Le crooner canadien se confesse dans « Roadhouse 01 » , un second album maraboutant r&b, hip-hop et soul music.
La ville de Toronto abrite sans conteste une des scènes musicales les plus excitantes du moment. Dernière révélation en date, un certain Allan Rayman – qui a fait un passage éclair au Carmen (Paris) il y a quelques semaines. Avec une voix de crooner et des mélodies R&B, mordant autant sur le hip-hop que la Motown, le Canadien compte bien marquer les esprits cette année. Une sorte de Dr Jekyll & Mr Hyde, entre douceur et noirceur, séduction et rudesse.
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Plutôt mystérieux, ce vingtenaire vient de sortir son second album Roadhouse 01 chez Communion Music. Très timide sur les réseaux sociaux et avare en interviews, Allan nous offre une vidéo, en avant-première française et sous forme de court métrage, Verona’s Obsession. Sa première partie, clippant le très fameux titre 13, vous permettra de vous plonger illico dans l’univers de ce singulier personnage :
« Sa musique est la bande originale d’un monde qu’il s’est créé, et c’est vraiment unique. »
Il y a un peu plus de deux ans, Allan est encore inconnu de nos radars, et pour cause, il travaille bien sagement dans le secteur de la construction, tout en chérissant depuis sa plus tendre enfance la musique. Ce sont ses proches qui vont l’encourager à sortir de sa zone de confort pour se lancer à corps perdu dans un projet solo, Allan Rayman, comme il le confiait récemment dans sa toute première interview pour Billboard Magazine :
« J’ai un groupe d’amis qui m’a vraiment poussé à prendre ce projet musical au sérieux. Autour de moi, j’ai des gens qui me poussent à persévérer et qui me stimulent en permanence. »
C’est ensuite Ben Lovett du label Communion Records (également claviériste de Mumford and Sons), qui le prend sous son aile, lui-même conquis dès la première écoute :
« Parfois, on rencontre des artistes qui se contentent d’écrire des chansons pour écrire des chansons, et c’est génial et beau en soi, mais ça va beaucoup plus loin avec Allan. Sa musique est la bande originale d’un monde qu’il s’est créé, et c’est vraiment unique. Quand je l’ai rencontré, j’ai eu ce sentiment de respirer un grand bol d’air frais »
Après la sortie de son premier disque en 2015, Hotel Allan, dont sont extraits les élégants singles Graceland et 27, le Canadien transforme l’essai en février dernier avec un second projet Roadhouse 01, beaucoup moins conventionnel et s’éloignant de plus en plus des codes de la pop bankable. Au programme : une bande originale habitée et introspective, voire carrément flippante par moments.
« Je veux que les gens se sentent presque mal à l’aise quand ils écoutent cette musique, quelque chose qui les fassent ressentir un sentiment jusque-là méconnu. »
Un second disque à la limite de la schizophrénie ?
Pour ce second album Roadhouse 01, Allan Rayman s’est créé un personnage de toute pièce (et le décor qui va avec), en s’inspirant de sa vie et de son amour pour le cinéma. Cette personnalité c’est Mr Roadhouse. Construite en miroir, elle est aussi misogyne qu’Allan est tolérant, et aussi égoïste qu’Allan peut être généreux. En somme, Mr Roadhouse est son alter ego, celui qui lui permet de faire remonter à la surface et exagérer les coins les plus obscurs de sa personnalité.
« L’histoire d’Allan Rayman exprime la difficulté d’une personne essayant d’équilibrer les désirs personnels de sa vie – même si elle veut consacrer tout son temps au travail, elle doit aussi donner de soi-même aux personnes qui l’aiment. C’est donc cet équilibre-là dont il est question, et au final, Allan en est incapable. Il a créé Mr Roadhouse pour pouvoir jouir de ce caractère égoïste. C’est une sombre histoire et je n’en connais pour l’instant pas l’issue, bonne ou mauvaise. »
Si parler de son personnage à la troisième personne peut paraître totalement narcissique, voire prétentieux, on sent bien que c’est plus une arme de défense pour Allan, qui tente ainsi de mettre une distance avec son alter ego. Il y a aussi très certainement de la timidité. Cette peur des médias et des interviews, Allan l’évoque très ouvertement dans sa chanson Shelby Moves :
« Interview, interview, interview please
They wanna know about me
What you wanna know about? »
Un album composé en ermite
C’est dans une cabane enfouie au coeur de la forêt, non loin d’un village perdu du globe, à Lost Springs précisément, qu’Allan choisit de composer Roadhouse 01. En s’exilant dans la nature, il cherche à limiter au maximum ses relations amoureuses, amicales, ou tout simplement humaines. Ultra-sensible, Allan craint de se laisser emporter par ses émotions, ou pire, de se détourner de son travail d’artiste. Il évoque notamment cette ascèse dans la chanson Sweetheart :
« I’m running head down, not listening
Not listening, I don’t see them »« Music is only for mine, piece of mind »
En vivant en autarcie pendant de longs mois, il va ainsi partir en voyage intérieur. A la recherche de la vérité, ou plutôt de sa vérité, Allan Rayman n’hésite pas non plus à chanter celles qui dérangent en enfilant le costume de Mr Roadhouse. Comme sur le titre December, où il évoque l’histoire d’un couple qui doit renoncer à certains de ses rêves avec l’arrivée impromptue d’un enfant.
« Above money, above fame
Above love, give me truth »
(Wolf)
Toujours plus cruel, Mr Roadhouse confie sa peur panique d’être contaminée par la présence de l’autre, par son amour. Cet amour qu’il associe à la mort, au sens propre comme au sens figuré, sur l’intermède si férocement écrit et pourtant si mélodiquement enjoué Jim’s Story :
I want to tell you a story
It’ll only take a moment, bare with me
It’s about a man, a very selfish man
This man fears death, he believes true love is death
Death of a selfish man
But he is lonely, so he loves sufficiently to keep death away
Until true love finds him and kills him« Je veux vous raconter une histoire / ça ne prendra pas longtemps, restez avec moi / C’est l’histoire d’un homme, un homme très égoïste / Cet homme redoute la mort, il pense que l’amour véritable c’est la mort / La mort d’un homme égoïste / Mais il vit seul, il aime ainsi juste assez pour maintenir la mort à distance / Enfin jusqu’à ce que le vrai amour vienne à lui et ne le tue. »
(Jim’s Story)
Et plus l’album avance, plus Allan se laisse consumer par Mr Roadhouse, et son isolement. Sur Head over Heals, il se prend même pour un hors-la-loi (I’m a bad boy, I’m an outlaw / I’m a James Dean, she’s a beauty queen). Puis sur 25.22, il confie s’être tenu à distance de son amour de jeunesse pour se dédier à son art (« I ain’t got time no more / I got all the love with no time no more »). Pourtant, on finit par entre apercevoir une facette bien plus sensible de la personnalité d’Allan, qui reprend peu à peu ses esprits sur God Is a Woman :
« God is a woman, can she hear me now?
God is a woman, can she hear me now?
Is there anybody, anybody out there?
Is anybody home?
Or am I all alone? »(Refrain de God is a Woman)
Mr Roadhouse, un alter ego envahissant ?
Mélodiquement, impossible de ne pas pressentir cette personnalité multiple. Il y a cette intense énergie R&B, même si il est indéniable qu’Allan est aussi profondément marqué par le hip-hop, notamment dans son flow. Sans oublier l’omni-présence de vieux synthétiseurs et des guitares vibrantes, qui ont plus de liens de parenté avec la soul music. Quant à sa voix, tantôt rugissante et parfois beaucoup plus tendre et douce, elle semble entièrement maraboutée par son propre personnage, Mr Roadhouse.
Un envoûtement qui pourrait devenir plus qu’envahissant. Dans une discussion avec son label manager Ben Lovett, Allan Rayman nous rassure cependant et promet (non sans humour) de garder ses distances avec son propre alter ego :
Ben Lovett : « Le jour où tu changera ton nom d’Allan à Roadhouse, je crois que tu vas recevoir plus d »un coup de fil sérieux. »
Allan Rayman : « Oui, ma mère pour commencer. Elle ne cesse de me dire : « Ne deviens pas l’homme dont tu parles dans tes chansons » mais c’est un équilibre n’est-ce pas ? J’essaye de tempérer tout cela, même si cette histoire est sérieuse. Il y a de la vérité là-dedans, mais c’est bien une fiction, donc je ne vais pas me perdre.. enfin je touche du bois.
L’Album Roadhouse 01 (Communion Music / Barclay) est disponible sur Apple Music et en version physique sur le site de son label.
En concert : actuellement en tournée en Amérique du Nord. Une nouvelle date parisienne est prévue pour la rentrée 2017.
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