À l’occasion de son 8e anniversaire, le bar Le Syndicat propose jusqu’au printemps prochain “Sous la même étoile”, une nouvelle carte de cocktails issus de la rencontre de ses barmen et d’une sélection de grand·es chef·fes français·es. Parmi eux·elles, Amandine Chaignot, cheffe du Pouliche et du Café de Luce, propose deux cocktails innovants en association avec le senior bartender du Syndicat Mathieu Segala. Rencontre.
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Vous avez dit : “Petite, je rêvais de 1000 métiers ; pompier, vétérinaire, aventurière, dessinatrice.” Qu’est ce qui vous a finalement amenée à la cuisine ?
Amandine Chaignot – C’est le hasard. J’ai eu mon bac scientifique avec mention à 17 ans, puis j’ai commencé des études de pharmacie. J’ai fait ce qu’on me demandait de faire. Au bout de deux ans, je me suis rendu compte que ce n’était pas mon truc, je m’ennuyais. J’ai arrêté en milieu d’année, et comme je ne suis pas du genre à rester dans mon canapé les bras croisés, j’ai pris un petit boulot, histoire de gagner un peu de sous. Le hasard a fait que je me suis retrouvée à servir des pizzas.
Ce n’était pas hyper glamour, mais ça a été un déclic. Je me suis rendu compte que certaines personnes adoraient faire des métiers considérés comme ingrats, comme la cuisine il y a 20 ans. C’est un univers qui bouge, où l’on ne s’ennuie jamais, et je voulais faire quelque chose d’actif. En plus, j’ai toujours aimé manger. J’ai grandi dans une famille où l’alimentation est au cœur du quotidien, c’est une vraie préoccupation.
Ces deux constats m’ont donné envie d’ouvrir un salon de thé, un endroit sans prétention où l’on mange bien, en toute simplicité. Pour être pertinente dans mon projet, il fallait que je travaille un peu dans le métier. Je me suis donc inscrite à l’école Ferrandi. Assez rapidement, je me suis laissée embarquer sur un grand concours de cuisine, le Bocuse d’Or, et je me suis dis qu’il fallait peut être voir plus grand que le salon de thé.
Vous êtes donc d’abord passée par des études de pharmacie. Est-ce que cela vous aide parfois dans votre cuisine ?
Amandine Chaignot – Je suis très méfiante à ce sujet. Souvent, les gens prétendent que la cuisine, c’est de la chimie. Mais ce n’est pas du tout mon approche. Je ne suis pas adepte de la cuisine moléculaire. Je préfère les choses généreuses, gourmandes. Donc je ne pense pas vraiment que mes études de pharmacie m’aident dans ma cuisine. Malgré tout, ce sont des années où j’ai utilisé mon cerveau. Cela m’a formée et ce sont des choses que j’ai pu régurgiter à certains moments, mais le lien direct reste très peu évident.
Vous faites partie des six chef·fes associé·es au bar Le Syndicat pour sa nouvelle carte. Qu’est-ce qui vous a attirée et inspirée dans ce projet ?
Amandine Chaignot – Déjà, on est voisins (rires). Mon restaurant, le Pouliche, est à une minute à pied du bar. Je trouve ça important de faire partie de la vie du quartier et d’avoir de bonnes relations avec les autres personnes qui partagent les mêmes questionnements. Et je trouve intéressant de sortir un peu du quotidien et de transposer ses capacités de réflexion, de création et d’analyse du goût dans un autre domaine.
Que ce soit pour la création de cocktails ou autre chose, c’est toujours très intéressant de rencontrer des gens passionnés, d’autres façons de réfléchir et d’aborder les choses. Et on se connaît, on s’apprécie, donc c’était assez logique. Je n’aurais pas pu m’imaginer dire non.
Mathieu Segala – C’est vrai. Pour Amandine, on a traversé la rue. C’était vraiment la collaboration la plus évidente. On a tout de suite pensé aux gens qui étaient autour de nous. En plus, elle a une cuisine facilement adaptable au monde du cocktail. La collaboration a été vraiment fluide.
Qu’est ce qui vous a donné l’idée et l’envie de faire ce projet au Syndicat ?
Mathieu Segala – Le concept du bar est de travailler uniquement avec des alcools français. On adore mettre en avant la culture française. On écoute beaucoup de rap français, par exemple (rires). La cuisine est très importante dans notre culture, c’était donc logique de faire le pont entre ce monde et celui de la mixologie.
En France, les chef·fes représentent le mieux l’artisanat du goût. Aujourd’hui, ce sont de vraies stars, contrairement aux barmans. Se rapprocher de ce monde qui brille un peu plus mais parle le même langage nous paraissait être une belle aventure. Cela nous a permis d’apprendre certaines techniques et d’analyser la philosophie d’une cuisine ou d’un plat pour la retranscrire en cocktail. C’était super intéressant. Sur notre carte, nous avons douze cocktails et chacun a un univers et une approche très différents.
Est-ce que dans le monde de la cuisine, on retrouve également cette idée d’une fusion logique entre ces deux univers ?
Amandine Chaignot – Oui, complètement. À l’origine, quand j’ai ouvert Pouliche, on servait des cocktails. Je m’étais déjà un peu penchée sur la question, c’est une cuisine à part entière. On prend un produit et on le travaille pour obtenir quelque chose qui arrive dans un verre. Donc oui, cette réflexion n’est pas nouvelle, même si dans mon restaurant, on avait fait le choix de ralentir sur les cocktails, parce que c’est un autre métier.
On a aussi des valeurs communes, notamment dans l’utilisation de produits français. Aujourd’hui, quand on est leader d’opinion, que ce soit en tant que bar classé parmi les 50 Best ou que chef·fe médiatisé·e, on se doit d’aller dans le bon sens. Avec Pouliche, on essaye de travailler intelligemment (cuisinier des fruits de saison, passer par des circuits courts et locaux, réduire la consommation de viande avec une offre végétarienne). On a donc la même conscience à ce niveau-là.
Êtes-vous amatrice de cocktail ? Quels sont vos préférés ?
Amandine Chaignot – Oui, j’aime beaucoup. Particulièrement les Gimlet. Je suis assez sensible aux amertumes, donc je ne suis pas hyper fan des Negroni. Mais avant tout, j’adore découvrir des choses, et le monde du cocktail est tellement large. Je ne vais pas dans un bar pour demander un cocktail classique, mais pour découvrir les créations. Après, si on me sert un premier cocktail que je n’aime pas, je vais demander un gin tonic (rires). C’est comme au restaurant, c’est dommage de commander un steak frites. Mais c’est super, aujourd’hui la scène cocktail en Europe est canon.
Mathieu Segala – On le voit. En France, on a un peu de retard, mais ça commence à être solide, avec Little Red Door notamment, qui est numéro 5 dans le top 50. C’est parce que ce sont des Anglais qui le tiennent (rires).
Vous avez réalisé vos deux cocktails (Get That Bread et Kissin’ Pink) ensemble. Pouvez-vous nous expliquer la manière dont vous les avez conçus ?
Mathieu Segala – Dans notre collaboration avec Amandine, l’idée a été de reprendre deux éléments signature de sa cuisine : d’abord, sa vision du végétal pour le Kissin’ Pink, un élément avec lequel Amandine travaille beaucoup ; ensuite, le pain pour le Get That Bread, un autre élément très apprécié et présent chez Pouliche.
Amandine Chaignot – Le pain, c’est l’élément qui est forcément là, tu le remarques immédiatement s’il est absent. C’est l’évidence en France.
Mathieu Segala – Alors que tu dois le payer dans d’autres pays (rires).
Amandine Chaignot – Quand j’ai ouvert Pouliche, je voulais absolument qu’on ait un bon pain. Avec ce produit, il y a toujours des pertes, qu’on a toujours essayé de minimiser. C’est une matière première de qualité qu’on n’a pas envie de perdre. On en fait des sauces, des bases, des chapelures, des glaces… Le pain se prête à plein de choses, et l’une des seules que je n’avais pas essayées, c’est le cocktail.
La démarche a donc été d’utiliser l’expertise de Mathieu pour adapter les éléments de la cuisine d’Amandine au monde du cocktail.
Amandine Chaignot – C’est exactement ça. Ils m’ont demandé les éléments significatifs de ma cuisine. Je ne sais pas pourquoi c’est venu ce jour là, mais j’ai tout de suite pensé au végétal. Je n’utilise quasiment pas d’épices, je trouve que ça a parfois un goût fané et je déteste le piquant. C’était donc assez logique de partir sur quelque chose d’herbacé. On a commencé à travailler le persil, pour finalement arriver à l’aneth. Le choix du pain était amusant parce qu’on s’en sert à toutes les sauces (avec des notes de sarrasin, toasté, brioché) et il y a une vraie gourmandise derrière. On le ressent dans le cocktail.
Dans la cuisine, on n’a pas la technicité nécessaire pour faire certaines choses. Il a fallu passer le pain dans une machine à gazéifier que je n’ai pas dans mon restaurant. Travailler avec eux a permis de grandement élargir le champ des possibles, de découvrir plein de nouveaux formats. C’est sans limites.
Cela donne des résultats très originaux.
Amandine Chaignot – Exactement. À un moment, sur le Kissin’ Pink, Mathieu voulait partir sur du poisson. Je l’ai un peu freiné, en lui disant que ça pouvait vite déraper (rires). On avait fait un essai avec des copeaux de bonites séchés. C’était super drôle. Puis on en est venu à la feuille d’huître pour apporter ce côté iodé. C’était un véritable échange. De mon côté, j’avais les idées sans savoir comment les réaliser. C’était là tout le travail des équipes du Syndicat, de transmettre ces idées dans le verre.
Mathieu Segala – Pour le Kissin’ Pink, j’ai vraiment travaillé les herbes dans une sorte de twist de daïquiri (rhum, citron vert, sucre). On a remplacé tous les ingrédients par des herbes pour faire honneur à Amandine. À la place de l’acidité du citron vert, on a de l’oxalis. On a infusé le rhum agricole à l’aneth pour en kicker les notes. Et la feuille d’huître rappelle la cuisine d’Amandine, qui tourne beaucoup autour du maritime.
Pour le second, Kissin’ Pink, la carte met justement en avant vos connaissances en pharmacie pour sa conception.
Amandine Chaignot – C’est vrai qu’il y a un lien très fort avec les plantes dans ma cuisine, mais je ne dirais pas que c’est lié à mes études de pharmacie. Quand j’étais petite, je partais souvent me balader en forêt pour ramasser de l’oxalis, du serpolet, de l’arnica. Cette notion est donc très forte pour moi, et certaines bases de botanique sont l’une des rares choses que j’ai absorbées de la pharmacie qui me servent encore aujourd’hui. Par exemple, ce week-end, je suis partie ramasser des champignons, j’ai absolument adoré (rires).
Lors de votre travail, avez-vous été en contact avec les autres chef·fes et mixologues ?
Amandine Chaignot – Pas du tout. J’ai soumis mes idées assez rapidement, et le bar s’est organisé pour qu’il n’y ait rien de trop similaire sur les pistes de travail. Honnêtement, on est tous très occupé·es chacun de notre côté. On s’est quand même vu·es pour la soirée d’inauguration, où tout le monde était là.
Quel est votre ressenti final sur le fait d’avoir été réuni Sous la même étoile ?
Mathieu Segala – De notre côté, on a trouvé la collaboration très intéressante aussi. Quand on compose un cocktail, on part avec des contraintes. Ici, on partait avec la contrainte de l’histoire d’Amandine et comment la retranscrire dans un verre. On a vraiment pris les idées et l’approche d’Amandine pour les retranscrire avec notre style. J’ai l’habitude de faire des long drink assez secs et peu sucrés, et il a fallu intégrer sa vision à ça. Cela nous a également fait découvrir des techniques : on a acheté du matériel qu’aucun autre bar à Paris ne possède, je pense. Cette collaboration nous a aussi fait avancer techniquement dans notre approche.
Amandine Chaignot – C’est ça qui est génial dans nos métiers. Il n’y a rien de figé. On est toujours en mouvement. Les rencontres et les découvertes font qu’on ne reste jamais sur nos positions. De mon côté, j’étais très satisfaite également. C’est vraiment une jolie collaboration, qui était fun à faire et fluide. C’est super quand ça se passe comme ça. Maintenant, c’est au bar de voir comment ça va vivre. La balle est dans leur camp (sourit).
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