Le groupe de Frédéric Oberland et Stéphane Pigneul revient du Liban avec un troisième album mêlant post-rock, free-jazz et musique traditionnelle. L’occasion de discuter de leurs voyages en Méditerranée, de leur conception de la politique et de la quête perpétuelle d’épiphanies.
L’histoire d’Oiseaux-Tempête s’écrit par le voyage. Les deux précédents albums de ce groupe mené par Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul s’inscrivaient dans le cadre de périples méditerranéens. Oiseaux-Tempête était sorti en 2013, après un séjour dans une Grèce en pleine crise, tandis que Ütopiya? (2015) suivait un voyage dans la Turquie mouvementée d’Erdogan.
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Fin février, Oberland et Pigneul sont partis au Liban rencontrer des musiciens de la scène underground locale, avec lesquels ils se sont lancés dans de longues séances d’improvisations, en studio comme en live. Ce sont de ces moments d’épiphanies qu’est né AL-‘AN!, troisième album qui sortira le 14 avril prochain chez Sub Rosa. Comme à son habitude, Oiseaux-Tempête y mêle avec brio post-rock, électronique, free jazz et – addition – musique traditionnelle. L’occasion pour nous de discuter de voyages en Méditerranée, de politique, de leur quête perpétuelle d’épiphanies et de piafs.
Pour commencer, on va parler du nom du groupe. C’était les idées de voyage et de tourmente qui vous plaisaient ?
Stéphane Pigneul – L’association des deux mots nous plaisait, mais c’est aussi le nom d’oiseaux qui existent vraiment qu’on appelle les storm petrels en anglais et qu’on ne voit qu’en haute mer. Les marins les connaissent bien, car ce sont des oiseaux dont la présence annonce la tempête.
Frédéric D. Oberland – On cherchait une sorte de nom totémique et on est tombés là-dessus.
Vos précédents albums parlaient de la Turquie d’Erdogan et de la crise grecque. Vous considérez-vous comme un groupe politisé ?
F.O – Nous ne sommes pas encartés et nous ne faisons pas de meetings, mais de la musique. Cela dit, je pense que c’est un peu notre devoir en 2017 dans l’environnement où nous vivons d’investir le réel et de ne pas couper l’art du politique.
S.P – Nous n’avons jamais voulu être trop politiques, mais force est de constater qu’on ne peut pas faire autrement. Avec la musique qu’on défend, on ne peut pas laisser de message, on glisse seulement des choses – parfois par la musique, parfois les poèmes, les textes ou les photos de Fred – mais on ne veut pas asséner un discours.
F.O – Comment tu fais ta vie ? Avec qui tu décides de faire des trucs ? Qu’est-ce que tu acceptes ? Qu’est-ce que tu n’acceptes pas ? Le politique démarre chez toi au quotidien. Quand tu fais de la musique DIY, il y a un choix intrinsèque qui est déjà fait. Mais, l’idée de départ, c’était de faire de la musique, de rencontrer des gens et d’échanger. On assume notre côté politique, mais on n’a pas la prétention de vouloir changer le monde avec un disque. Ta vie peut être changée par plein de petites choses au quotidien. Si nos disques opèrent pour une seule personne, c’est déjà un bon point de départ. Pour notre dernier album, aller au Liban et essayer de faire des choses avec la scène locale, c’est sûr qu’on s’inscrit dans quelque chose.
Justement, pourquoi vous êtes-vous tournés vers le Liban cette fois-ci ?
S.P – On voulait continuer le voyage autour de la Méditerranée. Après la Grèce, la Turquie et la Sicile, on a choisi le Liban. On avait déjà quelques attaches là-bas. On a rencontré ces deux figures de la scène underground libanaise, Sharif Sehnaoui et Charbel Haber, qui nous ont aidés à rencontrer d’autres musiciens. Au total nous sommes une douzaine sur cet album. C’était un bon point de départ pour rentrer dans quelque chose de musical et de se faire une autre image du Liban que d’un pays en guerre.
Ça vous a donné quelle image ?
S.P – Une fois là-bas, on a été emportés par la vague de générosité. Ce n’est pas un pays facile à cerner. Il y a 17 communautés culturelles et religieuses. Il faut compter tous les points de vue, ne jamais fâcher les gens…
F.O – L’art du compromis…
S.P – C’est ça ! On a appris à se faire à l’art du compromis, mais en se laissant aller aussi un petit peu. D’un côté il y a un chaos, mais de l’autre, il y a une générosité incroyable. Si tu acceptes, tu te laisses aller à cette vague humaine d’entraide, il peut se passer beaucoup de choses… ou pas ! C’est le fameux “Inch’allah”.
F.O – En plus de la générosité, les gens qu’on a rencontrés là-bas avaient une nécessité de faire de la musique. Ils ne se demandent pas s’ils vont pouvoir choper le statut d’intermittent, ni à qui ils veulent vendre leur musique. La vraie nécessité pour eux est dans ta musique et dans ce qu’ils vont essayer de faire au quotidien pour donner de la lumière et espérer. Ça, c’est très fort.
Vous mélangez beaucoup de genres : post-rock, free-jazz, punk, musique traditionnelle… À tout cela vous rajoutez des poèmes et des visuels à travers lesquels vous revendiquez des influences littéraires et cinématographiques. Quels sont les artistes qui vous influencent le plus aujourd’hui ?
F.O – Je pense que nous avons tous les deux des influences – parfois communes, parfois pas. On n’a jamais pensé ce groupe comme s’inscrivant dans la lignée de quelque chose, même si on peut se sentir proches d’une scène qui n’a parfois pas grand-chose à voir avec nous.
S.P – Peut-être que quand tu as vingt ans tu as envie de t’inscrire dans quelque chose. Mais au bout d’un moment, tu finis par vieillir. Nous aussi, même si on est un groupe jeune. On ne réfléchit plus trop à ça. Heureusement, il y a certaines influences qui ont été un peu digérées. Nous, on improvise beaucoup, ce qui ne nous donne pas le temps de penser de cette manière. Au final, ça sort, et c’est comme c’est. Notre musique est collective, car on fait appel à plein de gens et l’échange joue un rôle important. Au niveau du cinéma, c’est forcément marqué, car Frédéric a fait la FÉMIS et nous avons plein d’amis cinéastes.
F.O – On nous dit souvent que notre musique est cinématographique. Ça non plus, ce n’est pas une volonté. On ne se dit pas qu’on va faire une bande-son pour un film sans image. Au départ, on sait simplement qu’on va aller en studio, improviser, essayer des choses et espérer créer un peu de magie. Peut-être, effectivement, que sur AL-‘AN!, on a intégré les field recordings de manière encore plus solide qu’avant. C’est-à-dire qu’il y a certains morceaux qui ne peuvent pas tenir sans et dans lesquels ils sont presque aussi importants que le chant ou qu’une ligne de guitare ou de basse. En fait, l’idée c’était de retranscrire notre expérience de vie.
Musicalement, on sent que vous êtes libres sur AL-‘AN!. Vous parliez d’improvisation tout à l’heure. Comment fonctionnez-vous par rapport au processus de création ? Comment choisissez-vous les musiciens qui vont vous accompagner ?
S.P – Tout se fait au feeling. On a toujours été au studio sans avoir rien préconçu. Pour le premier disque, Stéphane Charpentier qui collabore avec nous, avait projeté des films. Cette fois-ci, on est carrément partis avec deux cinéastes, Grégoire Oriot et Grégoire Couvert (As Human Pattern), pas dans l’idée de documenter mais pour faire quelque chose qui servira de base au live qu’on démarrera au printemps.
C’est également arrivé qu’on soit en studio avec des gens avec qui on avait moins d’une heure pour jouer. Sans oublier les moments où les gens ne viennent pas ou les coupures d’électricité. À un moment, il faut se lancer. Nous, on enregistre beaucoup comme ça. On repart ensuite avec toutes ces bandes et on voit ce qu’on a. On choisit les meilleurs passages et on donne de la cohérence à toutes ces improvisations. Avec AL-‘AN!, on a essayé de pousser au maximum cette façon de travailler. Ça nous laisse le temps d’oublier ce qu’on a fait, puis de le redécouvrir. Avant de partir en tournée on réapprend à jouer.
F.O – On prend des risques en essayant de sortir de notre zone de confort. Ce qu’on cherche en réalité, ce sont des épiphanies : des moments réels, vécus avec d’autres gens et qui te dépassent. Parfois tu te casses la gueule, mais tu ne peux y arriver que si tu sors de ta zone de confort. Avant d’aller en studio, on a une idée du son qu’on veut avoir, mais en soi, la construction se fait sur le moment. Ça repose un peu sur la confiance. Il y a peut-être une sorte d’alchimie récurrente que nous avons avec Stéphane depuis le début, mais on essaye de faire en sorte qu’elle ne tourne pas à vide. C’est comme une matrice qui permet à d’autres choses de pouvoir exister. Avant de partir, on avait une idée de certaines choses qu’on voulait essayer, des instruments comme le bouzouki ou l’oud ; du chant en arabe ; un peu d’électronique. On ne voulait pas refaire un disque exactement comme Ütopiya?.
Il y a un titre extrêmement puissant dans cet album, Through The Speech of Stars, un morceau de 17 minutes sur lequel est récité un poème de Mahmoud Darwich.
F.O – Sur ce morceau, c’est Jos (G. W. Sok – chanteur de The Ex), qui narre le poème de Darwich. On a fait le morceau en session d’improvisation au Liban. En revenant à Paris, on s’est mis à le jouer quand Jos était avec nous. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il s’agit d’un morceau qui nous a pris énormément de temps à mixer et Jos a réussi à le réinvestir en une seule prise. En fait, ce morceau est à l’image de l’album : beaucoup de choses se sont faites en une seule prise.
AL-‘AN! Sortira le 14 avril. Oiseaux-Tempête sera en tournée dans toute la France à partir du 27 avril.
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