Le grand raout Jersey Live clôt la saison des festivals britanniques. Avec la France, voisine, et quelques uns de nos chouchous particulièrement bien représentés cette année. Récit d’un doux week-end anglo-normand par JD Beauvallet.
Entre la France et l’Angleterre, entremêlant au naturel deux traditions (accueil gourmand, efficacité redoutable mais discrète, courtoisie surannée), Jersey est une étonnante utopie. On ne parle pas ici (seulement) de l’île Anglo-normande, mais du grand festival du même nom qui, depuis quatre ans, marque la fin des grands raouts de l’été anglais – il faut dire qu’on arrive au début du mois de septembre, donc presque l’hiver ici ! Point de ralliement de toute la jeunesse de l’île (et de la voisine honnie de Guernesey), Jersey Live pose son barda dans les verts pâturages qui jouxtent la capitale St Helier. C’est en quelque sorte, dans le championnat interrégional du festival de rock le plus relax, le match retour de La Route du Rock, qui se tient à St Malo à un simple jet de ferry d’ici. Jersey Live partage avec son homologue breton un goût marqué pour le cadre bucolique, la convivialité et l’audace de programmation : sans têtes d’affiche exorbitantes, Jersey Live se distingue ainsi de la surenchère à laquelle se livrent des Reading ou Glastonbury, affichant des ambitions modestes et une programmation exigeante : ça n’empêchent les 10 000 places d’être vendues à l’avance.
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Miracle pour un festival anglais : il ne fait ni froid, ni humide en ce premier week-end de septembre. Beaucoup de jeunes filles sont quand même venues en bottes de caoutchouc (avec un tutu fluo – le must de la hype ici) : ça va sentir bon le soir à la maison. Invités, Les Inrockuptibles y ont pignon sur rue, dans une tente de 300 places parfaite pour faire découvrir des invités pas forcément connus du public anglais.
On y découvrira notamment les Valentines, des godelureaux qui marient la tonicité du Mersey Beat à la classe des Strokes – trois d’entre eux, avant un déménagement à Brighton sont nés à Jersey, ils sont donc accueillis en héros avec leurs pop-songs amphétaminés que le grand public découvrira prochainement en première partie des Babyshambles. Cocoon, qui vient de triompher devant 45 000 personnes aux Vieilles Charrues, rejoue avec humilité et respect ses propres débuts, quand le groupe était encore un duo totalement inconnu qui devait chaque soir tout prouver à nouveau. Malgré un son hésitant (le lendemain, pour un second concert, ils quitteront carrément la scène pour un vibrant set acoustique dans le public), Morgane et Mark emportent le public pourtant totalement ignorant de ses chansons et de leur succès français. Entre deux jeunes fans gagnées sur la foi de ce concert généreux, le programmateur d’un des plus gros festivals européens vient leur proposer de rejoindre son affiche l’été prochain : backstage, les yeux brillent.
Pendant ce temps-là, sur la grande scène, ce très jeune public, visiblement sevré de musique toute l’année, réserve un molle indifférence à The Whip, qui livre pourtant-là une rétro-rave carabinée. Premier triomphe, sur la même scène, pour Passion Pit, qui a largement peaufiné, éclairci, “popisé” ses concerts. Le groupe est devenu en quelques mois une mécanique rutilante et pourtant charnelle, loin des sets appliqués et récalcitrants du début d’année. Mike Angelakos, autrefois si réservé, s’est même métamorphosé en pitre, en entertainer, emportant les milliers de gamins extatiques dans sa pop arc-en-ciel. “Je n’arrive pas à croire que nous jouons sur la scène qui va être foulée par Dizzee Rascal”, dit-il avant d’abandonner sa place au rappeur londonien. Véritable tête d’affiche du premier soir, Dizzee Rascal donnera un concert puissant, félin et malin, irrésistible – comment (et pourquoi) lutter quand, en quelques secondes, il sample des hits signés KRS-One, M.I.A. et House Of Pain ?
Malheureusement invendable en France, le hip-hop anglais vient de réussir là son deuxième coup d’éclat, après une performance surréaliste de Dan Le Sac vs Scroobius Pip dans une Dance Arena normalement réservé à la débauche – le contraste entre les rimes obliques du rappeur et l’euphorie programmée du public est saisissant.
La “Inrocks Stage”, pendant ce temps, a accueilli le power-rock théâtral et méchamment garage des Irlandais de Fight Like Apes, puis le stadium-rock un rien incongru en un lieu si cosy de Boxer Rebellion, d’une efficacité infernale. La grande scène éteindra ses projecteurs après la grosse kermesse offerte par Basement Jaxx, qui n’atteindra jamais la ferveur du show de Dizzee Rascal. Côté Inrocks Stage, tout se termine dans l’allégresse avec des Naïve New Beaters qui ont décidé une bonne fois pour toute que la scène était leur habitat naturel, un lieu où ils peuvent danser, rigoler et aligner les tubes de pop mutante. Ils sont beaux comme des dieux et gigotent comme des asticots : l’Angleterre va finir par les aimer.
D’ailleurs, le lendemain, à 16 h, ils sont déjà d’attaque pour s’emparer de la scène de la Dance Arena, qui est depuis le début de journée aux mains de jeunes DJ’s ayant transformé le hangar en vaste surboum adolescente. Le public, électrifié au hip-hop, doit avoir 13 ans de moyenne d’âge – soit un peu plus que l’âge mental des frétillants Parisiens. Ils s’en sortent une fois encore avec panache, dans des conditions nettement plus difficiles que la veille.
Sur la grande scène, on a l’impression que les jardiniers se sont trompés de porte mais non, ce sont les Australiens de Temper Trap qui, malgré une dégaine approximative, possèdent en Dougy Mandagi un chanteur au charisme époustouflant, capable en deux refrains XXXL de faire chavirer la foule. Il ne néglige aucun effet pour chauffer le public au lance-flamme, avec ses chansons urgentes et affolées qui ressuscitent l’esprit des Smashing Pumpkins. Et pourtant, au bout de quelques chansons, le même constat d’impuissance que chez Twisted Wheel, les Kooks ou Boxer Rebellion, tous programmés ce soir : ce rock semble strictement étudié et conçu, en soufflerie, pour communiquer jusqu’au trois centième rang du public, dans tous les stades et prairies d’Europe. Une musique strictement fonctionnelle, pour laquelle on ne remercie pas U2. Car à son corps défendant, Bono a laissé dans la nature des dizaines de fils plus ou moins bâtards, plus ou moins honteux, dont le seul but semble être d’engraisser les programmations de ces grandes scène festivalières. On peut pourtant jouer lyrique, voire puissant, sans fatalement virer au rock héroïque : les excellents new-yorkais de The Antlers ou, surtout, le merveilleux Jack Peñate sur la grande scène, parviendront ainsi à faire vibrer la foule sans forcément utiliser ces recettes et tics pour briquets et masses.
A côté de l’efficacité un peu stérile et clinique des Kooks, on préfère le rock furibond et le hip-hop possédé de Gablé. Le public, qui ignorait pourtant tout de cet univers brut, réserve un triomphe aux Normands, venus en voisins.
La France continue de briller en ce second jour, avec un set toujours aussi volubile de Curry & Coco, étonnant trait d’union entre krautrock, disco et Europe (le groupe). L’avenir du duo passe, on en est désormais certain, par l’Angleterre : ce n’est qu’une question de mois, rêve-t-on. Malgré sa programmation hasardeuse dans une salle vide, Emily Loizeau offrira un set ahurissant de volupté et d’énergie – quel dommage que le grand public ait raté ce grand moment. On manquera malheureusement Kap Bambino et 2 Many DJ’s, pour quitter le festival sur une claque jouissive : le set déluré, plein de morgue et d’attitude, des Londoniens de Chew Lips, qui viendront dès janvier bousculer l’ordre étable des jeunes électroniciennes anglaises. La Roux peut déjà se faire des cheveux blancs.
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