Le deuxième roman inédit de Louis-Ferdinand Céline fait partie des manuscrits disparus pendant la Libération, retrouvés et conservés par Jean-Pierre Thibaudat, puis remis par le journaliste aux ayants droit de l’écrivain en 2021, ceux-ci s’empressant de les publier dès 2022.
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Londres, qui paraît ce 13 octobre, fait suite à Guerre (l’un des immenses succès en librairie de l’année, avec près de 180 000 exemplaires vendus), publié au printemps – hélas sans appareil critique. Peu après, un texte universitaire, rendu public dans Libération cet été, avançait, arguments à l’appui, que ces inédits n’étaient pas des romans en soi, mais des parties du Voyage au bout de la nuit éliminées par Céline. On ne saura peut-être jamais vraiment. À la fin de Guerre, le narrateur, Ferdinand, après avoir été blessé sur le front et hospitalisé, suivait Angèle, la maîtresse-prostituée du souteneur Bébert décédé, à Londres.
On le retrouve donc vivant à la Leicester Pension dans Soho, dans un milieu de souteneurs et de prostituées – le livre est d’ailleurs principalement composé de scènes de cul et de violence, car il s’agit souvent de dresser ou de punir les filles. On se lasse à une vitesse grand V. La langue, surtout, indéniablement celle d’un écrivain, ça on ne le remettra jamais en question, finit par énerver. Ce torrent d’argot, cette petite poésie tonitruante et salée, qui se veut populaire, est une façon de tenir toute gravité ou profondeur à distance ; cette langue qui, en se voulant incarnée à l’extrême, devient paradoxalement inhumaine ; ce style qui, à force d’être drolatique, évacue toute souffrance…
Violence antisémite
Il y a un moment où l’on ne peut s’empêcher de se poser la question des rapports entre langue et idéologie, entre ce que produit la langue de Céline – une musique certes, mais d’une brutalité inouïe – et sa haine populiste des Juif·ves, les appels au meurtre de ses pamphlets ; entre la crudité violente de ses mots, qui forment certes un vrai style littéraire, là encore c’est indéniable, et sa bassesse, sa violence antisémite.
Même si dans la préface, Régis Tettamanzi explique à propos de la représentation des Juif·ves, qu’ “il y a dans ce texte, sinon une dimension réaliste, du moins la prise en compte de cette population de laissés-pour-compte, parmi les quartiers misérables de cette partie de Londres où survivent les pauvres. À cet égard, il faut le noter, les juifs ne sont ni meilleurs ni pires que les autres”, cela n’atténue ni n’empêche rien. Hasard des calendriers, un inédit de Perec paraissait en même temps que Guerre, et Marcel Proust : la fabrique de l’œuvre s’ouvre à la BNF alors que paraît Londres. Cette exposition dévoile l’ampleur que Sodome et Gomorrhe aurait dû prendre dans La Recherche. Proust, qui était juif et homosexuel, parlait des homosexuels comme de “cette race maudite persécutée comme Israël”, et mit l’affaire Dreyfus au cœur de son roman.
À la fin d’Austerlitz, W.G. Sebald rappelle qu’à la place de la bibliothèque François Mitterrand (BNF) se tenait, à peine deux décennies après la mort de Proust, un grand marché des biens juifs spoliés par les nazis. Ne jamais oublier. Surtout en cette période d’antisémitisme décomplexé (voir l’affaire Kanye West).
Londres (Gallimard), édition établie et présentée par Régis Tettamanzi. 576 p., 24 €
Édito initialement paru dans la newsletter livres du 13 octobre
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