C’est dans un petit club de Brighton, en catimini, que MGMT a retrouvé la scène avant les festivals (dont Rock-en-Seine, le 30 août). Récit d’une petite soirée psychédélique entre “motherfuckers”.
Le 21 août, dans une petite salle de Brighton, MGMT retrouvait la scène : rodage avant de rejoindre les grands festivals européens, dont Rock en Seine le dimanche 30 août. Le nouvel album, attendu comme le messie, s’appellera Congratulations et pour faire taire les rumeurs insistantes qui tournoient sur le net, le manager du groupe nous confirme qu’il ne sortira qu’en 2010. Epaulés de deux guitaristes et d’un batteur, Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden rodent sur la toute petite scène du Digital – un club situé sur le front de mer de Brighton – les concerts qui, pendant les deux prochaines semaines, leur rapporteront quelques centaines de milliers, voire millions de dollars : une motivation suffisante pour abandonner le chantier d’un nouvel album sur lequel veille l’esprit tordu, voire maléfique de Sonic Boom, le défoncé officiel du psychédélisme anglais depuis ses fondamentaux Spacemen 3, un des groupes préférés des deux Américains.
Secret de polichinelle depuis quelques jours, ce concert complet en quelques secondes est attendu avec une ferveur rare : l’excitation se mesure ici par les gouttes qui tombe à l’intérieur même du club. Digital est une étuve, dans laquelle depuis plus d’une heure le public hurle dès que le DJ a le malheur de laisser un disque chuinter, signe habituel des arrivées sur scène. C’est finalement sur la mélodie de La Panthère Rose que le groupe dégringole des backstages – en l’occurrence, la cabine surpeuplée du DJ. Il démarre par un tonitruant “Merci les motherfuckers, je sais que vous voulez de la musique et vous allez vous prendre de la putain de musique !”, hurlé avec un puissance un rien déplacée dans cette salle riquiqui – mais le groupe est en lissage et fait semblant de jouer dans un stade… Entre Morricone et Pink Floyd, le concert commence dans les nuages, avec une version très onirique de The Handshake. Il y a un an et demi, pour son timide premier concert à Brighton, le groupe avait nettement moins économisé ses effets, entamant son concert par Time To Pretend et Kids – choix suicidaire de tout donner d’entrée. Là, MGMT gère nettement mieux son crescendo et jouera, toute la soirée, avec les attentes, voire les ordres du public. Avec ses breaks en cascade, le premier inédit de la soirée n’est peut-être pas un tube pop certifié, mais déjà un hymne scénique indiscutable, qui ravive les plus beaux fantômes du psychédélisme anglais : normal, il s’appelle Song For Dan Treacy, étrange hommage au fantasque leader des TV Personalities, groupe aussi influent que trop méconnu en activité depuis 1976 !
Le public, certain de participer à l’Histoire, vire à l’hystérique, voire au ridicule : chaque son, chaque regard, est accueilli par une explosion de bras, des grognements barbares. Pendant le premier quart d’heure, dans la fosse, c’est d’ailleurs un concours permanent de photos, en hordes ou en solo, vite envoyées par téléphone aux copains restés dehors. Le groupe, qui sait que c’est à ce prix que se gagnent les batailles des stades, a désormais laissé aux vestiaires sa timidité, sa maladresse, et harangue le public comme un vieux routier des festivals. Il parle à cette dizaine de fans comme s’ils étaient des dizaines de milliers – c’est aussi incongru que rigolo. La musique joue la même veine, consensuelle et un rien démago : rassurant, le groupe joue surtout son premier album, avec nettement plus de précision, de concision et d’aisance qu’il ne le faisait en 2008. L’enchaînement 4th Dimensional Transition/Pieces Of What est ainsi assez bluffant, racé comme du Bowie, ouvrant une voie pavée d’or à un Time To Pretend qui a dû affoler les sismographes de Brighton. Le concert est alors lancé, le groupe libéré et la suite royale (Time To Pretend/Weekend Wars/The Youth) est jouée sans la moindre digression inutile, sans ces délayages qui compliquaient tant les concerts de l’année dernière : le groupe joue tassé des version assez sublime de ses tubes simplifiés, éclaircis, transformant même The Youth en hymne à briquet sans que ça soit gênant ou grotesque. Après un tel triomphe, le groupe peut se permettre de tester un prometteur inédit, It’s Working, “une chanson au sujet du ping pong, vous savez, le tennis de table” explique le toujours énigmatique Andrew VanWyngarden. Un morceau élevé dans les meilleurs garages pop des sixties, qui évoque le baroque et l’audace de Love ou Left Banke – espérons qu’il conserve cette grâce en studio.
Electric Feel confirme la passion du groupe pour Bowie – mais ce n’est plus Ziggy Stardust qui est ici à l’honneur, mais le funk blanc et rutilant de Let’s Dance, avec une version totalement remixée pour la scène. Pour Destrokk, une face B qui a eu raison de le rester, Andrew ne peut résister à la tentation, pourtant repoussée depuis le début du concert, de ressembler à sa caricature, soit à son public le plus fervent : il se met un bandeau dans les cheveux. Après Congratulations, sous haute influence Spacemen 3 avec ses allures de Velvet tabassé au krautrock, le groupe fait semblant de partir mais, faute de loges, est contraint de rester sur scène : un Of Moons, Birds & Monsters toujours aussi cheesy tente de calmer le public qui, furieux, n’a pas l’intention de quitter la petite salle sans avoir entendu son tube : Kids. Des dizaines de poitrines, sans doute aucunement pédophiles, se mettent alors à hurler en chant de football “We Want Kids”. Future Reflections, joué épique, continue de jouer avec les nerfs, avant que le groupe ne cède : “si vous connaissez les paroles, rejoignez-nous” s’amuse Andrew, laissant le micro d’un Kids à ses fans. Même si on soupçonne le playback de la plupart des instruments, ça vire à l’émeute : c’est sur scène que l’on mesure, plus encore qu’en club, l’incroyable pouvoir de cette chanson diabolique, peut-être le Smells Like Teen Spirit de cette génération.
Que faire après une telle libération des corps et des frustrations ? Quitter la scène et abandonner le public des étoiles plein la tête. Mais non : le groupe n’abandonne pas l’estrade, interrompt le DJ déjà reparti sur son set en s’offrant des faux départs de chansons, en tergiversant verres à la main, avant de se lancer dans une jam stérile autour du thème de Metanoia. Une abréviation possible de la phrase “Mais tu joues n’importe quoi”. Dommage, car jusqu’ici, le groupe avait brillamment résisté à cette tentation du gloubi boulga psychédélirant. On a donc le droit de partir juste avant la fin.