Un Australien s’évade de prison et se réfugie en Inde, où il poursuit sa cavale. Une étrange odyssée qui ne va pas au bout de ses idées.
Par rapport à n’importe quelle autre période de l’histoire contemporaine, la position de spectateur·trice se trouve au centre de toute l’expérience culturelle. Presque de force, iel doit sans cesse choisir, puis regarder, écouter, consommer, comme le disent sans aucune honte les multinationales de l’entertainment. Concernant les séries, la question est encore plus aiguë qu’ailleurs, puisque le déferlement de “contenu” ne semble jamais devoir s’arrêter. Comment trouver du temps ? Pourquoi donner ce temps à une fiction ? Telles sont les étranges questions formulées aujourd’hui, franchement inédites.
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La plupart des séries y répondent en offrant davantage de péripéties à la minute qu’il n’en faudrait. D’autres, au contraire, choisissent une forme de langueur – ou de je m’en foutisme – et profitent à fond de l’attention qui leur est accordée. Apple TV+ semble avoir choisi cette voie avec l’adaptation en une dizaine d’heures bien tassées et diffusées au compte-gouttes jusqu’au mois de décembre, du best-seller Shantaram. Une production entre l’Australie et l’Inde, qui repose moins sur les qualités de son intrigue que sur un principe basique, qu’on appelle dans le monde anglo-saxon “escapism”. L’art de l’évasion, pour faire court.
Un récit paresseux
Le premier épisode commence d’abord par une évasion, littérale, quand le héros nommé Lin (Charlie Hunnam) se barre de prison dans son Australie natale en passant par le toit, avant de choper un avion pour se réfugier en Inde. Là-bas, que fait-il exactement ? Après plusieurs heures de fiction, il nous paraît difficile de trancher. Sous le regard du cinéaste Justin Kurzel (sélectionné au Festival de Cannes en 2021 pour son film Nitram), le jeune homme erre dans Bombay, plus ou moins recherché, en quête surtout d’un équilibre intérieur qui nous reste largement inaccessible. À ses côtés, un guide local se lie d’amitié avec lui et l’aide à échapper aux ennuis et sollicitations diverses. Les voilà lancés dans des décors urbains souvent fascinants, comme un voyage sans but qui a le charme de vacances dangereuses. Sauf que l’ennui pointe assez vite son nez. La radicalité possible du récit, son refus des conventions classiques, se transforme en paresse.
Pâtée fictionnelle
Il y a un peu plus de quinze ans, les droits de Shantaram avaient été acquis pour en faire un film avec Johnny Depp. On voit ce qui a pu plaire à l’acteur américain, la possibilité de l’aventure, une forme de spiritualité, une lente plongée dans l’étrange. Sauf que dans la série, il reste très peu de ce désir initial. L’étrangeté n’y remporte jamais la mise, plutôt une sorte de pâtée fictionnelle à laquelle Apple TV+, responsable de grandes réussites comme Ted Lasso, For All Mankind ou encore The Morning Show, ne nous avait pas habitué·es.
Que reste-t-il, alors ? La vision de Charlie Hunnam, acteur chéri de Sons of Anarchy, qui défend coûte que coûte (et souvent sans t-shirt) un personnage que personne ne comprend. Son intensité et son émotion emportent parfois le morceau, avant que le ronron des épisodes ne reprenne le dessus. On regrette de l’écrire, mais Shantaram ne vaut pas d’y consacrer une journée, ni même un week-end pluvieux.
Shantaram. Disponible sur Apple TV+
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