Le comité chargé de réfléchir à une refonte de la procédure pénale en France rendra son rapport à Nicolas Sarkozy aujourd’hui. Parmi les propositions figure la suppression du juge d’instruction : une régression démocratique pour bon nombre de magistrats.
Nicolas Sarkozy l’avait appelée de ses vœux lors d’un discours devant la Cour de cassation en janvier dernier, la suppression du juge d’instruction est désormais clairement programmée. Un rapport, confié en octobre 2008 par Rachida Dati à un comité de juristes dirigé par l’ancien haut magistrat Philippe Léger afin d’avancer sur la réforme du code pénal sera rendu au président de la République dans la journée. C’est la première étape avant une consultation suivie de la rédaction d’un projet de loi sensé rendre le droit « plus cohérent et plus lisible ».
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Dans les grandes lignes, le rapport propose l’introduction du « plaider coupable » afin d’alléger les procès d’Assises, la réduction des temps de détention provisoire ou la limitation des gardes à vue aux infractions débouchant sur des peines de prison. Mais c’est bien la suppression du juge d’instruction préconisée dans le rapport qui fait aujourd’hui polémique.
Pour rappel, le juge d’instruction s’occupe de 3 à 4% des affaires pénales (le nombre étant allé en se réduisant d’années en années). Une part minime mais qui concerne les cas les plus sensibles, « ceux qui impliquent des personnalités politiques, des chefs d’entreprise, des gens puissants, en somme des affaires délicates aux enjeux importants » résume Serge Portelli vice-président au tribunal de Paris, président de la 12ème Chambre correctionnelle et membre du syndicat de la magistrature.
Institué en 1808, le juge d’instruction est saisi par le parquet. Il dispose de pouvoirs élargis, ce qui avait fait dire à Balzac en 1847 qu’il était le « personnage le plus puissant de France » (in Splendeurs et misères des courtisanes).
Plus près de nous, le juge d’instruction a le visage de Renaud Van Ruymbeke, d’Eric Halphen ou d’Eva Joly. Il est celui qui déterre des affaires de finances, de santé publique ou de terrorisme en toute indépendance : personne ne peut lui donner d’ordres et il est libre de mener les investigations qu’il juge utiles.
Pour justifier la disparition du juge d’instruction, les membres du comité invoquent un système archaïque, la solitude du juge, des instructions trop longues et une double casquette embarrassante d’enquêteur et de juge. « A la fois Salomon et Maigret » selon les mots de Badinter, « pas totalement juge et pas totalement enquêteur » pour le rapport, le juge d’instruction devrait donc laisser sa place aux magistrats du parquet.
« Une régression démocratique » pour beaucoup de juristes car à la différence du juge d’instruction, le procureur de la République est, lui, subordonné hiérarchiquement au garde des Sceaux. Ainsi, concrètement, la substitution du parquet au juge d’instruction implique le contrôle par le pouvoir exécutif de l’ensemble de la procédure pénale. Soit une emprise renforcée du pouvoir exécutif sur la justice.
Face à la polémique le gouvernement invoque un nouveau « juge de l’enquête et des libertés » sensé jouer un rôle de contrôle et d’arbitre. Un « alibi » pour l’Union Syndicale des Magistrats. « À ce niveau, c’est carrément un cache-sexe » ironise Serge Portelli en ajoutant : « tout le pouvoir va être transféré au procureur de la République ».
Ce même procureur de la République, pointé du doigt en juillet 2008 par la Cour européenne des Droits de l’Homme qui estimait qu’il ne pouvait être considéré comme une autorité judiciaire (« Le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». Arrêt MEDVEDYEV c/ France, CEDH, 10 juillet 2008).
Pour Serge Portelli, « on ne peut pas rendre un jugement plus sévère et plus serein ». Pendant ce temps, Michèle Alliot-Marie, actuelle garde des Sceaux, s’emploie à affirmer que « la suppression du juge d’instruction s’accompagne de garanties supplémentaires qui sont données aux victimes et à la défense ». « Au pire c’est un mensonge, au mieux c’est une plaisanterie » embraye Portelli.
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