L’écrivain Marin Fouqué s’en est allé scruter la langue du pouvoir depuis son épicentre. Soit le château de Champs-sur-Marne, souvent utilisé comme réplique de l’Élysée dans des films. Le 19 septembre 2022, il proposait une performance dans le cadre de “Mondes nouveaux”. Il nous raconte.
“Peut-être que pour vraiment changer le monde, il faudrait lui changer la langue ? Peut-être qu’on a épuisé la langue, à force de s’en servir comme d’un vulgaire packaging ?” Marin Fouqué est écrivain, auteur des remarqués 77 (2019) et GAV (2021) et actuellement occupé à l’écriture de son troisième roman. Et en parallèle, il performe afin de toujours proposer une autre expérience que celle de la lecture. La langue, il en fait donc son affaire.
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Au sein de Mondes nouveaux, il est l’un de ceux qui se saisissent le plus frontalement du contexte institutionnel sous-jacent. Ce parti pris s’épaissit et se feuillette en de multiples strates, mais pose aussi, d’emblée, une certaine manière de se positionner comme artiste aujourd’hui.
Puisque le panorama du programme de soutien à la création rassemble plus de 400 créateur·rices, issu·es de différentes disciplines, il permet également d’en dégager certaines lignes de force. En matière de stratégie, iels sont nombreux·ses, quand invité·es à penser les alternatives de demain, à opter pour la sécession : partir plus loin, sortir des institutions et des centres, démultiplier les contextes, traquer l’ailleurs.
Viser le pouvoir à bout portant
Marin Fouqué, lui, opte au contraire pour l’épicentre, agit depuis l’œil du cyclone. Le constat est le même, quand bien même le mode d’action diffère : creuser, exhiber, mettre à nu. Le 18 septembre, il a proposé la performance La Danse des falaises. Une œuvre de poésie sonore écrite pour un exercice quasi dadaïste d’extrapolation mené d’autour d’un homme providentiel sur le point de s’adresser à la foule, lors de son discours d’investiture, sur les marches d’un château.
Le château en question, c’est celui de Champs-sur-Marne. Soit une bâtisse néoclassique cossue, dans le plus pur classicisme Louis XIV, à l’est de Paris, qui pour la plupart, néanmoins, offre une image vue et revue : comme l’une des résidences officielles de la Présidence de la République, elle est l’un des insignes du pouvoir politique.
Au moment de l’appel lancé aux artistes par Mondes nouveaux à l’été 2021, l’écrivain raconte avoir hésité : “D’abord, ça m’a fait penser à une promesse douteuse, de celles qu’on nous prémastique pour qu’on ravale, de celles qu’on nous ressert tous les cinq ans en attendant le crash final. Pour être honnête, j’étais sceptique, mais en même temps, j’ai besoin de thunes. Flash info : les artistes ont des ventres.”
Puis vient un second moment. “Faire quelque chose dans un château du 77, ma terre natale, c’était plutôt tentant. Je me suis donc renseigné et il s’avère que les membres de son comité artistique sont des professionnel·les autant respecté·es que respectables.” S’ensuivra un premier projet, retenu, “sur la langue, les pouvoirs de la langue, la langue du pouvoir”.
Se rendre irrécupérable…
Le même qui, sous la forme de sa restitution performée, aura chemin faisant été infléchie : “Le temps passe, et puis je vois que les artistes sont invités à l’Élysée, reçu·es en grande pompe par monsieur le Président. Beaucoup s’y pressent, selfies à l’appui. Ça me déprime. Il faudrait pourtant une séparation des pouvoirs, qu’ils soient exécutif, législatif, juridique ou artistique. Et malgré le fait que ce soit l’argent de l’Europe, ça sent la récupération à plein nez. Alors je durcis ma performance. Qu’elle soit irrécupérable.”
Sa réalisation, et ses étapes préparatoires, prend également la forme d’un travail collectif. D’abord, au fil d’ateliers d’écriture. Un format qu’il mène depuis sept ans, en parallèle de sa pratique personnelle, “pour tenter de transmettre le plaisir d’écrire” en “s’effaçant le plus possible”.
Pour Mondes nouveaux, le texte était déjà écrit à ce moment. “En face de moi, j’ai eu plusieurs classes de 6e, un groupe d’un centre social et une classe de 3e composée de ce qu’on appelle des ‘décrocheurs’.” Se sont ensuivis une visite du château et l’écriture de plusieurs textes : “Certains étaient poétiques, d’autres pragmatiques, d’autres encore gores ou flippants, parfois tout ça à la fois.” Et puis, “systématiquement”, le passage à l’oral. “C’est important, pour voir comment ça sonne. Et si ça parle, si ça plaît, on s’applaudit. Sentir que sa voix est entendue, c’est important.”
… pour mieux danser au bord du gouffre
La Danse des falaises, telle qu’oralisée sur les marches du château, a donné lieu à une performance pour deux corps, mêlant la musique live, la voix de l’auteur et la traduction en langue des signes par l’interprète Béatrice Blondeau.
“Passer de la poésie sonore en langue des signes, c’était l’une des nombreuses et puissantes idées de la plasticienne Safia Bahmed-Schwartz, la directrice artistique du projet. Et puis, la langue des signes, c’est l’aller-retour entre les mots et le corps. C’était exactement le fond du texte : revenir au corps.”
Œuvrer au centre de l’exécutif, scruter sa “mise en scène de malade” : pour Marin Fouqué, le choix du lieu est certes celui d’un insigne, d’un symbole visuel, déréalisé à force d’être télévisé – “il est aujourd’hui très souvent utilisé dans des films comme réplique de l’Élysée”, mais il tient également d’une constance, d’un parti pris tenu et filé depuis son premier roman, 77 , sa “terre natale”.
“Ça comptait pour moi, j’avais l’impression d’y être plus légitime.” Vient s’y superposer cette histoire de langage, lui aussi relié à une “urgence” intime, collective, partagée. Puisque rien, dans le folklore du pouvoir, n’a changé, “à part leurs fameux ‘éléments de langage’”, le terrain de rencontre est celui-là.
“Tout ce que je peux faire, c’est creuser dans mon domaine”
“Il s’avère que les politiques se servent pas mal de mon domaine, la langue, pour emballer leurs sales idées, qui n’ont rien à voir avec les mondes nouveaux, mais plutôt avec le profit ou la haine (flash info : les deux marchent ensemble). Alors je creuse dans la fosse septique de la langue, pour faire remonter tout ça, en espérant que ça saute aux yeux et aux oreilles. C’est tout ce que je sais faire.”
Pas d’horizons utopiques lointains, pas de grandes idées délestées d’un territoire, d’un commun, de ce qui, déjà, modèle les structures de pouvoir et de savoir, les systèmes de représentation et de fabulation. Mais une urgence, maintenue à l’échelle de cette pensée qui se fait dans la bouche : “Maintenant que tout le monde a compris qu’on va dans le mur, droit dans le mur, changer de trajectoire est devenu une nécessité quasi indiscutable.
Mais la littérature et la poésie n’ont, malheureusement, jamais changé le monde, du moins pas aussi rapidement que l’exige la situation. Je n’ai donc pas l’expertise nécessaire pour proposer un horizon alternatif à nos urgences. Tout ce que je peux faire, c’est creuser dans mon domaine, creuser et creuser encore. En espérant que ça remonte.”
Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Mondes nouveaux, le programme de soutien à la jeune création du ministère de la Culture.
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