Peut-on écrire sur le cinéma sans connaître James Gray ? Comment parler des films que l’on voit ? Dans l’édito de la newsletter cinéma de la semaine, Jean-Baptiste Morain se questionne et écoute “Le Masque et la Plume”.
Godard est mort il y a un mois et il me manque. Pourquoi ? L’autre jour, en projection de presse, en attendant que le film commence, j’entendais deux de mes consœurs, derrière moi (hors champ, donc), parler d’un film qu’elles avaient vu toutes les deux et qui les avait beaucoup déçues. Très vite, je fus pris d’une gêne extrême, non parce que leurs arguments étaient très bateau (“Le couple ne marche pas”, “on n’y croit pas”, etc.), mais parce que j’y reconnaissais certains de ceux qu’il a dû m’arriver de formuler et qu’ils me paraissaient soudain très bêtes.
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Certes, je fus un peu rassuré quand l’une des deux demanda à son amie : “Et sinon, tu as vu le James Gray ?” “Le quoi ?”, répondit l’autre. “Le nouveau film de James Gray. Tu connais James Gray ?” “Euh… C’est quoi, le titre ?” “Armageddon Time, il était à Cannes.” “Ah non, je ne vais jamais voir les blockbusters, ça ne m’intéresse pas.” “Mais ce n’est pas du tout un blockbuster…” Et comme la salle fut lentement plongée dans le noir, elles se turent. Le film commença. Je me dis : “Comment peut-on ne pas savoir qui est James Gray, quand on est journaliste ou critique de cinéma ?” Puis j’oubliai.
Sur les ondes
Et puis dimanche dernier, j’ai écouté par inadvertance (je l’écoute rarement, ça me rappelle le boulot), Le Masque et la Plume sur France Inter, consacrée ce jour-là au cinéma. On retrouvait comme d’habitude les mêmes intervenant·es.
Le pauvre journaliste du Figaro était là, toujours goguenard (il a dû naître dans cet état). Écrivain crève-la-faim, vieux “nouveau hussard” sans cheval, comme un punk à chien sans chien, il écrit sur le cinéma depuis une quinzaine d’années – il a environ 60 ans – et fait souvent montre d’une inculture malaisante, dûe au seul fait qu’il n’a sûrement pas vu un seul film entre 20 et 45 ans. Il a d’ailleurs annoncé naguère dans un petit pamphlet, rachitique sur tous les plans, que le cinéma français était mort avec Truffaut et Sautet. Comme sa jeunesse, en somme. Il n’avait rien d’intéressant à dire sinon qu’il n’aimait pas les films réalisés par des gens qu’il croit de gauche.
Le journaliste vedette de Positif depuis 1960 nous expliquait (en vain, me concernant) que Ruben Östlund, le dernier récipiendaire de la Palme d’or, était le nouveau Buñuel. Omettant le simple fait que Luis Buñuel était un peu meilleur cinéaste, mais aussi beaucoup plus de gauche, quand même.
Seul·es le journaliste spécialisé dans les séries de France Inter et surtout la brillante critique de Libération avaient l’air de penser quelque chose des films et en tirer des réflexions sensées, plutôt que d’étaler des lieux communs très convenus, des approximations volontaires et des goguenardises auto-satisfaites.
Et je me suis soudain souvenu que Godard, à la fin des années 1970, avait écrit à la main dans les Cahiers du cinéma : “Je ne vais plus à Paris, ils ne se lavent pas les idées.”
Édito initialement paru dans la newsletter cinéma du 12 octobre
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