Séquestré, violé, tabassé durant près de 48h à Marseille, Zak Ostmane, militant LGBTI, nous raconte son cauchemar alors que ses deux agresseurs présumés sont détenus à la prison des Baumettes en attente de leur procès.
« Frappé » est le mot qui ne cesse de revenir dans la bouche de Zak Ostmane. Comme si le militant LGBTI âgé de 37 ans cherchait à se dégager de son traumatisme à force de marteler le même participe passé et ses synonymes : « tabassé », « roué de coups », « agressé », « martyrisé ». Vendredi 3 mars, aux alentours de 20 h, le membre fondateur de Shams France, une association d’aide aux personnes LGBTI d’origine maghrébine implantée depuis le printemps 2016 à Marseille, sort boire un verre, seul, dans l’un de ses bars préférés, le Polikarpov, qu’il fréquente depuis trois ans et dont il connaît les proprios.
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Il boit un café, une pinte, et se lance sur la piste de danse. « J’ai laissé mon verre traîner un peu partout, notamment sur une table à l’entrée », explique-t-il. Il le récupère, boit dedans. Se sent bizarre, « comme un zombie, un robot. » Un homme s’avance vers lui. Il ne le connait pas. « Il m’a proposé de le suivre boire un verre. Je n’ai pas dit oui, j’ai juste suivi ». Dans la rue, Zak Ostmane s’aperçoit qu’ils ne sont pas seuls et qu’un autre homme est là. « Ils m’ont emmené dans un hôtel, mais j’étais si drogué je pense, même si j’attends les résultats du labo, que je pensais que c’était une maison. »
« Je me suis réveillé et je me faisais sodomiser »
Là, le cauchemar commence. Zak Ostmane se retrouve seul avec le premier homme, le plus âgé, qui lui propose bière et coke. Il refuse la drogue, boit une gorgée de bière, reçoit un coup de poing sur le visage, s’effondre.
« Je ne me souviens pas de la suite. Je me suis juste réveillé et je me faisais sodomiser. J’ai essayé de me débattre, mais il m’a frappé. Quand il a eu fini, il m’a demandé d’aller me laver. Je l’ai fait. Je suis revenu, j’ai récupéré mon petit sac en cuir et je m’apprêtais à partir. Il m’a tabassé. »
Au deuxième qui rapplique, le premier sort : « Il a essayé de m’embrasser. » « C’est ce que les policiers m’ont traduit suite à ma confrontation avec le plus jeune. Et c’est là que j’ai compris qu’il devait refouler son homosexualité. » D’après lui, les coups ne cessent de pleuvoir. Les deux agresseurs récupèrent sa carte bleue. Mais Ostmane leur donne un faux code. « Le jeune revenu bredouille m’a frappé comme jamais. Alors j’ai donné le bon, mais il a réussi à se faire avaler la carte par le distributeur… » Défoncés à l’alcool fort et à la coke, le plus âgé déchire un drap et le ligote à une chaise.
« J’étais comme ces sacs de sable sur lesquels tapent les boxeurs. Je hurlais. Il me traitait de sale PD, de sale Français parce qu’on déteste Trump mais qu’on aime bien les Arabes et les Noirs. Il disait que Trump était le meilleur, qu’il allait devenir un bon président. Je n’ai pas de mot pour le qualifier. »
Les deux se vantent aussi d’être des légionnaires, des « durs« . Le plus âgé finit par soulever la chaise, et la projeter contre un mur. « Mon nez a craqué, ça pissait le sang. J’ai hurlé car la douleur était insupportable. Mais ça n’a fait que les mettre en colère. Le plus jeune a sorti un couteau, me l’a mis sous la gorge et m’a dit : ‘ta gueule sale PD, si t’arrêtes pas de crier, on te tue.' »
« J’ai su que j’avais 20 secondes »
Le samedi, les agresseurs le laissent un peu tranquille, décidant plutôt de mater du porno en se masturbant. « J’étais allongé, j’avais de la fièvre, je tremblais. » Vers 23 h, le plus âgé lui enlève son étoile de David en or, cadeau de sa mère. « Il m’a dit : ‘C’est dommage qu’Hitler ait disparu avait d’avoir pu exterminer tous les Juifs, les Arabes, et les Noirs.' » Le jeune repart, et revient avec de la coke. « Je pense qu’il a vendu la chaîne pour s’en procurer. » C’est reparti pour une session de porno intensif. « J’étais comme leur bête. »
La porte est verrouillée et le plus âgé garde la clé dans sa poche. Vers midi le dimanche, les deux agresseurs somnolent. Zak Ostmane s’approche doucement de la fenêtre et aperçoit une voiture de police avec trois policiers en train de bavarder à l’extérieur. « J’ai su que j’avais 20 secondes pour passer à l’acte. Je me suis dit : ‘Si je crie mais que les policiers ne viennent pas, ils me tuent, mais si je reste, il me tue aussi.' » Il se penche le plus possible au rebord de la fenêtre, appelle à l’aide, réveille au passage les deux endormis, qui rappliquent pour le faire taire. « L’un des deux me bouchait la bouche pendant que l’autre répondait à l’interphone que les policiers actionnaient. Mais je l’ai mordu et j’ai hurlé. Donc les policiers sont montés. »
Les deux hommes arrêtés sont deux légionnaires, l’un de la Légion étrangère âgé de 31 ans, et l’autre du 2e régiment d’infanterie (REI) de Nîmes signalé comme déserteur depuis une semaine. Tous deux ont été mis en examen pour viol, séquestration, vol aggravé, violences aggravées et extorsion. « L’homophobie n’a pas été retenu, note Zak Ostmane, ce qui me choque beaucoup. »
A l’accueil de l’hôtel, un responsable s’est permis de lui indiquer : « C’est aussi votre responsabilité car vous les avez suivis. » « Ça m’a tué » soupire Ostmane. Ont suivis l’hôpital, le traitement préventif contre le VIH, la déposition, la confrontation avec l’un des deux hommes arrêtés et les interviews dans les médias. « Je me bats pour les droits humains donc je me suis dit qu’il fallait que je parle pour que ça se sache et que ça ne se reproduise plus » explique celui qui a publié un essai autobiographique en 2016 Genre interdit: nos années noires, entre totalitarime et obscurantisme. Mes luttes, ma liberté, mon exil. « C’est une attaque qui englobe le racisme et l’homophobie, c’est très grave et aucun politique ne l’a condamnée…. »
« Combatif » selon ses dires, Zak Ostmane – qui raconte avoir vécu des années très sombres adolescent en Algérie et avoir fui son pays en raison de son militantisme- assure qu’il se relèvera, mais n’en connait pas encore le prix. « Le corps a subi, mais c’est la tête qui va prendre les séquelles. Je demande donc justice. Ces hommes sont des monstres. »
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