Entrée avec fracas dans nos vie grâce à la série “Stranger Things”, Maya Hawke n’en demeure pas moins une autrice-compositrice prometteuse, qui livrait le mois dernier un deuxième album dans la veine d’un Sufjan Stevens. On l’a rencontrée, histoire d’évoquer la musique, les muses et Willie Nelson.
Maya Hawke est plutôt volubile, mais pas du genre à trop s’éparpiller non plus. Il y a chez elle une forme de constance dans son flux de conscience ininterrompu, qui l’amène à décortiquer jusqu’à l’os le processus d’écriture de ses chansons et les histoires qui se cachent derrière. Maya adore parler de musique, elle nous le dit d’entrée de jeu. Le discours n’a pas l’air formaté, il déborde au contraire de choses et d’idées, et laisse entrevoir une passion d’autant plus sincère qu’elle semble se répandre sur la place publique de façon un peu foutraque et romanesque.
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Quand on la contacte début septembre, c’est donc pour évoquer son dernier album, MOSS, sans ignorer que c’est par l’entremise du cinéma (elle jouait furtivement le personnage de Linda Kasabian dans le Once Upon a Time… in Hollywood de Tarantino) et de son rôle dans la série à succès Stranger Things, que s’est d’abord fait connaître la New-Yorkaise. “J’ai toujours écrit des chansons, sans jamais penser en faire une activité professionnelle, nous confie-t-elle. Je me sens tellement libre quand je m’exprime à travers la musique, que je n’ai jamais voulu prendre le risque de perdre cette liberté. Tu sais, ce truc qu’on dit, que dès l’instant où ta passion se transforme en un job, tu commences à perdre un peu de marge de manœuvre ? Eh bien je n’en suis pas encore là avec la musique”.
Un disque collaboratif
MOSS est la deuxième livraison discographique de Maya et sort deux ans après le très convaincant Blush (2020), mis en boîte à l’époque avec son pote Jesse Harris, déjà croisé aux côté de Norah Jones et Melody Gardot (entre autres). De son propre aveu, Blush se situerait davantage dans une veine Americana, sous haute influence country-folk, limite lo-fi, contrairement à MOSS, plus délicat et ouvragé, dont le geste se rapprocherait plus d’un disque de Sufjan Stevens. Pas étonnant, d’ailleurs, de croiser à son générique le prometteur Christian Lee Hutson, songwriter californien très prisé par certains critiques aux Inrocks.
“Je suis alors entré dans une sorte de processus d’écriture à la fois chaotique et éprouvant émotionnellement, qui m’a amené à replonger dans les carnets que je tenais au lycée et à réunir différents poèmes”
C’est pourtant avec le bassiste et claviériste Benjamin Lazar Davis que MOSS a été ébauché, autour de trois titres : Thérèse, Bloomed Into Blue et Mermaid Bar, avant que Will Graefe (déjà présent sur le premier album) et Christian Lee Hutson n’interviennent dans l’histoire. Maya : “Avec Ben, on avait ces morceaux qu’on avait prévu d’enregistrer pour un EP. Je n’avais pas vraiment envisagé de faire un nouvel album, parce que je n’avais que trois jours de libre devant moi avant le début d’un tournage. Et puis finalement cette période de trois jours s’est transformée en deux semaines et demie, je lui ai donc proposé de nous atteler à quelque chose de plus long et il a dit ok. C’était l’été dernier, à un moment un peu spécial de ma vie. Je suis alors entrée dans une sorte de processus d’écriture à la fois chaotique et éprouvant émotionnellement, qui m’a amenée à replonger dans les carnets que je tenais au lycée et à réunir différents poèmes. Et puis on s’est retrouvé avec Will, et Christian que je ne connaissais pas du tout à l’époque. Avec eux, j’ai eu une manière totalement différente de travailler.” Elle poursuit : À Ben, j’envoyais des poèmes complexes, denses et alambiqués, alors qu’à Christian, j’envoyais des textes plus simples et directs. Avec Will, c’était autre chose encore, on travaillait les mélodies, on tâtonnait des heures jusqu’à trouver la bonne chanson. C’est un disque passionnel et collaboratif, voilà ce que je peux en dire”.
High School Lover
Jeune ado, Maya pige vite qu’elle ne pourra pas suivre le même parcours académique que les potes de son âge, notamment parce qu’elle est alors atteinte de dyslexie, trouble qui la pousse très tôt a “abandonner l’idée de réussir à l’école dans un cursus classique”, nous dit-elle : “Mes parents m’ont offert une perspective créative pour m’aider à traverser les épreuves de la scolarité. Je n’étais pas bonne en cours d’anglais ? D’accord, alors faisons une chanson, écrivons une nouvelle ou peignons un portrait à la peinture à l’eau ! Asseyons-nous et discutons de cet album de Willie Nelson, puis restons éveillés toute la nuit pour écrire des poèmes. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu évoluer dans des sphères artistiques”.
“Je suis obsédée par l’idée de défendre les muses et de parler au nom de celles et ceux que l’on utilise, sans jamais rendre compte de leur point de vue”
C’est donc dans un lycée de Brooklyn qui propose des cursus axés sur l’expression artistique, sans grille de notation classique, qu’elle s’épanouira, au point de tirer de cette expérience les bribes des chansons qui constitueront MOSS. Comme Bloomed Into Blue, tirée d’un poème intitulé The B-Word Muse, écrit avec un autre étudiant à l’époque : “je suivais cet atelier de poésie qui, à la fin de l’année, proposait de nous associer avec le groupe de jazz le temps d’une soirée appelée Jazz Poetry, poursuit-elle. On a récité The B-Word Muse façon spoken word devant les autres élèves, avec le jazz band qui improvisait derrière. Je me rappelle avoir beaucoup travaillé sur ce poème. C’était comme construire un petit monde, avec ses petites histoires et ses personnages”.
Une autre chanson est directement inspirée de cette expérience d’écriture (et du tableau Thérèse rêvant, de Balthus), Thérèse. Le texte prend le parti de la muse de l’artiste, dépossédée de toute considération (“She empathizes with your feelings/She’s more interested in ceilings”, chante-t-elle) : “Je m’intéresse au sujet dont on fera une œuvre d’art. Depuis The B-Word Muse, je suis obsédée par l’idée de défendre les muses et de parler au nom de celles et ceux que l’on utilise, sans jamais rendre compte de leur point de vue”.
“Mon père avait l’habitude de chanter Red Headed Stranger, de Willie Nelson. C’était mon conte pour m’endormir”
Les morceaux qui constituent MOSS semblent ainsi sortir d’un atelier créatif, où chaque idée vaut le coup d’être exploitée à condition d’en tirer tous les fils jusqu’au moindre détail : Backup Plan pose la question de savoir si les plans B que l’on fomente dans un coin de notre tête ne seraient pas nos vrais plans A ; Hiatus évoque les moments d’errance entre les tournages de film et la complexité d’entretenir des relations stables ; Luna Moth, sans doute le plus triste, parle du sentiment vain de culpabilité et du chemin de rédemption chaotique que celui-ci implique ; Mermaid Bar relate le destin d’une jeune fille qui cherche à se foutre en l’air en sautant dans l’Hudson River et qui, au lieu de mourir, se transforme en sirène.
Red Headed Stranger
Au cours de la discussion, Maya Hawke en déduit que cet attrait pour les histoires racontées en chanson lui viennent de son enfance, lorsque ses parents lui chantaient des berceuses pour s’endormir : “c’est le côté répétitif de la chose, nous dit-elle. J’ai pris la mesure de la puissance de la narration et de l’impact émotionnel qu’elle pouvait avoir en chanson. Mon père (le comédien Ethan Hawke, NDLR), avait l’habitude de chanter Red Headed Stranger, de Willie Nelson. C’était mon conte pour m’endormir”. Dans le salon, les disques de Johnny Cash, Townes Van Zandt ou encore Kris Kristofferson tournent en boucle. Et dans son iPod (elle s’amuse du fait qu’elle vient de la génération iTunes Store), on croise autant Wilco, Bright Eyes, Evan Dando que Taylor Swift et Miley Cyrus époque Hannah Montana.
On lui demande si l’idée de monter un groupe lui a déjà traversé l’esprit : “Je me suis toujours trouvée trop en insécurité pour ça, nous rencarde-t-elle. Plus jeune, je jugeais mes chansons trop moyennes pour oser les soumettre à un groupe. Je me sens libre quand je fais de la musique, mais surtout très vulnérable. Pour être le leader d’un band, il faut être confiant ! Être capable de dire : ‘ok, les gars, vous allez désormais dédier vos vies à mon groupe’”. Et l’approche de l’écriture, est-elle devenue plus simple avec le temps ? “Avec moi, rien ne devient plus simple avec le temps. J’aimerais que ce soit différent. D’un point de vue pratique, peut-être. Mais pas dans ma tête”, conclut-elle.
Album : MOSS (Mom+Pop)
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