A l’affiche de “L’Innocent” de Louis Garrel le 12 octobre, l’actrice nous parle de comédie, de syndrome de l’imposteur et d’André Téchiné.
Noémie Merlant est très occupée. Après la Mostra de Venise, où elle présentait, avec Cate Blanchett, Tár de Todd Field, elle est, ce lundi 19 septembre, jour de l’interview, à San Sebastián pour L’Innocent de Louis Garrel, dans lequel elle excelle. Avec lui, elle se réinvente en géniale actrice de comédie, à l’extrême opposé de ce regard intense et sérieux qui fixait un pan de sa filmographie. Bientôt, elle devra s’envoler pour un tournage en Croatie, avant de rejoindre New York.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
L’Innocent est une comédie. Qu’est-ce que ça a été comme expérience de jeu ?
Je n’ai pas l’habitude de la comédie. Je sortais de tournages très intenses, assez dark, qui torturent un peu. Le film de Louis est arrivé à point, j’avais besoin de souffler. J’étais habituée à ce qu’on me dise de jouer de la manière la plus intérieure possible, de ne pas en faire trop. Avec Louis, c’était l’inverse, il m’a dit : “Pars dans les aigus, rigole, fais des grimaces, exagère à fond, cabotine !”. C’est la première fois que j’ai l’impression d’être autorisée à prendre des risques à ce niveau-là. C’était très plaisant et libérateur. Même si l’exigence de rythme, de sincérité, est très fatigante dans la comédie.
Ça a été naturel pour vous d’aller vers ce type de jeu ?
C’est sûr que c’est plus difficile parce que c’est moins automatique chez moi. Dans la vie, c’est pas forcément ma personnalité, quoi que… Avec certaines personnes, on s’autorise à être soi. J’ai plus de mal à être moi-même dans la vie avec mon masque social car je suis très timide, très réservée et, en même temps, ma vraie nature est plus joyeuse, plus légère. J’ai aussi piqué des choses à des amies qui ont un tempérament un peu comme le personnage, Clémence.
Vous connaissiez le cinéma de Louis Garrel ?
Quand j’ai commencé ce métier, il y a beaucoup de choses que je ne connaissais pas. J’ai découvert Louis dans The Dreamers, quand j’étais au cours Florent et que je me nourrissais de films pour rattraper mon retard. J’ai découvert beaucoup de films à cette époque et je ne me suis pas arrêtée depuis, dans cette course boulimique. J’ai vraiment fait sa rencontre artistique plus tard comme réalisateur et acteur. Sa palette de jeu est immense et il a une façon très particulière de raconter des histoires, de les mettre en scène de manière si personnelle et en même temps si universelle, avec ce doux mélange d’autrefois et de modernité, de mélancolie et de légèreté, avec son côté bourgeois et populaire à la fois. Avec le duo comique que nous formons dans L’Innocent, je dirais que c’est la première fois que je ressens cette notion forte de partenaire à l’écran.
Faire de la comédie engage un rapport au corps différent ?
Tout est plus ample, la voix, le corps.
Vous avez souvent joué des personnages avec des corps entravés ou transformés – une jeune femme sans bras, une sourde, un homme trans.
C’est vrai. Depuis le film de Jacques Audiard, je travaille souvent avec une chorégraphe qui s’appelle Stéphanie Chêne. Le travail au corps, on peut vite l’oublier, alors qu’il est essentiel. Je ne sais pas à quel point c’est conscient, si ce sont les rôles qui viennent à moi ou si c’est moi qui vais les chercher, mais, en effet, j’ai besoin d’aller vers des rôles différents, de prendre des risques, de sortir de moi, de me mettre dans la peau de l’autre pour le comprendre.
Vous avez fait beaucoup de danse plus jeune, vous vouliez être danseuse ?
Oui j’ai fait pas mal de danse. J’ai eu, à un moment, envie d’être danseuse, puis chanteuse. J’avais envie de faire du spectacle, de la comédie musicale.
J’ai lu que vous rêviez de jouer dans une comédie musicale à la Baz Luhrmann.
Oui, j’aimerais beaucoup.
Vous seriez prête à lancer un projet auprès d’un ou d’une cinéaste dont vous aimez le travail ?
Jusqu’à présent j’ai toujours attendu qu’on vienne me chercher. Est-ce de l’ego ou la peur de déranger ? Aujourd’hui, je me sens un peu plus sûre de moi, quand même, un peu plus légitime, donc je pense qu’un jour, oui, quand je me sentirai encore un peu plus légitime quand même [rires], j’irai contacter les quelques réalisateurs, réalisatrices avec qui je rêverais de travailler.
C’est difficile de se sentir légitime ? Vous souffrez du syndrome de l’imposteur ?
Ah complètement ! Ça en devient énervant, dès que je fais un truc, je m’excuse de le faire. Je me regarde le faire, je m’entends et je me dis “Mais non, arrête !”. C’est automatique. Mais bon, je vois qu’avec le temps, ça évolue, plus les projets arrivent, plus il y a de la confiance, j’avance, mais c’est toujours là.
Est-ce que vous avez l’impression que ce syndrome est plutôt féminin ?
Oui. Ça ne veut pas dire que ça n’existe pas chez les hommes. J’avais lu une enquête qui montrait que, pour un poste haut placé, les femmes qui ont les compétences et les diplômes requis vont postuler pour le poste en dessous. Pas les hommes. En pourcentage, la différence était flagrante. Je vois par exemple qu’il y a énormément de femmes, techniciennes, scénaristes, qui ont envie de réaliser mais qui se lancent tard parce qu’elles ne se sentent pas légitimes. C’est aussi lié à l’espace, dans la rue, l’espace appartient aux hommes. Il y a ce film magnifique de Lina Wertmüller, Les Basilischi. La manière dont elle filme le groupe d’hommes dans la rue et le groupe de femmes… Les femmes marchent très vite. On a toutes l’expérience de ne pas être en sécurité dans la rue. Dans le travail, dans le métier d’artiste, on prend l’espace plus difficilement aussi, on doit s’imposer.
Portrait de la jeune fille en feu a été un film important dans votre filmographie. À quel point ce film vous a t-il changée ?
C’est un film qui m’a transformée à tous les niveaux. En tant qu’actrice, ça m’a ouvert des portes. Mais c’est surtout dans ma vision de femme et d’artiste que ça m’a énormément apporté et que ça m’apporte encore, que ce soit sur la connexion au désir, en tant que femme, l’oppression du male gaze et l’importance du female gaze. Pour moi, c’était des notions très vagues. C’est un film qui m’a aidé à passer à l’action à plein d’endroits dans ma vie personnelle et dans le travail, dans la réalisation par exemple.
C’est à partir de Portrait… que naît votre désir de réaliser vos propres films ?
Le désir de réaliser, non. Mais plus de courage pour me lancer, oui. Mon désir de réaliser remonte à ma quatrième année au cours Florent. Je savais que je voulais être actrice, mais je n’y étais pas encore. À cette époque, je vis un drame familial, mon père se retrouve à l’hôpital et on y passe de nombreuses années. Je ne sais pas si c’était une mise à distance pour supporter ce qui se passait, mais tout ce que je vivais là-bas, je le voyais comme des scènes et donc j’écrivais des scènes, des dialogues. Je ne savais pas que le monde de l’hôpital était comme ça, avec autant d’entraide, de moments bouleversants. J’aurais pu en faire un documentaire mais j’ai eu envie de le mettre en fiction, en me disant qu’un jour, j’en ferais un film. Après ça, je ne me suis plus arrêtée de voir la vie en fantasmant, à chaque fois, des films, en vivant les choses. Imaginer des histoires que je ne vis pas forcément, ça m’aide.
En voyant votre film, Mi iubita mon amour, on a aussi l’impression que Portrait… vous a aussi inspiré. Il y a quelque chose de proche sur la question du regard, de la redéfinition d’images stéréotypées.
Oui, ce sont des choses que j’avais en tête, grâce au film de Céline, grâce aux discussions, grâce aussi aux femmes qui ont pris la parole. Je me souviens que je lisais et j’écoutais Virginie Despentes, qui parlait de ça, du fait que si les femmes pouvaient enfin prendre la parole, ce n’était pas pour être des femmes parfaites, qui ne débordent jamais du cadre. Je trouvais ça vachement intéressant de renverser les codes, et, en même temps, de questionner le consentement, les dynamiques de pouvoir, les personnes invisibilisées. Portrait… a amené ces questionnements mais ce sont aussi les différents mouvements qu’il y a dans le monde qui ont permis ça. Portrait... c’était pas très loin après le début de MeToo. Les portes se sont ouvertes petit à petit.
De quoi parle votre prochain film ?
Ça s’appelle Les femmes au balcon, c’est une comédie sanglante, avec un mélange des genres, dans un décor un peu surnaturel, avec un jeu dangereux entre hommes et femmes. On est du point de vue de l’intimité de trois amies, trois femmes, trois copines. C’est un film choral, quasiment en huis clos. On est vraiment dans du gore, de la comédie, de l’absurde.
Vous avez récemment tourné avec Cate Blanchett dans Tár de Todd Field.
C’était dingue, très stressant parce que ce sont mes premières expériences en anglais. J’étais très impressionnée par Todd Field, dont j’admirais le travail et Cate, qui est l’une de mes idoles depuis le début, qui m’inspire souvent quand je construis mes personnages. Je revois souvent ses films, ça me donne de l’énergie. Me retrouver face à elle était très déstabilisant. Mais avoir la chance de la regarder construire, incarner son personnage, c’est hallucinant.
Vous avez aussi récemment tourné avec André Téchiné, vous pouvez nous parler du film ?
Alors, je ne sais pas du tout ce qu’on a le droit de dire, encore, sur ce film. C’est une histoire entre un frère et sa sœur. Je connaissais le travail d’André. Les Roseaux sauvages est le premier film que j’ai découvert de lui. Puis, il y a eu Hôtel des Amériques, Les Témoins, Quand on a 17 ans… J’étais ravie de pouvoir travailler avec lui, le tournage était extraordinaire. Les plus beaux “action” de cinéma que j’ai entendus, c’est André qui les dit. Ça me bouleversait à chaque fois. Et il ne dit jamais “couper”. Ça le définit très bien, je trouve.
L’Innocent de Louis Garrel, avec Roschdy Zem, Anouk Grinberg et Noémie Merlant, sortie le 12 octobre.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}