En vue de la présidentielle, Sarah Proust, secrétaire nationale à la formation du Parti socialiste, publie un plaidoyer contre le Front national. Une petit livre d’une centaine de pages où elle fait un constat lucide sur l’échec de la gauche face à la montée du parti d’extrême droite.
“Ne considérons pas que la victoire de Marine Le Pen est impossible parce qu’elle n’est pas souhaitable. Le risque existe, seule une bataille peut l’écarter.” Dès les premières pages de son ouvrage, Sarah Proust ne cache pas son ambition. Son nouveau livre, Apprendre de ses erreurs – La gauche face au Front National (Fondation Jean Jaurès), n’a pas pour but de dresser un constat sur le paysage politique français. Au contraire, la secrétaire nationale à la formation du Parti socialiste entend donner des pistes pour faire battre Marine Le Pen dans les urnes à la présidentielle.
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“Tourner la page et en écrire une autre”
Au sein du PS, elle s’occupe de la formation des militants. Au jour le jour, celle qui est aussi adjointe à la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris, est confrontée à des adhérents à la recherche de moyens pour rallier les électeurs frontistes à la gauche. Le but de ce petit livre est “de leur livrer une analyse et des outils nouveaux”. Ici, pas d’angélisme. Sarah Proust cherche à montrer ce qui n’a pas marché dans la stratégie de la gauche face au Front national – quitte à opérer une amère autocritique.
« Je ne suis pas chercheuse, je n’ai pas pour ambition de livrer une analyse exhaustive et objective, développe-t-elle. Je suis une responsable politique qui s’efforce de faire comprendre les errements de sa famille, pour tourner la page et en écrire une autre. »
Et parmi ces errements elle en retient six. D’abord trois erreurs de jugement dans la montée du vote frontiste, lors des dates charnières de la scission de Bruno Mégret en 1998, du 21 avril 2002 et des cantonales de 2011. Ensuite, elle détermine trois autres erreurs dans la pratique et le militantisme comme le fait de délaisser certains sujets, ou celui d’alimenter la confusion entre droites républicaine et extrême.
Le 21 avril n’est pas qu’une défaite de la gauche
La partie qui est peut-être la plus intéressante de son exposé est son analyse du 21 avril 2002. Elle traite de ce premier tour qui a vu la défaite surprise de Lionel Jospin non pas comme « un accident de parcours de la gauche« , mais bien comme une éclatante victoire du Front national. Une incompréhension dont la gauche pâtit depuis.
Considéré uniquement comme une défaite du PS, l’“effet [du 21 avril] pour le FN a été minoré”, explique l’élue. Selon elle, cette date doit être vue comme la victoire interne d’une stratégie prônée d’abord par Bruno Mégret et qui trouvera son exécution dans la dédiabolisation menée par Marine Le Pen. Avec le 21 avril, la France voit déferler presque quotidiennement des manifestations hostiles au mouvement. « Le FN était rejeté pour ce qu’il était depuis trente ans : le visage légale d’une extrême droite française nationaliste, antisémite, raciste et économiquement ultralibérale. » Et pour répondre à cette opposition qui poussa de nombreux électeurs de gauche à voter pour Jacques Chirac au second tour « une nouvelle stratégie émerge« .
Comprendre les bouleversements du monde et en avoir peur
Un autre point crucial pour comprendre la percée du Front était présent dès 2002 est lui aussi a été négligé par les caciques socialistes. « L’élection du 21 avril est celle où s’est pour la première fois (…) manifestée la césure entre des inclus et des exclus. » Sarah Proust explique que la défaite de Lionel Jospin n’est pas l’unique fait de ce beau dimanche de printemps où les électeurs de gauche – trop sûrs d’eux – ont préféré flâner qu’aller déposer leur bulletin.
Quelques mois après l’entrée en vigueur de l’euro et des attentats du 11 Septembre. Un peu plus de deux ans après la crainte d’un bug de l’an 2000 qui devait plomber internet, le 21 avril vient sanctionner une fracture entre un électorat urbain, diplômé et “une frange de la population qui comprend ces bouleversements mais en a peur, qui pense que la puissance publique ne les soutiendra pas dans cette évolution”. Une fracture qui ne cessera par la suite de s’accroître. Elle sera entérinée en 2011 par le think tank Terra Nova dans un rapport invitant le PS à laisser de côté les couches populaires pour s’adresser à certains segments de l’électorat (les minorités, les jeunes, les diplômés).
Un paysage politique sans Macron
Très convaincant sur les leçons à tirer du passé, l’ouvrage déçoit au moment d’aborder ce qui représente le cœur de la démarche de l’auteure, à savoir la mise en œuvre de solutions pour contrer la dynamique mariniste. Avec ses années de militantisme, Sarah Proust connait les travers à éviter. « Le mépris de classe nous empêche de réfléchir, de comprendre et donc de convaincre« , indique-t-elle très justement dans les dernières pages du livre. Elle a plus de mal à expliquer comment les éviter.
Par exemple, quand l’élue socialiste appelle à « investir tous les terrains », elle ne donne pas de moyen de procéder, reste sur des déclarations convenues. « Les militants de gauche ont toujours mené leur engagement dans divers cercles, gage d’efficacité. Le meilleur moyen de partager des idées reste de les diffuser dans des cercles autres que ceux dans lesquels elles sont produites« .
C’est enfin dans sa représentation d’un échiquier politique tripartite que le livre de l’adjointe à la mairie du XVIIIe est le plus décevant. Sarah Proust critique Marine Le Pen, parle aux socialistes, évoque le programme « conservateur et réactionnaire » de François Fillon mais oublie un acteur à son exposé – et pas des moindres. Difficile de parler de la future échéance électorale sans jamais évoquer Emmanuel Macron. Sauf que le candidat d’En Marche ! et favori des sondages n’y est nulle part. Drôle d’omission alors même que l’auteure critique la réticence de la gauche à se saisir de l’appellation « progressiste« , pourtant chère à l’ancien ministre de l’Economie.
Apprendre de ses erreurs – La gauche face au Front national, Sarah Proust, Fondation Jean Jaurès, 106 pages.
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