pour des pas de mouche. Et on devrait s’en contenter? Et puis, récemment, le traitement médiatique de la pédocriminalité dans l’Église n’a pas du tout été à la hauteur. On a parlé du rapport Sauvé, mais la façon dont sont traitées les victimes de pédocriminalité dans l’Église, c’est un scandale d’État. Quand on voit que les agresseurs sont planqués au Vatican et que personne ne met vraiment ça en exergue dans la presse…
Et plus spécifiquement, vous avez joué Les Chatouilles pour la première fois en 2014 à Avignon. Qu’est ce qui a changé depuis ?
Quand j’ai écrit ce spectacle en 2012, j’avais l’impression d’être la seule à avoir vécu de la pédocriminalité, en dehors d’Eva Thomas et de Christine Angot. Tout le monde était bouleversé après l’avoir vu mais personne n’en voulait à Paris, c’était un rejet total. Lorsque j’ai joué au festival d’Avignon en 2014, j’ai eu pas mal de presse et j’ai reçu le Prix d’interprétation féminine donc on m’a quand même beaucoup mise en lumière mais à ce moment-là, la société artistique et théâtrale n’était pas encore prête à défendre ce spectacle. J’ai vraiment eu de la presse à partir du moment où j’ai remporté en 2016 le Molière du Meilleur seul·e en scène, d’abord parce que j’ai fait un discours aux Molières et qu’ensuite des médias nationaux se sont intéressés à ce que j’avais à dire. Il y a aujourd’hui davantage de place pour ce genre d’œuvres, il y a de plus en plus de spectacles, d’ouvrages littéraires, de témoignages, de films et de documentaires sur le sujet.
Vous critiquez la justice française, en quoi est-elle défaillante selon vous?
Je mets en exergue des chiffres, des affaires et des traitements judiciaires concrets qui montrent qu’en effet, la justice est défaillante. Les personnes qui disent qu’elle fait son travail sont dans un déni total. Il manque une véritable volonté politique, gouvernementale. Il faudrait changer les mentalités, mettre de l’argent sur la table pour ouvrir des tribunaux spécifiques pour les enfants, avoir des spécialistes qui les entourent, ouvrir des salles Mélanie pour les auditionner, etc. C’est primordial de dégager des moyens spécifiques contre ce fléau des violences masculines faites aux femmes et aux enfants, comme le fait l’Espagne par exemple depuis des décennies. Là-bas, dès qu’il y a un féminicide ou un infanticide, il y a un flash info. Ils ont aussi ouvert des centres où les hommes violents sont pris en charge avec un vrai suivi. Pendant les grossesses, les hommes qui s’apprêtent à fonder un foyer sont reçus durant une journée pour voir comment ils vont procéder quand leur bébé sera là. Les hommes violents peuvent sortir de cette spirale: la violence est une construction, elle n’est pas immuable, on peut la combattre, il faut la déconstruire, c’est aussi simple que ça.
Existe-t-il une spécificité française dans le traitement des violences sexuelles et des féminicides ?
En France, on baigne dans la culture du viol. Quand on voit que des hommes qui détiennent des milliers de fichiers pédopornographiques dans leurs ordinateurs se font interpeller avant d’être remis en liberté jusqu’au procès, qui a souvent lieu des années après, et que pendant ce laps de temps, ils ne sont pas emmerdés une seule seconde, on se rend bien compte qu’on est un pays complètement complaisant avec les violences sexuelles masculines. Et je rappelle que 98% des violences sexuelles sont infligées par des hommes.
Dans les affaires de violences sexuelles faites aux enfants, leur parole est-elle suffisamment prise en compte selon vous?
Malheureusement, non. Je reçois un nombre incroyable de témoignages de mères qui, suite à des révélations de leur enfant quant à des violences sexuelles que leur infligerait leur père, sont parties porter plainte et souvent, elles sont accusées d’aliénation parentale. La parole de l’enfant est niée car on accuse la mère de lui mettre des idées dans la tête et de manigancer tout ça pour porter préjudice au père. Malgré la loi Billon de 2021 (Ndlr: qui vise à protéger les mineur·es de crimes et délits sexuels et de l’inceste), la parole de l’enfant est toujours piétinée en France, et ce dès le commissariat. Ça va rarement jusqu’au procès: près de 72% des affaires sont classées sans suite. Et ce sont les mères qui sont vues comme des délinquantes, à qui on retire la garde de l’enfant qui est alors soit placé en foyer, soit chez l’agresseur présumé.
Vous reprenez Les Chatouilles au théâtre en janvier, l’art a-t-il un rôle important à jouer dans la lutte contre les VSS ?
Oui, bien sûr, l’art, quand il traite de la violence, apporte du beau dans le moche. Il nous amène à nous questionner, il plante une graine dans le cerveau, dans les tripes et c’est important. J’appelle aussi toutes personnes avec de la notoriété à monter au créneau, même si je sais que prendre une parole publique, c’est compliqué car il y a toujours des conséquences. Tous les jours, on me rappelle que j’y vais fort, que je dois faire attention pour mes financements ou autres. Il faut quand même le faire, car ça a du sens, ça porte ses fruits. Il faut savoir se mettre en danger, entre guillemets, pour faire avancer cette société. Je constate que de plus en plus de gens sont indignés, on va devenir de plus en plus influent·es, il faut simplement faire preuve de patience, même si c’est difficile lorsqu’on est en colère et que les féminicides se multiplient.
Les Chatouilles, du 12 au 28 janvier 2023 au Théâtre Libre (Paris 10)
Une Simple histoire de famille (Albin Michel), sortie le 4 janvier
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