Au sortir d’une année de tournages, l’actrice Golshifteh Farahani documente activement la révolte en cours dans son pays natal depuis le 16 septembre. Et raconte ses espoirs.
“Je te parle depuis Buenos Aires, avant de m’envoler pour Prague puis l’Espagne. Ce qui résume bien mon année 2022, remplie de voyages et de tournages. Tout en jouant dans le film Frère et Sœur d’Arnaud Desplechin, j’étais en même temps en train de tourner Tyler Rake 2 pour Netflix – un tournage très intense, aussi fatigant qu’inspirant, qui aura duré près de six mois –, avant de partir en Afrique du Sud pour la deuxième saison de Invasion, qui m’a occupée sept autres mois, après deux mois de préparation physique extrêmement durs en prévision des scènes d’action. En fin d’année, je vais avoir la chance de revenir en France, ce pays adoré qui m’a adoptée, pour un premier film de Saïd Belktibia, un réalisateur brillant. Au final, je fais très souvent des premiers longs métrages et je m’aperçois que je ne me trompe presque jamais.
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Depuis des années, je tourne sans cesse, même pendant la pandémie. Quand les gens étaient obligés de rester chez eux, je travaillais. Tourner avec Arnaud Desplechin, c’est comme aller à l’université pour moi, j’apprends beaucoup à ses côtés. J’ai tout fait pour participer à son film. J’étais accaparée par Netflix et, comme tu le sais, les Américains n’aiment pas partager, surtout quand les budgets sont sans comparaison. [sourire] Mais j’ai tellement insisté auprès de la production de Tyler Rake 2 qu’elle ne pouvait pas m’empêcher de rejoindre l’équipe d’Arnaud Desplechin. J’ai toujours adoré passer d’un univers à un autre, c’est comme pratiquer le surf entre des cinémas diamétralement différents.
Des moments où je n’ai plus aucun contrôle
Grâce à Tyler Rake 2 de Sam Hargrave, je suis tombée amoureuse de l’Afrique du Sud, un pays à la rencontre de deux océans : Indien et Atlantique. Là-bas, le mariage homosexuel est autorisé depuis des années, et ça m’a donné beaucoup d’espoir pour la révolte qui se déroule en Iran depuis le 16 septembre et la mort de Mahsa Amini, arrêtée pour “mauvais port du voile” puis assassinée. Peut-être qu’on le connaîtra bientôt dans mon pays natal.
D’Afrique du Sud, je me suis rendue ici, à Buenos Aires, pour chanter à l’invitation de Coldplay
[ils et elle ont interprété ensemble le titre farsi Baraye, de Shervin Hajipour, repris en hymne pendant les manifestations iraniennes] – ma vie est remplie de clins d’œil de Dieu, et la musique me murmure toujours aux oreilles.
Ce sont des moments où je n’ai plus aucun contrôle, c’est comme si j’étais choisie pour une cause au-delà de moi-même. C’était une expérience extraordinaire de chanter au River Plate Stadium devant autant de monde, parce que même si je sais chanter, je ne suis pas une chanteuse-née. Mais c’est sur scène que je me sens le plus à l’aise au monde, car j’y suis moi-même. Cela me rappelle mes jeunes années passées au conservatoire.
“Le mouvement dépasse la simple question du voile, mais les femmes restent encore le pôle central de la révolte en cours”
Ce qui se passe actuellement en Iran est très différent des autres mouvements de contestation. Car on a appris depuis le temps, à force de nous rebeller contre la République islamique et descendre dans la rue, à ne plus rien espérer pour ne pas désespérer. C’est la première fois de ma vie que je peux me projeter. J’entrevois enfin un avenir pour mon pays. Cela fait quarante-trois ans que la génération de nos parents nous dit que la fin de la dictature islamique est proche. Aujourd’hui, c’est nous qui pouvons enfin l’affirmer. L’Iran ressemble à une voiture qui roule avec un moteur cassé. Ça ne peut plus fonctionner, la jeunesse iranienne a arraché quelque chose au pouvoir théocratique qu’il ne pourra plus jamais récupérer.
Une révolution aussi personnelle que collective
Le mouvement dépasse la simple question du voile, mais les femmes restent encore le pôle central de la révolte en cours. Et si le mur du voile tombe, tout le reste va s’effondrer, comme pour la chute du mur de Berlin à l’automne 1989. Le régime ne lâche rien, le pouvoir des Gardiens de la révolution s’est construit sur l’oppression des femmes. Même sur nos passeports, le hijab doit être parfaitement porté, quitte à avoir des problèmes à la douane dans les autres pays car nous sommes méconnaissables sur la photo imprimée. On doit donc creuser sans relâche le puits de libération des femmes. Le reste suivra automatiquement. Hommes et femmes crient aujourd’hui d’une seule voix “Femme, vie, liberté”, ce n’était absolument pas le cas lorsque j’ai dû fuir mon pays il y a quinze ans. C’est une véritable révolution, aussi personnelle que collective. 2022, c’est le début de la fin pour la République islamique d’Iran.”
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