Traditionnellement tenus à l’ombre des rappeurs, les beatmakers semblent aujourd’hui déterminés à sortir du bois. En France, les plus connus s’appellent Myth Syzer, Hologram Lo’, DJ Weedim ou encore Mani Deïz, mais tous contribuent actuellement à l’effervescence d’un hip-hop plus que jamais à l’avant-garde.
“Le plus dur pour un beatmaker qui débute, c’est de trouver sa patte, que son style soit reconnaissable en quelques mesures”, pose d’emblée Mani Deïz, comme une évidence. Avant d’entrer dans le détail : “Au final, la production, c’est comme les arts martiaux : tu passes tes katas, tu as ta ceinture noire et, seulement après ton sixième dan, tu peux commencer à réinventer la pratique.”
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S’il paraît difficile de contredire celui qui a produit des sons pour Lacraps, Lucio Bukowski ou Kool Shen, il semble tout aussi évident de constater que nombre de beatmakers n’ont pas attendu d’avoir fait leurs armes pour innover et imposer le rap comme le genre le plus avant-gardiste des années 2010. Ikaz Boi, par exemple, s’est rapidement retrouvé derrière les titres les plus ambitieux d’Hamza ou Deen Burdigo. Aujourd’hui, il tente d’expliquer pourquoi le rap est en train de ringardiser les autres genres musicaux :
“Ça vient juste du fait que les producteurs écoutent de tout aujourd’hui et qu’il est parfois impossible de dire à quoi ça ressemble. Moi, par exemple, je produis pour les autres, pour moi-même, je fais aussi DJ et je suis signé chez Savoir-Faire, un label électro. Il n’y pas de barrières : d’ailleurs, je serais chaud de travailler avec Christine & The Queens ou Sébastien Tellier à l’avenir.”
« Capter une alchimie »
Autant dire que les producteurs actuels se fichent des préconçus et des concessions : ils avancent à l’envie, à l’instinct et, surtout, au gré des rencontres. Tous les beatmakers interviewés dans le cadre de ce papier expliquent ainsi ne bosser que sur des projets communs, en studio, et refusent globalement de collaborer uniquement par mail. Quand Ikaz Boi dit travailler “uniquement avec des artistes qui veulent mes productions”, Eazy Dew, l’homme de main de Josman, se veut plus philosophe :
“Je préfère parler avec un artiste pour m’imprégner de ce qu’il veut et de ce dont il a besoin plutôt que de travailler sur commande. Ce que j’aime, c’est capter une alchimie. De toute façon, quand j’allume les machines, je ne sais jamais ce que je vais faire. C’est uniquement en écoutant d’autres musiques et en discutant que les choses commencent à prendre forme.”
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Rigueur professionnelle et internationalisation
En écoutant d’autres musiques et en travaillant, également. Quand Mani Deïz dit faire des journées de dix ou quatorze heures, Eazy Dew, lui, reconnaît bosser sur des prods presque toute la journée. Et, visiblement, la méthode porte ses fruits, tant les beatmakers hexagonaux parviennent à s’exporter et à collaborer avec des rappeurs américains, anglais ou allemands. Astronote et Brodinski sont bien évidemment les exemples les plus connus, mais Ikaz Boi touche lui aussi du doigt le rêve américain. Après avoir fait son entrée sur le marché US grâce à Chance The Rapper, le comparse de Myth Syzer est allé jusqu’à partager un studio avec PartyNextDoor l’été dernier. Forcément, il en garde un excellent souvenir :
“C’était à Los Angeles, et il y avait Travi$ Scott et Quavo de Migos. C’était hyper détendu, pas du tout compliqué. On estime souvent que les ricains ne pensent qu’à la thune, mais les mecs bossent ensemble pour se faire plaisir artistiquement, et sont prêts à s’ouvrir à n’importe quel pays du moment que la prod correspond à un coup de cœur.”
Derrière les sons d’Alkpote et de Vald, DJ Weedim tente quant à lui d’expliquer l’internationalisation des beatmakers français d’un point de vue historique :
“Si tu regardes bien, on a toujours eu de bons producteurs en France. Déjà, à l’époque du disco, les américains étaient à fond dans ce que l’on pouvait faire. Pareil avec la French Touch. Alors, okay, c’est quelque chose d’assez nouveau dans le hip-hop, mais ça vient juste enfin prouver que l’on n’a rien à leur envier. Encore moins aujourd’hui, à l’heure où on a juste besoin d’un laptop pour composer et faire de grandes choses.”
Hommes de l’ombre
Et ces “grandes choses”, il suffit de tendre l’oreille pour les entendre, tant les producteurs redoublent de créativité, d’ambition et de minutie dans les arrangements. Quitte à voir le manque de reconnaissance accordée à ces hommes de l’ombre comme une injustice ? C’est en tout cas ce qu’avance DJ Weedim, qui regrette le manque de considération accordée aux producteurs, l’absence de crédits et la nécessité d’être présent sur tous les fronts (tournées, studio, etc.) pour vivre de son art. “Hormis Madizm ou DJ Mehdi, les producteurs ont quand même rarement eu la chance d’être mis en avant. Pour moi, c’est un phénomène très récent, que l’on peut dater aux premières collaborations entre Therapy et Booba.”
De son côté, Eazy Dew, tente de nuancer :
“Il y a de bons et de mauvais côtés. L’avantage d’être en retrait, c’est que ça permet de gérer le quotidien plus facilement. Le mauvais, c’est que ça implique moins de reconnaissance. C’est à toi de savoir ce que tu cherches, sachant que l’on connaît tous des titres qui nous ont traumatisé sans savoir qui en est le producteur.”
Et Mani Deïz de conclure : “Perso, je me fiche de cette reconnaissance. Si les beatmakers veulent de l’exposition, ils n’ont qu’à être rappeurs. Okay, la réussite d’un morceau dépend autant du producteur que du MC, mais il faut accepter le fait que l’on soit profondément des hommes de l’ombre. Moi, j’aime ça.”
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