À l’occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust, le 18 novembre, et de l’exposition qui lui est consacré à la BNF jusqu’au 22 janvier à Paris, l’écrivaine nobélisée évoque sa rencontre avec l’œuvre proustienne.
“Je suis une lectrice de Proust très différente selon les temps : entre ma jeunesse et aujourd’hui, il y a évidemment une grande différence dans mon appréciation de Proust. Très jeune, j’étais à la fois attirée et dans l’impossibilité de lire Proust. Le passage de la madeleine lu par une professeure de français m’avait fascinée, mais j’étais dans un désert culturel effroyable. Proust, pour moi, c’était lointain. En seconde, j’avais un manuel de français qui comprenait des citations de La Recherche et elles étaient comme faites pour moi, tout m’y parlait.
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À 20 ans, je commence par Un amour de Swann, qui me déçoit, puis je lis toute La Recherche à 25 ans et là, je suis éblouie. En même temps, il y a des passages qui ne me touchent pas, je ne vois pas la structure d’ensemble. Les grandes journées avec tous les personnages chez les Verdurin, c’est un monde qui m’est complètement étranger. J’adore en revanche tout ce qui concerne la mémoire. Et puis Albertine, Gilberte, tout ce qui a trait au sentiment. Ce sera plus tard que je comprendrai l’immensité du projet de Proust, que j’admettrai qu’il parle de son monde et que, par son monde, il parle de la société.
“S’il l’a fait, pourquoi pas nous ?”
Autour de la quarantaine, il y a un moment où l’œuvre de Proust fait envie à tous les écrivains : il a réussi à donner une forme à sa vie, l’écriture est sa transcendance. S’il l’a fait, pourquoi pas nous ? Dans Le Temps retrouvé, il dit de l’écriture tout ce qu’on peut en dire : la vie est éclaircie par l’écriture, c’est par elle qu’on en connaît davantage, sur soi, sur le monde. Il y a quelque chose qui me repousse quand même alors, c’est sa façon de parler de Françoise, du peuple. Il me pousse à m’interroger sur mon positionnement quand j’écris. Quand je le lis, je ne suis pas du côté de celui qui écrit, je suis du côté de Françoise. Lui ne sent pas ce que ça a d’effrayant d’écrire qu’elle a un regard de bon chien. Il ne comprend pas le monde populaire.
Aujourd’hui, j’admets qu’on ne peut pas lui reprocher d’écrire depuis son monde. L’influence de Proust s’est exercée sur moi à partir du moment où j’ai pensé écrire un texte plus vaste que ce que j’avais écrit auparavant, qui sera Les Années. Ce qui a commencé à me tarauder, c’est le fait qu’il ait fait quelque chose de plus grand que lui à partir de lui. Il est parti d’une sensation sur laquelle il a construit tout un monde, et je me suis demandé quelle pourrait être, dans mon cas, cette expérience, cette sensation palimpseste. En littérature, Proust existe au-dessus de moi, comme le ciel.”
Dernier livre paru : Le Jeune Homme (Gallimard) 2022.
Marcel Proust, la fabrique de l’œuvre jusqu’au 22 janvier, BNF, Paris.
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