Le philosophe et sociologue Bruno Latour était également une personnalité influente du monde de l’art.
Bruno Latour apprenait à regarder, mais il apprenait également à faire voir. Le sociologue, anthropologue et philosophe disparu le 9 octobre est l’une de ces figures rares à qui le monde de l’art a fait un sort, et avec laquelle les artistes ont construit un dialogue. Un dialogue, soit une réception directe, s’acheminant vers une remise en cause des réflexes de la modernité ; en ligne de mire, rendre sensible ce tournant (cela serait les œuvres), le faire ressentir (l’exposer) et outiller les artistes (par l’enseignement expérimental).
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Au sein de son système de pensée, l’histoire des arts et des sciences se construit conjointement, à l’encontre des séparations idéologiques héritées : nature et culture, science et expérience, fiction et raison. Or aller contre cet hermétisme revient à réclamer une “nouvelle cosmologie” : trouver d’autres formes d’organisation et d’enquête, aiguillonner l’imagination de modes d’existence alternatifs et raviver les possibles d’autres planètes pour sortir de l’ancien régime climatique.
Les expositions sont donc autant de “simulations” ; elles constituent d’autres manières d’offrir un accès critique au réel, en compagnonnage avec l’œuvre publiée. À l’automne dernier, le Centre Pompidou-Metz exposait une adaptation de la Biennale de Taipei de 2020 dont il était le co-commissaire, Toi et Moi, on ne vit pas sur la même planète, un planétarium fictif articulé autour de la planète Globalisation, la planète Sécurité, la planète Exit et la planète Gaïa.
Urgence climatique
Habiter autrement, depuis l’urgence climatique et avec l’aide de l’alliance entre artistes, scientifiques et activistes, telle était également la ligne directrice des expositions Zones Critiques (2020-2022) et Reset Modernity ! (2016) au ZKM de Karlsruhe ou d’Anthropocene Monument aux Abattoirs de Toulouse (2016). Et ce n’était alors pas un hasard si la première réunion de l’Anthropocene Working Group (AWC) s’était tenue dans un centre d’art, le HKW à Berlin, en 2014.
En 2017, Bruno Latour se haussait à la neuvième place du classement des personnalités les plus influentes de l’art du magazine Art Review. Au-delà du quantitatif seul cependant, le master SPEAP qu’il a créé à Sciences Po rayonne, par les artistes, curateur·rices et vivant·es passé·es par le Programme d’expérimentation en arts politiques, pour adresser aux futurs ses manières d’exister, dès lors multiplement incarnées.
Édito initialement paru dans la newsletter Art du 11 octobre
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