Et si les vies américaines pouvaient avoir un second acte ? Après deux romans d’une saisissante noirceur, Melanie Wallace laisse enfin filtrer la lumière.
S’il est une écrivaine à qui les fans d’utopies pastorales n’ont jamais dit merci, c’est bien Melanie Wallace. Dans son premier roman, Sauvages, rien ne poussait dans les plaines du Far West, à l’exception de croix marquant les tombes des pionniers.
Aujourd’hui, les paysages au milieu desquels l’héroïne adolescente de Traverser l’hiver se retrouve successivement enceinte et en fuite se résument à des “déchets abandonnés par une ère glaciaire qui, aussi loin que portait le regard, avait sculpté le monde en une interminable moraine inhospitalière, aussi stérile que la Lune”.
A cette désolation des lieux s’en ajoute une autre, nichée au plus profond des êtres. Pour pénétrer les strates de cette géologie du malheur, Wallace nous a habitués à égaler, en fulgurances et en noirceur, Annie Proulx et David Vann. Voire à les dépasser.
Prendre le risque d’écrire contre ses livres antérieurs
New York, années 1970. De retour du Vietnam, où il a laissé la moitié de son visage et la totalité de sa confiance en lui, Sam passe d’une jungle à une autre : dans le Lower East Side, où il vit en reclus, la seule loi qui vaille est celle des dealers. Quelques centaines de kilomètres plus au nord, Iris, veuve fortunée mais fracassée par son mariage avec un psychopathe, a elle aussi fait le choix de la claustration.
Quand la fille de l’Ouest, June, échoue en compagnie de son bébé et de Sam à la porte d’Iris, l’addition de ces solitudes laisse présager un engrenage de désastres – à la dernière page du livre précédent de Wallace, La Vigilante, la glace d’un lac se brisait sous les pas d’un trio de personnages, transformant les eaux en linceul. Au prix d’inattendues entorses à cette mécanique de la fatalité, Traverser l’hiver esquisse toutefois une paire de retours à la vie.
En prenant ainsi le risque d’écrire contre ses livres antérieurs, Wallace ne renonce en rien aux portraits d’éclopés et aux flamboiements faulknériens qui en faisaient le prix. De la confrontation entre des ressorts dramatiques plus conventionnels – au nombre desquels figure l’intervention d’un cousin quadrupède de Lassie chien fidèle – et une prose toujours aussi ravageuse naît un roman d’une entêtante schizophrénie. Bruno Juffin
Traverser l’hiver (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent, 300 pages, 20 €