L’interview du Président au 20 heures est devenue un pur exercice de communication. Malgré des dérapages verbaux et de grossiers mensonges.
Nicolas Sarkozy dans les médias. L’histoire déjà longue et largement commentée de ce qui relie l’un aux autres repose en partie sur un paradoxe : le décalage entre son omniprésence, à la mesure de sa théorie de “l’omniprésidence” et la rareté de sa confrontation directe avec des journalistes, entre quatre murs, dans le blanc des yeux.
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Avec son entretien accordé à Laurence Ferrari et David Pujadas dans les journaux de 20 heures de TF1 et France 2 du 23 septembre, huit mois après sa grande conférence de presse du 5 février, le Président renouait avec un exercice ritualisé, que les présidents successifs en France ne goûtaient qu’à moitié, habités par la conviction que la parole présidentielle doit se faire exceptionnelle et erratique pour mieux rayonner (une stratégie de la prise de parole clairsemée, théorisée par Jacques Pilhan1, conseiller de François Mitterrand et Jacques Chirac).
Depuis New York, ce mercredi 23 septembre, à la veille du sommet de G20 à Pittsburgh, Sarkozy avait besoin de livrer sa bonne parole à son pays lointain, comme si la séparation de l’océan Atlantique lui conférait soudainement la gravité d’une posture de résistance (comme de Gaulle séparé de son pays par la Manche, en juin 1940). Une résistance à quoi ? A l’Iran d’Ahmadinejad, aux “coupables” de l’affaire Clearstream, à la gauche qui hurle, aux opposants à la taxe carbone et surtout au capitalisme “devenu fou” et “la spéculation sans limite”.
Au-delà du tour d’horizon de l’actualité, y compris hexagonale (une première sous la Ve République : un président ne parle traditionnellement jamais de politique intérieure depuis l’étranger), cette interview aux petits oignons lui permit de mettre en scène son nouveau credo communicationnel, inauguré avec son discours de Toulon il y a un an. Conscient de l’intérêt de se positionner sur ce terrain évidemment porteur dans un pays écoeuré par les dérives de la finance et les abus des traders, Sarkozy, nourri de sondages et d’études d’opinion, trouva face à Ferrari et Pujadas l’espace adéquat pour embellir ses nouveaux habits de rebelle anticapitaliste.
A cette opération de communication, aux ficelles tellement grosses, ses intervieweurs polis et “jet-lagués” (arrivés le matin même à New York) ne surent opposer une quelconque réplique, sans parler d’un questionnement embarrassant. En 36 minutes, les intervieweurs n’avaient pas le temps (ni l’envie ?) de s’attarder sur des détails, fussent-ils énormes (les “coupables” pour désigner les prévenus dans l’affaire Clearstream, les contradictions sur le forfait hospitalier, ses propres convictions libérales et ses accointances avec la finance…) : ce dont quelques journalistes vedettes, mais exclus du rituel (Alain Duhamel de RTL ou Thomas Legrand de France Inter) s’étranglèrent le lendemain matin dans leurs éditos en brocardant leurs collègues trop mous à leurs yeux.
Le seul intérêt de cet exercice de pure communication, qu’on voudrait encore nous faire passer pour de l’information tient dans sa règle du jeu paradoxale : le téléspectateur est invité en creux à croire exactement le contraire de ce qu’il entend. Quand Sarkozy affirme sans vergogne qu’il ne pense jamais à sa réélection de 2012, alors que tout le monde, par-delà les commentateurs politiques, devine bien qu’il s’y prépare tous les jours, chacun rit devant son poste. En dépit de tous les conseils livrés par des stratèges hors pair en com, le mensonge éhonté, à peine feint, reste une règle d’or de l’interview d’un président. Sa parole compte moins que l’artifice de son énonciation, sa sincérité se perd dans les bas-fonds des arrière-pensées.
1. Le Sorcier de l’Elysée. L’histoire secrète de Jacques Pilhan de François Bazin
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