Le cinéaste américain Antonio Campos s’approprie le documentaire culte signé Jean-Xavier de Lestrade.
Les personnes nées avant les années 1990 se souviennent certainement du choc provoqué par Soupçons (The Staircase), la mini-série documentaire diffusée en 2004 par Canal Plus. D’abord, parce qu’il s’agissait de l’une des premières tentatives du genre, avant que le true crime ne devienne mainstream sous l’impulsion de Netflix et de son mythologique Making A Murderer, mais aussi parce que cette affaire reste à la fois fascinante et polysémique, jusqu’au vertige. Pour rappel, le 9 décembre 2001, Kathleen Peterson est retrouvée morte en bas des escaliers, dans sa maison de Durham en Caroline du Nord. Très vite, les soupçons se portent sur son mari, à cause de la présence d’une énorme quantité de sang et de traces de lacérations sur son cuir chevelu, évoquant une agression avec un objet contondant. Sauf que Michael, présent ce soir-là dans la résidence, nie absolument tout. C’est d’ailleurs lui qui a appelé les secours, d’un ton paniqué. Alors, accident ou féminicide ? Telle est la question, cruciale.
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Pour celles et ceux qui n’ont pas suivi les tours et détours de cette histoire, on ne révélera pas son issue finale. Pour les autres, on tentera de répondre à une question toute bête : faut-il plonger dans The Staircase, qui adapte la belle série documentaire du Français Jean-Xavier de Lestrade, en y ajoutant (forcément) une bonne dose de fiction et en couvrant un temps plus long, de 2001 à aujourd’hui ? Revenir sur les œuvres les plus abouties semble toujours un exercice périlleux, auquel Antonio Campos, le créateur, se confronte comme il peut. Durant les tous premiers épisodes, les plus proches du documentaire de Lestrade, on ne peut que constater ses limites.
Le suspens et le mystère restent présents, mais le sentiment de vérité qui nous avait frappé disparaît presque totalement, au profit d’une installation étirée et d’une caractérisation des personnages un peu molle. Que ce soit l’accusé ou la victime représentée via des flashbacks, voire les avocats et la famille, la longueur des épisodes (un sujet devenu épineux pour nos rétines et notre temps de cerveau disponible) ne fait justice à personne. On sent le créateur impressionné par le matériau, presque tétanisé. Heureusement, cette sensation change doucement, quand quelque chose se délie, sans qu’on ne comprenne totalement pourquoi dans un premier temps.
Un précis de psychologie
Après trois ou quatre épisodes – sur les huit que compte la série –, une forme d’attachement sincère se crée, même si on ne critiquera personne pour avoir laissé tomber avant. Cela correspond au moment où l’aspect “meta” prend davantage de place. L’une des idées centrales de Campos consiste à mettre en scène dans la fiction la présence de l’équipe documentaire de Jean-Xavier de Lestrade dans la vie de Michael Peterson, mais aussi à placer sur le devant de la scène le personnage de Sophie Brunet (Juliette Binoche), la monteuse de Soupçons, devenue proche de l’accusé. Après une forme d’adaptation, tant les scènes parisiennes ne font guère rêver, on comprend un peu mieux le projet, qui a le mérite de la cohérence. The Staircase devient alors une sorte d’enquête de personnalité, un précis de psychologie qui tente de mettre en perspective la fascination exercée par Peterson sur celleux qui le fréquentent. Et sa nature profonde.
Une victime effacée
Cet écrivain de polars, pas franchement flamboyant au premier abord, dévoile une personnalité déroutante, en dehors des cases : parfois réellement inquiétant, il ne correspond pourtant pas au portrait-robot du mâle toxique et violent, clame son attachement à son épouse. Menteur quasi-professionnel, il déclare pourtant avec toute la franchise du monde que “mentir ne vous rend pas libre”. Ses motivations ne sont jamais claires et la série finit par patiemment tirer ce fil, qui ouvre des possibilités.
Dans ce rôle pour le moins casse-gueule, Colin Firth déploie une palette de jeu très convaincante, mélange d’assurance à toute épreuve et de lassitude profonde. Il faut dire que l’affaire dure des années, ce qui donne à The Staircase un rapport touchant au temps qui passe. Le mouvement final, qui met en jeu la bisexualité assumée du personnage – même si la question est plus complexe, il faut pour cela regarder la série… – tire tardivement le récit vers des sphères nouvelles et relativement imprévues. Et si tout cela était l’histoire d’un déni ? Ce que The Staircase rate, en revanche, c’est le portrait de la défunte. Malgré tous les efforts de l’excellente Toni Collette pour lui donner du relief, cette femme reste une “desperate housewife” dont le point de vue n’est jamais suffisamment exploré. Plus de deux décennies après les faits, Kathleen Peterson reste un fantôme, tant son mari prend toute la place.
The Staircase d’Antonio Campos avec Colin Firth et Toni Collette. Sur Canal Plus et MyCanal à partir du 13 octobre.
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