La suite du puissant “A Plague Tale : Innocence” nous renvoie sur les routes de France en compagnie de deux enfants sur fond d’épidémie de peste, d’Inquisition et de Guerre de Cent Ans.
Ce sont des enfants qui jouent. Je compte jusqu’à 10, cachez-vous. Au loin, un château, tout va bien, il fait beau. Et puis non, en tout cas pas pour longtemps. Nous sommes en 1349 et rien n’a vraiment changé de ce qui, dans le superbe A Plague Tale : Innocence, menait la vie très dure à Amicia et son petit frère Hugo : la peste, la guerre, l’Inquisition et ce mystérieux pouvoir difficilement contrôlable que détient le petit garçon. Quelques mois ont certes passé depuis les événements de ce premier volet signé par le studio bordelais Asobo (responsable depuis du dernier Flight Simulator) que l’on n’attendait pas si haut et qui, au printemps 2019, fut une révélation. La jeune fille s’est endurcie, le garçonnet un peu aussi et ils se sont trouvé·es des compagnons. Mais leur destin ne va pas tarder à basculer à nouveau dans l’horreur et la confusion.
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“Je vous mangerai tous”
C’est une affaire de visions. Des flaques de sang, des piles de corps mutilés. Des milliers de rats grouillants qui déferlent par vagues et ne craignent que le feu, s’accrochent à une jambe et engloutissent leur victime. Et des hommes en armure, une hache à la main, qui traquent les enfants. Ce sont des ogres de conte non expurgés, des tableaux de Jérôme Bosch animés, des trucs au degré de réalité incertain et d’autant plus obsédant, La Nuit du chasseur ou la fin des temps.
À l’époque du premier A Plague Tale, la comparaison avec The Last of Us (jeunesse, voyage, monde dévasté), toutes proportions budgétaires gardées, s’imposait (avec une petite dose de Life is Strange médiéval). À sa manière sentimentale et brutale, sa suite poursuit le dialogue à distance avec l’impitoyable série de Naughty Dog. Dans A Plague Tale : Requiem aussi, la question de la vengeance, de la tentation de devenir ce que l’on combat, est centrale. C’est Amicia à qui – avant qu’elle ne se retrouve seule avec son frère – l’un de ses compagnons demande de modérer ses ardeurs meurtrières de virtuose du lance-pierre. C’est Hugo, plus tard, qui se découvre la faculté de contrôler les hordes de rats pour les précipiter sur les soldats qui les traquent. “Je vous mangerai tous”, s’écrit-il, et là où l’affaire devient troublante, c’est que ces séquences cruelles se révèlent extrêmement satisfaisantes à jouer. Vous aimez faire ça, vous ? Oui, c’est bien à nous que le jeu parle.
La possibilité de la lumière
On pourra regretter certaines limites de ce Requiem : un rapport à l’espace en deçà de son ambiance (avec des murailles invisibles et des passages arbitrairement bloqués) ou la tendance de ses séquences d’actions et d’énigmes à se répéter entre fuites dans les herbes hautes, leviers et manivelles, salpêtre et étincelles. Mais A Plague Tale conserve cette capacité sidérante à nous confronter au pire sans jamais perdre de vue la lumière, ou au moins sa possibilité – un champ de fleur, la quête d’une île. Son véritable matériau, plus encore que l’histoire, ce sont les cauchemars de l’enfance, exacerbés et déployés, qui surgissent pour nous encercler. Et ce qui fait envie et peur, à la fois, évidemment, c’est toujours de devenir grand·e.
A Plague Tale : Requiem (Asobo Studio / Focus Entertainment), sur PS5, Xbox Series X/S, Windows et Switch (version cloud), de 45 à 60€
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