Peut-on mettre fin au revenge porn ? C’est en tout cas le but de Rumuki, application pour iPhone censée mettre à terre ce phénomène d’humiliation numérique.
Rumuki. Trois syllabes et beaucoup d’ambition : lutter contre le revenge porn. Sa diffusion depuis la mi-février sur le marché des applis (outre-Atlantique seulement, en attendant l’Hexagone) n’est pas une révolution, mais une piqûre de rappel.
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Rumuki, kézako ?
“La plus sûre façon de partager vos moments les plus intimes.” Voici le topo de cette app’ disponible sur l’Apple Store et destinée aux couples connectés. Gratuitement installée sur leurs iPhone respectifs, elle permet l’enregistrement et la sauvegarde d’une sex tape… en toute sécurité. Le fichier vidéo est protégé par un système de double-verrouillage, reliant les deux mobiles séparés. Deux clés sont ainsi nécessaires pour permettre la lecture du fichier. En revanche, pas besoin de clé pour supprimer le film. Astuce : la suppression s’effectue simultanément sur les deux portables.
Cette double protection permet de rappeler le principe de base : le consentement mutuel. Sans miracle, cependant. “Comment puis-je être certain(e) que mon/ma partenaire n’abusera pas de ma confiance ?”, peut-on lire du côté de la foire aux questions. Réponse : “Vous ne pouvez pas.” L’intérêt est ailleurs…
“La prévention plutôt que la punition”, voici ce que propose Rumuki, nous explique Nathan Kot, le jeune concepteur qui en est à l’origine. Passionné par le peer to peer et le droit du digital, ce technophile s’est déjà retrouvé dans ce genre de situations embarrassantes ou, au détour d’un diapo improvisé sur un portable, un(e) ami(e) switche par inadvertance sur un nude imprévu. Face à cette impudeur numérique démocratisée, dont le revenge porn est l’envers veule et amoral, mieux vaut prendre les devants.
“Aujourd’hui, chacun prend en photo le moindre événement du quotidien : le moindre préparation de dîner, le moindre paysage contemplé… Je pense que la digitalisation permanente de nos vies n’est pas près de s’arrêter, et par extension la vitalité du revenge porn lui-même. La multidiffusion digitale du contenu volé et intime risque de devenir de plus en plus répandue, et les outils de sécurité privée permettent de s’en préserver, si tant est que l’on sait comment les utiliser, que l’on a conscience de leur usage.”
« C’est comme enfiler un préservatif »
Rumuki claims that it's the "fix" for #revengeporn, but it's not. Videos and photos can still be saved to a device. https://t.co/HCyd2dIkR2
— End Revenge Porn (@EndRevengePorn) February 18, 2017
On connaît la chanson : mieux vaut prévenir que guérir. Petit bémol : Rumuki ne prend pas (encore) en compte le format photo, et s’en tient aux images mobiles. Autre couac : s’il est aventureux d’envisager la sex tape en pratique culturelle répandue et acceptée, l’adoption par le plus grand nombre d’une application qui lui serait vouée est tout autant incertaine. “J’ai l’impression que Rumuki ne concerne que des pros de la sex tape” note à ce titre Stephen des Aulnois, rédacteur en chef du site Le Tag Parfait, “car la plupart des gens qui font un film amateur l’envisagent comme une sorte de jeu, jamais supervisé, assez léger, sans trop réfléchir aux conséquences, ils sortent leur portable au débotté et font des photos coquines qu’ils partagent sur Snapchat ou Whatsapp ».
Comment ne pas être sceptique ? Si d’une part Rumuki semble s’adresser à une frange bien définie du public (vendue sur l’autel de la sex tape, elle réduit forcément son audience potentielle) et a fortiori consciente des dangers du numérique et des façons de s’en préserver, on peut également douter du petit plus de l’appli face aux mesures déjà prises contre la “pornographie involontaire” – l’autre nom curieux du “porno revanchard”.
Très heureuse du vote de l'Assemblée contre le revenge porn ! Mieux informer, mieux protéger = priorité pour 2016 @axellelemaire @CCoutelle
— Marisol Touraine (@MarisolTouraine) January 26, 2016
En France, toute violation de la vie privée par diffusion d’images intimes sur la toile menace le coupable de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende. S’il connaît cet élément de la loi Numérique défendu à l’Assemblée Nationale par la secrétaire d’Etat au numérique Axelle Lemaire et institué en janvier 2016, Nathan ne voit pas en quoi ce supplément ferait doublon.
« Plus il y a de sauvegardes, mieux c’est. Utiliser Rumiki, c’est comme enfiler un préservatif. Au fil des années, on a tous bien compris l’importance du préservatif, le fait de prendre le temps de se protéger avec, même dans la fièvre de l’instant : l’usage de l’application, comme celle du préservatif, ne se base pas sur la méfiance, mais doit s’envisager comme un geste naturel… ».
Le combat contre le revenge porn continue en 2017
#harcèlement #Facebook suspend "Babylone 2.0", un groupe secret qui publie des photos volées de femmes nues https://t.co/s8uwm0g9Hj
— seka seka yohann dorian (@MeThierryVallat) February 5, 2017
La dégradation sexuelle serait-elle donc un virus ? En tout cas, sa propagation ne cesse pas. L’éclairage médiatique en janvier dernier du nébuleux Babylone 2.0. le prouve. Au cœur de ce groupe Facebook secret, les internautes (mâles) s’échangent des clichés de leurs « meilleures pêches perso » (comprendre leurs “conquêtes”), femmes nues qu’ils notent et commentent.
Pas de doute, le règlement de Facebook laisse à désirer dès qu’il s’agit de nudité et de morale. “Facebook est un iceberg : la quantité de groupes secrets est vertigineuse”, confirme Stephen des Aulnois avant de pointer du doigt ce rouage qui grippe : “J’ai demandé au directeur de communication de Facebook s’il avait une main sur ces contenus-là. Il m’a répondu que, comme dans tous les groupes, si le contenu est signalé, il se fait sauter. Mais si les membres d’un groupe secret partagent des contenus de revenge porn entre eux et qu’il n’y a pas le moindre signalement ?” CQFD : depuis la fermeture de Babylone 2.0 par Facebook. nombreuses sont les « nouvelles Babylone » à fuser sur la toile. Elles s’intitulent “Babylon Reborn », « Partage ta pêche maison » ou « Garde la pêche »… closes, elles renaîtront fatalement sous d’autres noms tout aussi belliqueux et fruités.
« Le revenge porn est un aspect archaïque de la nature humaine, mixé avec une tendance très générationnelle – celle de capturer chaque instant » déplore Nathan. D’où l’idée de faire appel à l’ingéniosité digitale afin de se préserver d’un mal à la fois rétrograde et dangereusement moderne. Comme le constate Daisy Murray (ELLE.UK) : « la revenge porn est l’enfant malade de la technologie et du patriarcat« . Outre-Atlantique, nombreux sont ceux à amener aux tribunaux ce « bâtard« , susceptible de détruire la vie professionnelle des victimes voire de les pousser au suicide.
Portaitisée dans les pages du New Yorker en décembre 2016, la jeune Carrie Goldberg mène activement cette croisade anti-revenge porn au sein d’une nation où trente-quatre Etats ont déjà intégré ce crime numérique à leurs tables de lois. Ancienne victime, cette « avocate badass » a transformé son humiliation en combat. A la tête de son cabinet, elle se targue d’avoir supprimé plus de neuf cents contenus personnels volés et protégé pas moins de soixante-douze victimes du cyber-harcèlement. Elle explique :
“Les victimes du revenge porn doivent faire des captures d’écran d’absolument tout, ne jamais rien effacer, s’informer rapidement à propos des tenants et des aboutissants, et se faire aider par des gens ouvertement désintéressés, dépourvus de jugement.”
Comment agir en cas de revenge porn ?
En mars prochain, un numéro d’aide spécial sera actif au Royaume-Uni. Grâce à ce service téléphonique instauré par le ministère de la Justice, les victimes de revenge porn pourront être aiguillées par des professionnels sur les démarches à suivre. Celles-ci sont complexes mais nécessaires : établir un procès-verbal en compagnie d’un huissier, déposer plainte en détaillant sa situation, puis alerter le webmaster responsable du « lieu du crime » du caractère privé des photos mises en ligne.
Les réseaux sociaux ou espaces de discussions proposent les bons outils : des formulaires pour signaler l’hébergement de vidéos personnelles. Comme ici sur Twitter ou là, du côté de Reddit. Google s’accorde (ici) à supprimer les informations indésirables dans les résultats de la recherche, sur demande de la personne concernée.
Autant de pratiques qui permettent de “mettre de l’eau sur le feu”, souligne Stephen des Aulnois. Quand bien même, conclut celui-ci, cette obscénité revancharde est un mal… qu’il faudrait tuer à la racine.
“Dans une société idéale, on se foutrait de la divulgation sur la toile de vidéos ou photos intimes. Ce porno de vengeance fait mal à cause du jugement des autres. L’acte est dégueulasse, au-delà du non-consentement, par le regard que la société porte sur la victime. C’est pour cela que rien n’arrêtera jamais le revenge porn. Il y a simplement des manières de le calmer.”
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