Chef vacataire de l’émission « C à vous » sur France 5, ancien chroniqueur culinaire sur Canal + et star de la cuisine marocaine, Abdel Alaoui cultive en parallèle une passion pour la scène. Nous l’avons rencontré chez Yemma, sa nouvelle cantine marocaine située dans le XXe arrondissement de Paris. Sweat siglé et Stan Smith aux pieds, il nous raconte son histoire.
« Je suis né le 1er août 1979 à Oujda, dans l’est du Maroc. Avec ma famille on est arrivés quelques années plus tard en France grâce à Mitterrand et au regroupement familial. On s’est installés dans la ZUP de Saint-Germain-en-Laye, une ville chicos et multiculturelle. Quand Abdel Alaoui ne regarde pas la cuisinière Maïté à la télé, il est derrière les fourneaux. Petit, je regardais ma mère faire, je l’aidais, j’ai grandi dans une cuisine », raconte le chef. Une suite logique pour ce garçon littéralement né sur le carrelage d’une cuisine.
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Abdel Alaoui arrête l’école en troisième pour faire de l’hôtellerie, « un CFA pourri porte de Clignancourt avec tous les mecs qui ne savent pas quoi faire et quelques cas soc’ ». A la fin des années 1990, la cuisine n’est pas encore hype. Les chefs, les produits, les régions intéressent peu la jeunesse : « Moi même j’étais nul : je ne connaissais que la cuisine marocaine, italienne ou le kebab. Mais je commençais déjà à faire le pitre, à jouer avec les couteaux, à jongler avec tout ce que je trouvais ».
Pour son apprentissage, il débarque dans un bistrot à la française à Saint-Germain-en-Laye. Il découvre la blanquette, les gratins, les sauces, les rudiments de la cuisine française traditionnelle. Quelques mois plus tard, au Cazaudehore, un Relais & Châteaux, il rentre dans le vif du sujet : la carte est gastro, il faut envoyer des grands plats, du caviar, des espuma. Il s’en souvient encore : « C’était hard, il fallait aller vite, être minutieux. L’ambiance était parfois glauque, certains mecs de la brigade étaient carrément fachos », rit-il aujourd’hui. En 1998, il obtient son bac pro et une recommandation pour aller travailler chez le chef Michel Rostang. « La cuisine c’est comme le foot, quand tu as un bon élément, tu le places dans une bonne équipe », raconte Abdel.
Rock’n roll
Au début des années 2000, les codes changent. Le Fooding balance un uppercut musclé à cette vieille dame chic qu’est la gastronomie française et dresse le tapis rouge à une cuisine jeune moderne, effrontée, qui n’a pas peur de la fusion, du sucré salé, du végétal. « Non seulement j’ai débarqué chez Rostang dans ce contexte mais en plus c’était le resto de Johnny Hallyday donc c’était rock ! ». Le restaurant est sur les Champs, la clientèle bling bling mais détendue et les assiettes parisiennes. Abdel résume cette époque en une phrase : « C’était le début de la cuisine branchée ».
En 2003, le jeune apprenti cuisinier habite toujours chez ses parents à Saint-Germain-en-Laye. Il met 45 minutes pour aller travailler. Pendant ces longs trajets, il découvre Molière, Marivaux, Bukowski. En lisant Paris Boum Boum, un gratuit fourre-tout, il tombe sur une annonce pour des cours du soir à l’école Jean Périmony, formation d’art dramatique d’où sont sortis André Dussolier, Fanny Ardant, Jean-Pierre Bacri. Grâce à un arrangement avec son chef de l’époque, au Fouquet’s, il se débrouille pour finir tôt la journée et foncer « chez Péri » jouer Molière, Courteline, Jean-Michel Ribes et Feydaux.
S.O.S Abdel
Hyperactif, bourré de potes et d’idées, Alaoui crée une pastille vidéo intitulée Abdel Cook dans laquelle il débarque chez l’un de ses amis et doit cuisiner avec ce qu’il trouve dans le frigo. « Ce pilote, on l’a tourné avec des potes, on l’a envoyé à une centaine de boites de prod et ça a marché ». Alain Kapof, l’un des producteurs de Caméra Café le contacte et lui propose de bosser pour une nouvelle chaîne du câble, Discovery, avide de jeunes trublions des planches et de la cuisine.
C’est parti pour 50 épisodes de S.O.S Abdel : même concept qu’Abdel Cook mais chez des people. « Je sortais d’école de théâtre, j’avais envie de mettre à profit tout ce que je venais d’apprendre ». La chaîne lui met à disposition un auteur, un cadreur et la liberté de ton presque infinie propre aux petites chaînes. « Cette émission m’a appris à parler devant une caméra, à me positionner, à faire de l’image ».
Deux ans plus tard, on le voit jongler avec des couteaux et toutes sortes d’aliments dans l’émission du midi sur Canal. Anne-Elisabeth Lemoine, chroniqueuse à ses côtés dans La Nouvelle Édition en 2008 parle de « cuisine spectacle » : « On pensait que l’on aurait affaire à un chef mais en fait c’est un show man ».
Londres
Lorsque l’émission sur Discovery s’arrête en 2008, Abdel apprend que Pierre Gagnaire cherche quelqu’un à Londres pour son restaurant Le Sketch. « Je me dis, Le Sketch/Gagnaire, c’est un signe et donc je fonce », raconte-t-il. Sur place, c’est la good life : logé dans une maison dans le quartier sud de Brixton, il est chef de partie et vise la place de second, et la mutation à Pékin qui va avec.
Pourtant, lorsque Canal + l’appelle pour lui proposer une chronique hebdo dans L’Edition Spéciale de Bruce Toussaint, sa décision est vite prise. En 24 heures, il refait ses valises à peine défaites et rentre à Paris. « Au téléphone, ils m’ont dit qu’ils cherchaient une Miss Météo de la cuisine ». La chaîne cryptée lui propose de préparer chaque jour une recette en trois minutes. « C’était de la cuisine et du théâtre en même temps, le rêve ». Pour écrire les 250 recettes de l’année, il s’isole au Maroc avant d’enchaîner trois ans chez Canal +. « Babeth » Lemoine se souvient : « Parfois ça finissait en bain de sang et ce qu’il préparait était souvent froid ou pas cuit mais c’était génial ». Que ce soit aujourd’hui dans C à vous, où il officie une semaine par mois, ou dans sa cantine marocaine, il met toujours de l’ambiance et les gens à l’aise. « C’est quelqu’un de très chaleureux. Ses plats dans l’émission c’est pareil : c’est rassurant, c’est bon, c’est réjouissant », confie Pierre Lescure.
Street cred
Le départ de Canal+ puis l’arrivée sur France 5 lui permet de se replonger dans l’écriture théâtrale et celle d’émissions pour la télé marocaine. D8 vient le chercher en 2012 pour incarner Street cuisine, une émission de rue dans laquelle il cuisine dans un triporteur et invite les passants à faire la tambouille avec lui. « C’était n’importe quoi mais les gens se prêtaient au jeu et ça marchait ! ».
Éternel agité, il se lance aussi dans d’autres programmes sur le câble et sur le net. Sur Cuisine TV, il multiplie les sketchs tandis que sur France 4 il prépare à dîner pour des convives « un peu particuliers » dans Bienvenue dans ma cité. Par exemple, pour le tout premier dîner à Trappes, Abdel doit concocter un couscous pour le député européen FN Florian Phillippot, l’ex avocat sulfureux Karim Achoui et une élue UMP, autour de sujets comme la viande halal ou la souveraineté nationale. Vaste programme.
One man chaud
En 2013, il monte sur les planches du Théâtre du Gymnase pour son premier spectacle One man chaud. Pendant six mois, les gens viennent l’écouter parler de son expérience dans les grands restaurants, de sa mère, de son enfance. Il fait salle comble tous les soirs. Lorsqu’il n’est pas sur scène, Abdel est en Algérie pour faire partie du jury de Top Chef sur Samira TV. Trois ans plus tard, il remplit encore cette mission et rempile pour la saison 3.
C’est ainsi que fonctionne son agenda, Abdel Alaoui ne passe jamais deux mois similaires, il switche continuellement entre comédie et cuisine et dès qu’il peut mixer les deux, il le fait. Pour Antoinette, sa femme, « il n’a jamais voulu faire un choix entre les deux. Il a toujours eu l’intelligence d’amener le jeu vers la cuisine et la cuisine vers le jeu. S’il avait du choisir, je pense qu’il aurait été malheureux ».
Yemma
En 2014, alors qu’il écrit un nouveau bouquin sur la cuisine marocaine, il décide de monter Yemma, une cantine qui regrouperait les grands classiques de la gastronomie du Maroc avec un couscous détonnant et des msemen (crêpe fourrée à la viande et au légumes, épicée, servie chaude). « Un jour j’écoutais Tonton du bled à l’ancienne qui parlait du bon couscous de Yemma. C’est comme ça que j’ai trouvé le nom ». Yemma signifie « chez maman » en marocain.
Côté déco, c’est tables en formica et babouches Louis Vuitton accrochées au mur. Dans cette cantine, mi blédarde mi bobo, Abdel assure tous les jours le service du midi. Le soir, il est en famille, en tournage, en direct ou bien aux fourneaux. Lundi 6 mars, le Joséphine Caves (XIe arrondissement) lui prête sa cuisine pour un dîner semi gastro aux forts accents marocains dans le cadre d’une soirée spéciale L’Agenda des chefs. Bref, Alaoui ne s’arrête jamais.
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