La légende dit qu’à 18 ans et deux jours, Sasha Grey a poussé la porte des studios pour se lancer dans le porno. Deux ans plus tard, la hardeuse devenue star tourne avec Steven Soderbergh. Portrait d’une révolutionnaire du X.
Il est possible qu’au départ on n’y ait pas cru, et d’ailleurs qu’auriez-vous fait à notre place ? Elle semblait surgir d’une zone inconnue où le porno, la contre-culture, l’érudition, la new wave et la beauté fatale se seraient mélangés à l’infini. On a cru rêver. On a rêvé. On a rêvé Sasha Grey une fois, deux fois, et peut-être même jusqu’à six ou sept fois de suite. User les downloads jusqu’à la lie, histoire de se prouver que non, elle ne pouvait pas exister – tant il est de l’ordre des fantasmes de rester à leur place.
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Mais sans satiété les bandes, depuis l’été 2007, sont tombées les unes après les autres, attestant que si miss Sasha Grey était bel et bien la révolution en marche dans le X. Celle qu’on n’attendait plus. Non seulement une des plus jolies brunettes que le porno américain ait jamais rencontrées (de plein fouet), non seulement des fesses redessinant une étymologie toute neuve, toute ronde, à l’expression “film de cul”, mais aussi et surtout, la jeune Américaine la plus atypique et la plus intéressante depuis… oh ! depuis au minimum Winnetou (Indien apache imaginé par le romancier allemand Karl May – ndlr)…
D’une part, une évidence plastique folle, qu’il ne sert à rien de décrire, les photos qui illustrent cet article parlant d’elles-mêmes, et donnant une idée de l’effet de contraste que peut produire sur un plateau à Los Angeles ce corps indépendant à toute les formules siliconées qui ont inondé les productions tournées à la chaîne dans les villas des environs de Malibu. Mais une photo est une photo et aucune ici ne laisse deviner ce qui se passe réellement à l’image quand Sasha Grey se met à bouger, à hurler, à monter en intensité, et, tel un geyser, à abuser de ses partenaires (filles ou garçons), à les pousser à quelque chose qui les laissera pantois.
Le tout premier d’entre eux s’appelait Rocco Siffredi, pas exactement le premier hardeur venu, pas exactement le genre de garçon à s’émouvoir devant une petite nouvelle de 18 ans. 18 ans et deux jours dit la légende, et n’en pouvant plus d’attendre, poussant la porte d’un tournage de l’immense John Stagliano, remplaçant pour le film Fashionistas Safado : The Challenge (sorti ici chez Dorcel il y a plus d’un an) une actrice défaillante, et cassant la baraque dans une scène de meute, dans laquelle elle aurait dû, en toute logique, finir noyée : une partouze insensée, que Stagliano, le Rossellini du caniveau porno industriel, l’inventeur du gonzo, avait décidé de filmer sur deux heures in extenso, une partouze avec une vingtaine de filles et quelques gaillards, que des superstars, des épées. Sasha, 18 ans et deux jours donc, novice, vêtue de bas bleus (le hasard aussi a ses métaphores), a pris le dessus sur ce happening, et a stupéfié tout un chacun en hurlant à Rocco des ordres aussi directs que “Punch me in the stomach !”, considérant que le roi Rocco était son sex-toy.
Plus tard, on la verra beaucoup jouer avec des machines (il traîne sur YouPorn ou Red- Tube pas mal de scènes toujours plus ou moins intitulées “Sasha Rides the Fucking Machine”), et cette spécialité dans l’expérimentation du corps et d’un godemiché à moteur n’est peut-être pas tout à fait un hasard dans la mesure où, souvent, Sasha soumet ses partenaires (humains) à son délire à elle, laissant peu de place à une autre humanité que la sienne. Une bite ou une machine : c’est kif-kif. Sex-toy tout le monde. Deux sortes de machines, indistinctes. Des machines toutes pareilles, qui répondent à sa vitesse. Crash.
Cette fille, avec ce corps presque fragile, blanc, ses yeux dramatiques, répondrait parfaitement au dessein de Ballard. Des gang bangs brutaux (allez voir ne serait-ce que l’extrait de Gang Bang volume 5, sorti en DVD chez Red Light et que YouPorn met à disposition sous l’intitulé “Sasha Grey Extreme Gang Bang”), quelques scènes surréalistes (dont une dans The Awakening of Sasha Grey, restée dans les annales, avec un type déguisé en ours en peluche, tout ça pour les productions féministes Belladonna, avec lesquelles elle se sent en affinité). Quelques scènes lesbiennes déterminées, pas mal de trucs interraciaux (I Like Black Cocks), pas mal de SM (Fetish Fanatic # 4, Sex Slaves 2, Nylon 5…), une parodie X de Seinfeld, des tonnes de séquences sans queue ni tête aussi, bref le tout-venant de l’industrie pornographique du moment, entre formatage gonzo et délire punk riot grrrl, mais chaque fois dépassé par l’extrême violence (passion, hystérie, fièvre : remplacez par ce que vous voudrez) dont elle fait preuve. Eclaboussante de beauté, en plus de cela.
De quoi était-elle remplie ? C’est cela la surprise : Sasha Grey, 20 ans cette année, a nos goûts en tout. Elle écoute Throbbing Gristle, Coil, Durutti Column, Joy Division, lit Burroughs ou Hunter Thompson. Et on ne sait toujours pas comment une fille née à Sacramento d’un milieu qu’elle-même définit comme défavorisé, qui s’est tirée de chez elle à 17 ans, qui dit avoir été initiée sexuellement par un boyfriend cuistot dans un resto de seconde zone, a pu répondre, comme naturellement, “Anna Karina”, quand un imprésario lui a demandé quel pseudonyme elle comptait prendre pour entrer dans le métier de hardeuse. Et comment cette Anna Karina partouzée inscrit à son panthéon personnel Godard, Antonioni et Harmony Korine. Non, on ne sait pas.
Les réponses que vous allez lire sont tombées quelques heures avant la sortie de Girlfriend Experience, cette esquisse de portrait que Steven Soderbergh a tirée d’elle. Un film qui bizarrement n’ose pas s’approcher de son héroïne, qui semble en avoir un peu peur. Un film qui a son intérêt ailleurs, en ce qu’il fait explicitement le croisement entre libido et crise économique. A la lire, c’est moins une petite fille, une intello ou une punk qu’une femme d’affaires qui nous a répondu. Avisée, intelligente. Les psys pour revues féminines nous ont bassinés pendant des années sur les pornstars, leur revanche à prendre sur le père, sur le phallus, sur le trauma supposé d’événements troubles remontant à l’enfance. Sasha Grey n’a, semble-t-il, de revanche à prendre que sur la pauvreté, la médiocrité des suburbs américaines. Il y a cinq ans, elle aurait peut-être fait de la télé-réalité en écoutant du r’n’b pourri. Aujourd’hui, elle fait sensation en prenant le contre-pied de tout, écoutant de la new wave dépressive, matant des films Nouvelle Vague contemplatifs, posant à poil pour Vice et tournant des pornos extrêmes et appliquant Nietzsche aussi bien que The Economist. Fuck la crise, le credit crunch, les white trash et Sacramento mon cul. Fuck l’inculture et la vulgarité, l’ignorance et le conformisme. Fuck les clichés et les cases préparées. La plus grande hardeuse du monde, assurément.
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