Le monument du vertige parisien recueillait en son coeur celui qui nous le crève : Daniel Darc se produisait au 1er étage de la tour Eiffel. Etrange.
Le spectacle commence alors qu’on traverse le Champ-de-Mars et qu’on essaie de saisir ce vaisseau familier qui, toujours, semble grossir. On aperçoit vite la métaphore urbaine, le lien spéculaire qui se tisse entre Daniel et cet amas de métal. Le haut-le-c’ur provoqué par l’ascension de la Tour est le premier de la soirée. La salle Gustave-Eiffel se révèle être une sorte de boudoir précieux d’un autre siècle, tapissée d’une moquette rouge sang. L’assistance guindée compte visiblement des intimes, des amis, des journalistes, et quelques convertis plus jeunes ; les femmes sentent trop fort le parfum poudré. Les fleurs de la première partie, Marie-Amélie (Merci pour les fleurs, 2005), sont bien trop bleues pour un soir rouge-rose comme celui-là. La dernière des s’urs de la tripotée Seigner prend la pose (tête penchée tel le cocker, regard de braise, caresse sensuelle de hanche ) en s’épanchant sur son enfance difficile au jardin du Luxembourg avec une fausse pudeur bien dans l’air du temps.
Après cette mauvaise introduction et l’indispensable prompteur installé, Daniel Darc ne tarde pas. La guitare désolée d’Alice Botté magnifie les premiers titres figurant tous sur « Crèvecoeur ». Darc titubant et l’œil allumé, semble avoir le vertige, comme s’il s’était relevé trop vite après une longue station allongée. Il braille et gueule et beugle une poésie à la nostalgie corrosive sur « Je me souviens, je me rappelle ». La musique de Frédric Lo trouve une ampleur inégalée et va droit au c’ur, comme le regret de ne pas entendre ce dernier parmi les musiciens – il était pourtant dans la salle. Les chansons plus anciennes comme « Nijinsky », « Viviane Vog » ou le tube de Taxi Girl « Cherchez le garçon » électrisent le public et lui rappellent que le blouson de Daniel est bel et bien dark. Parfois, des invités s’immiscent : Bill Pritchard et Daniel conversent sur « Rien de toi ». un duo violon-violoncelle finit d’étirer les compositions malheureusement vidées de leur belle violence. Pas de chaîne de vélo qui claque au sol ni de regard brut, Daniel Darc gagne en aisance et perd en charisme, A 95 mètres au-dessus du niveau de la mer, il se fait passeur entre ciel et terre, la tour Eiffel devient une cathédrale célébrant un panthéisme urbain : « L’Energie dramatique de la rue ». Les lourds rideaux de velours rouge s’écartent sur le panorama de la ville de « Paris », « cette merde ». Bientôt, le Livre à la main et la main au c’ur, le verbe se fait chair sur « Elégie » ou « Psaume 23 ». Quelques fois, il s’agenouille. Nous, on prie pour se souvenir de tous les détails de ce concert troublant.
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