C’est comme une apparition : Nadia Tereszkiewicz, 26 ans, joue le rôle principal des “Amandiers” de Valeria Bruni Tedeschi, qui sort aujourd’hui. Rencontre avec une évidence : elle est une actrice, une vraie.
Nadia Tereszkiewicz, l’interprète principale (même si c’est un film choral) des Amandiers, le nouveau film de Valeria Bruni Tedeschi, est une jeune femme bouillonnante, passionnée, diserte, drôle, aux grand yeux en perpétuel mouvement.
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Née d’une mère finlandaise, professeure de pilates, et d’un père directeur commercial d’origine polonaise, Nadia a une sœur, qui se destine à devenir avocate, et un frère adolescent. Comme elle le dit d’elle-même, elle a quelque chose de la bonne élève (elle a fait hypokhâgne et khâgne) : elle aime travailler, se laisser conduire par le metteur en scène, se couler dans son désir de jeu ou de personnage.
Nadia est de passage à Paris pour seulement quelques jours. Elle vient seulement de découvrir que l’affiche des Amandiers est collée partout dans Paris et s’en réjouit sans fard ni vanité. Elle joue en ce moment le rôle de Clémentine Delait (1865-1939), la plus célèbre des “femmes à barbe”, dans un film intitulé pour le moment La Rosalie.
Ce film se tourne depuis septembre “au fin fond de la Bretagne”, avec Benoît Magimel pour partenaire, sous la direction de Stéphanie Di Giusto, qui avait réalisé La danseuse en 2016 et dans lequel Nadia tenait un tout petit rôle – quasiment de la figuration – celui d’une danseuse justement. La danse est un art que Nadia Tereszkiewicz a longtemps voulu embrasser, avant de se rendre compte, dit-elle, qu’elle n’en avait “pas le niveau”.
Un parcours fulgurant
Au sortir de khâgne, elle s’inscrit à la fac mais réussit le concours d’entrée au cours libre du cours Florent. La voilà qui change de cap. Très vite, c’était il y a six ans, elle obtient des petits rôles. Ou des moins petits : elle joue dans Sauvages, le dernier film du regretté Dennis Berry, qui l’encourage à continuer dans la voie du cinéma ; dans Persona non grata de Roschdy Zem ; ou dans la série Canal+ Possessions, en 2020.
En 2019, elle tourne dans un film de Dominik Moll, Seules les bêtes, aux côtés de Valeria Bruni Tedeschi. Qui prépare son prochain film.
Mais la réalisatrice ne fait bénéficier la débutante d’aucun avantage ou de droit de préemption, garde presque ses distances… Elle passe les castings, comme tout le monde. Sans aucune garantie d’obtenir le rôle. Sur plusieurs mois. Nadia, comme les autres jeunes comédien.nes, doit travailler des scènes d’autres films, de pièces de théâtre, voir des films. Nadia garde l’espoir en se disant que même si elle ne fait pas le film, elle est en train d’apprendre son métier comme jamais peut-être.
Les Amandiers, une expérience de tournage unique
Une fois choisie, elle éclate de joie quand sa meilleurs amie obtient aussi un rôle… Mais elles ne sont pas au bout de leurs peines. Les répétitions durent un mois et demi. On travaille sans relâche, on improvise, VBT pousse ses acteurs dans leurs retranchements, veut leur apprendre la liberté, donc une certaine forme de liberté pour aboutir à une forme de vérité : “filmer à l’intérieur d’eux”, comme elle dit en interview. Ce film magnifique, qui raconte une génération de jeunes comédien.es apparue dans les années 1980 (dont faisait partie Valeria Bruni Tedeschi), est aussi le portrait des deux grands hommes de théâtre qui les choisirent et les formèrent, Patrice Chéreau et Pierre Romans. Et soudain, ce film devient aussi un lieu de transmission d’un savoir. Nadia et tous les autres jeunes gens le comprennent très bien.
Comme ils comprennent très bien que la sélection des acteurs.trices dans le film pour faire partie de la promotion du théâtre de Nanterre de Romans et Chéreau n’est jamais que la mise en abyme de ce qu’ils ont eux-même vécu pendant le casting du film. Les deux acteurs qui vont jouer les professeurs (Louis Garrel en Chéreau est absolument fantastique – on ne l’a pas assez dit ? – et Micha Lescot somptueux) se comportent aussi un peu comme ça dans la vie… Le théâtre dans le théâtre au cinéma. Ce film de fiction est aussi un vrai documentaire, en somme.
Nadia en parle avec un regard brillant, avec ferveur, consciente d’avoir vécu une expérience de cinéma unique ! Elle se souvient aussi combien le chef opérateur du film, Julien Poupard (qui a beaucoup travaillé avec Pierre Salvadiroi, mais aussi avec Ladj Ly, Roschdy Zem ou Louis Garrel), sans jamais dire un mot, se révélait parfois comme étant un véritable partenaire.
Nadia ne tarit pas d’éloges sur Valeria Bruni Tedeschi, mais je ne les énumérerai pas ici, ne souhaitant faire rougir ni l’une, ni l’autre. Sachez que Nadia se souvient très bien de l’attention que portait Valeria à des “détails” qui n’en étaient pas pour elles. Pour une scène, Nadia avait La Cerisaie de Tchekhov dans son sac. VBT le remarque. “La Cerisaie ? Non, c’est Platonov que tu dois avoir dans ton sac, même si on ne le verra pas à l’écran« . “Et c’est vrai qu’on ne joue pas pareil quand on a La Cerisaie ou Platonov dans son sac, même si personne ne peut pas le voir à l’écran !” s’enthousiasme Nadia Tereszkiewicz.
Elle se rappelle aussi ce jour où, alors qu’elle devait jouer un fou-rire, la fatigue du tournage l’avait asséchée. Elle ne parvenait plus à rire. Valeria Bruni Tedeschi demanda à Louis Garrel de venir et, derrière la caméra, de faire le pitre. Réussite totale. Nadia en rit encore. Elle sort du tournage à la fois épuisée et heureuse.
Un nouvel astre du cinéma français
On voit la jeune actrice dans deux clips du dernier album de Benjamin Biolay, ceux de Comment est ta peine ? et Comme une voiture volée, tournés sur une plage par Marta Bevacqua. Puis ce fut Cannes et la présentation des Amandiers en compétition, en mai dernier.
Je découvre que Nadia semble une habituée des rôles à costumes. Car depuis Les Amandiers, elle a tourné deux films. L’un avec François Ozon, Madeleine (un film policier qui se déroule dans les années 1930, avec Isabelle Huppert et Dany Boon !), l’autre avec Robin Campillo (120 battements par minute), qui se déroule à la fin des années 1960 à Madagascar et s’intitule Vazaha (les blancs).
Mazette ! “On se l’arrache !” aurait-on lu dans la presse populaire il y a cinquante ans. Et Berlin et Cannes 2023 arrivent déjà à grandes pattes… Pas de doute, nous reverrons bientôt Nadia Tereszkiewicz, une débutante qui ne l’est plus, dont le nom de famille va nous devenir familier. Bienvenue !
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