Fascinée par l’acteur franco-américain Timothée Chalamet, qu’elle observe de près depuis sa prestation dans Call Me By Your Name, Aline Laurent-Mayard analyse ce que la “Chalamania” (nom donné à l’engouement démesuré d’une partie de la jeunesse pour l’acteur) engendre de nouvelles façons d’envisager la masculinité. De l’attitude de Timothée Chalamet en interview à son dresscode décomplexé sur les tapis rouges, la journaliste et autrice nous embarque, avec Libérés de la masculinité, comment Timothée Chalamet m’a fait croire à l’homme nouveau, dans une passionnante odyssée des masculinités au royaume de la pop culture. Entretien.
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Comment est née ton obsession pour Timothée Chalamet?
J’ai du mal avec le terme d’“obsession”, mais disons que je suis devenue très intéressée par Timothée Chalamet après avoir vu Call Me By Your Name. Dedans, c’est un excellent acteur, filmé avec beaucoup de sensibilité, une sorte d’érotisme fragile, vulnérable. Après le film, j’ai commencé comme plein de gens à chercher des renseignements le concernant sur Internet. J’ai trouvé qu’il avait quelque chose d’assez inhabituel. Il était jeune, jovial, il avait l’air humble. L’une des raisons de son succès, je pense, c’est d’ailleurs sa sympathie. Les journalistes disent que c’est un plaisir de l’interviewer, les fans sont comblé·es car il prend toujours du temps pour elleux, sur tapis rouge comme dans la rue.
En quoi ce comportement rénove-t-il la masculinité?
La gentillesse n’est pas une qualité valorisée chez un homme, car elle est perçue comme féminine. Aux femmes les sentiments, le care, l’écoute, et aux hommes l’efficacité, le rationnel, la performance. On nous a inculqué l’idée que le féminin et le masculin sont opposés, imperméables, et que le masculin est supérieur au féminin. Donc, si les femmes arrivent à aller sur le terrain de ce qui est perçu comme masculin, c’est beaucoup moins concevable pour les hommes d’aller sur le terrain du “féminin” – car de fait, ils descendraient sur l’échelle sociale. Peu d’hommes se sont donc finalement construits sur des valeurs comme celle de la gentillesse. Certaines figures très connues l’ont fait, comme Tom Hanks ou Keanu Reeves, mais ce n’était pas perçu comme quelque chose de sexy.
Jusqu’ici, ce sont plutôt les bad boys qui incarnaient le comble de la sexyness, comme tu l’analyses dans ton livre…
Oui, les bad boys démontrent à quel point la gentillesse n’est pas valorisée, et à quel point la méchanceté, elle, l’est! En creusant sur le sujet des bad boys, je me suis rendu compte à quel point nous avons appris que c’est sexy que les hommes abusent des femmes. Pourtant, quand on accepte qu’un mec nous parle mal, ou tout simplement ne s’ouvre pas, cela peut aboutir à plein d’autres choses, et notamment les violences et les meurtres -dans son dernier ouvrage Réinventer l’amour, Mona Chollet a d’ailleurs mené une étude assez sidérante sur toutes ces femmes qui se passionnent pour des meurtriers. La valorisation de la gentillesse est pour moi une étape nécessaire pour parvenir à une nouvelle phase de notre société. On ne peut pas espérer que la société change et que les hommes soient moins violents si on continue à accepter qu’ils le soient dans nos imaginaires, et donc dans la fiction, et si on ne met pas en avant les hommes qui proposent l’inverse. C’est important d’ouvrir des imaginaires car, après avoir déconstruit certaines choses, il faut désormais en construire de nouvelles.
À ce titre, Timothée Chalamet est-il un cas à part, ou est-il la figure de proue d’une nouvelle génération?
Il n’est pas le seul. Dans les personnalités très connues et notamment chez les jeunes, il y a aussi Tom Holland (Ndlr: acteur, vu dans Spiderman) et Harry Styles (Ndlr: chanteur, ex-membre du groupe One Direction), que je cite beaucoup dans mon livre. Ils s’inscrivent tous les trois dans une nouvelle approche de la masculinité, de la gentillesse, de la vulnérabilité. Harry Styles est beaucoup dans la mise en scène vestimentaire, il parle beaucoup de sa santé mentale, c’est un allié des causes féministes et LGBT. Son slogan est “Treat people with kindness”. Tom Holland, lui, met en scène sa relation avec sa petite amie Zendaya de façon très égalitaire; il rigole du fait d’être plus petit qu’elle, il la soutient beaucoup dans son travail. Cela dit quelque chose de l’évolution de notre société, que ce soient ces trois jeunes hommes qui fassent parler d’eux en ce moment, au détriment de bad boys qui ont l’air d’avoir disparu du paysage.
Ces trois représentants d’un renouveau de la masculinité sont quand même toujours des hommes cisgenres, blancs, valides et hétérosexuels…
Oui. Dans le livre, je parle justement de toutes les autres personnes comme eux qui n’ont pas forcément atteint leur niveau de succès car elles sont queer ou non blanches, mais qui adoptent aussi ce type d’attitudes. Si je n’ai pas trouvé d’équivalent de ces trois personnalités en France, il suffit de se promener dans la rue pour voir qu’il se passe quelque chose. On le voit par la multiplication des jupes ou du vernis à ongles sur des personnes qui semblent se genrer au masculin. Et puis, quand on parle avec des adolescent·es, on voit aussi cette évolution. On sent que le patriarcat commence à craqueler.
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