En novembre 2016, le photographe Aliocha Boi se rend à La Havane, soutenu par Havana-Club, pour réaliser une série de clichés sur la capitale cubaine. Deux semaines avant la mort du líder máximo, la présence de Fidel Castro est partout. Rencontre avec l’artiste à l’Imprimerie du Marais, où les photos sont exposées jusqu’au 11 mars.
Comment êtes-vous devenu photographe ?
Aliocha Boi – J’ai commencé à faire de la photo il y a quatre ans en postant mes premiers clichés sur Instagram. Je suis 100 % autodidacte. Je n’ai pas fait d’école de photo car je ne voulais pas que mon travail soit institutionnalisé. C’est d’ailleurs en travaillant tout seul que je me suis rendu compte que je préférais la photo dans un format documentaire.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Des artistes comme Martin Parr pour la photo documentaire, Stéphane Couturier pour l’architecture ou Harold Feinstein pour la photo de rue m’ont beaucoup inspiré et surtout donné envie de poursuivre dans cette voie. Ensuite, à plus petite échelle, il y a plusieurs comptes de jeunes photographes très doués comme @stephenvanasco ou @ryanparrilla sur Instagram.
Quel est votre domaine de prédilection ?
La matière première de mes photos est l’environnement urbain. C’est-à-dire l’architecture des villes, les armatures métalliques, les formes des bâtiments, les jeux de lumière et d’ombre et donc aussi l’humain justement.
En novembre, à La Havane, je voulais me concentrer sur l’humain – ou plutôt sur l’humain dans la ville. Les photos sont prises au 35 mm. De fait, je devais toujours m’approcher des gens pour les photographier.
Notre guide, Claudia Corrales, petite-fille de l’un des photographes officiels de Castro nous a non seulement permis de communiquer avec les Cubains mais surtout de faire des rencontres que l’on n’aurait pas pu faire seuls. Car il y a deux types de locaux à Cuba. Dans les lieux touristiques, il y a ceux qui demandent des pesos pour se laisser photographier. Dans les coins moins fréquentés, il y a ceux qui ne demandent rien et qui sont même contents qu’on les prenne en photo. Comme s’il y avait deux réalités.
Pourquoi les enfants sont-ils aussi présents sur vos clichés ?
Déjà parce que je trouvais leur uniforme scolaire photogénique et classe. Ils gardaient leur part de naïveté mais j’ai souvent vu chez eux une sorte de maturité étonnante, qui se transmettait dans leur regard.
Avez-vous rencontré des obstacles pour prendre vos photos ?
Juste le fait de devoir parfois payer pour pouvoir photographier quelqu’un. Sinon, les gens étaient ouverts et partageaient leur histoire avec nous. Comme cet ancien boxeur tétraplégique que tout le monde appelle « El Chino« , à cause de ses origines chinoises. Il nous a invités chez lui alors qu’il ne peut plus bouger des suites d’un combat.
Dans sa maison, les murs sont recouverts de portraits de dictateurs, Staline surtout. Je tenais vraiment à le photographier, et il y a deux photos de lui dans ma série. Sa fille est vraiment la Cubaine typique. C’était drôle de la voir avec un t-shirt sur lequel on lisait « Paris » avec un dessin de Tour Eiffel.
Une autre fois, nous sommes rentrés dans la maison de Nicolas Alayo, un peintre et poète. Alors qu’il nous racontait sa vie, en nous servant à manger et du café, des artistes passaient pour nous montrer leur travail. La maison était grande ouverte, c’était normal.
Qu’est ce qui aurait été différent si votre série avait été réalisée après la mort de Fidel Castro ?
Je n’aurais pas pu. Le deuil national s’est traduit par un grand calme dans tout le pays. Les Cubains, même s’ils s’y attendaient, ont vraiment été choqués par la mort de Castro. Après le rassemblement national à La Havane, ils se sont tous cloîtrés chez eux. Ce calme plat dans tous le pays aurait été dur à montrer en photo. Avec du recul, je pense que nous avons photographié Cuba au bon moment.
Ce reportage avait-il une ambition politique ?
Pas du tout. Je n’ai voulu ni cautionner ni dénoncer le régime castriste qui est partout. Fidel Castro est présent dans la rue sur des affiches, dans les restaurants, dans les bars, dans les écoles… Le culte de la personnalité, on l’a ressenti tous les jours. Il a une grande influence sur les mentalités et dans les rues mais aussi sur l’art et la culture. On a visité un ancien golf qui avait été construit avant la révolution pour les riches Américains. Castro l’a transformé en école d’art, l’ISA. C’est un lieu incroyable d’effervescence culturelle, de création. Avec du recul le contraste entre un club de golf élitiste et un centre culturel ouvert est plus que frappant.
Vous dites que le pays entier, comme son histoire, sont faits de « contrastes« .
Oui, c’est la réflexion que nous nous sommes faite sur place. Les générations, les richesses : là-bas tout est très contrasté. Par exemple, la relation aux Américains est radicalement différente entre deux générations. Les jeunes portent des t-shirt avec le drapeau des Etats-Unis alors que les vieux sont encore réticents. Il y a d’énormes contrastes d’architecture aussi. D’un côté on voit des complexes hôteliers luxueux et, quelques kilomètres plus loin, des baraques de fortune et des conditions de vie ultra précaires. À la Havane, on voit souvent des habitants s’agglutiner dans des parcs pour capter le wifi. Alors que dans les riches hôtels il est gratuit et fonctionne très bien.
Que pensez-vous de la nouvelle génération de photographes qui shootent au smartphone pour alimenter tous les jours un compte Instagram ?
Je pense que c’est une idée relativement fausse. C’était une situation qui a existé au début d’Instagram. Pour autant, aujourd’hui, la grande majorité des photos sont shootées au reflex et les photos sont retravaillées avant d’être postées. D’autant que, paradoxalement, c’est assez difficile de shooter au smartphone. Il y a beaucoup de contraintes techniques : le cadre est petit, il est difficile de shooter la nuit et l’image est de mauvaise qualité dès qu’on veut l’imprimer et la montrer en grand. Mais je respecte ceux qui se sont donnés comme objectif de shooter uniquement au smartphone. Pour moi, ça serait très difficile.
Avez-vous d’autres projets de prévus ?
Fin mars, je vais exposer à la Galerie GadCollection, dans le IVe arrondissement de Paris. Les photos que je vais présenter portent sur mon travail sur les villes en général. Il y aura des clichés de Shanghai, Paris et La Havane.
Propos recueillis par Mathilde Samama.
L’exposition Havana-Rama se tient à l’Imprimerie, dans le IVe arrondissement de Paris, jusqu’au 11 mars. En partenariat avec Havana Club.