Show enlevé, palmarès généreux et constellé de favoris : à qui revient l’oscar ? À Hollywood même, Olympe de l’entertainment.
« Hey Donald Trump u up ? » C’était la plus notable incursion politique de cette 89e cérémonie des Academy Awards, animée dans la nuit de dimanche à lundi (heure française : les oscars sont un truc de noctambules) par l’homme de télé Jimmy Kimmel à Los Angeles. L’humoriste a assuré une excellente tenue générale, et même conduit quelques coups d’éclat qui n’ont pas fini de faire parler d’eux – comme cette invitation intempestive des visiteurs d’un tour bus hollywoodien (difficile de ne pas y voir une simulation, mais passons), ou ce tweet envoyé à son très contesté président en direct du Dolby Theatre. « U up ? » (« t 2bou ? »), c’est aussi raisonnablement insolent que toute cette cérémonie très attendue sur le terrain politique, dans un contexte d’intense chamaillerie médiatique opposant Hollywood à Washington.
C’est à la fois osé, et une sorte de strict minimum, mais c’est très à l’image du show qui nous a été offert ce soir : une valse de vannes effrontées et des statements à vague connotation militante, sur un air de spectacle de variétés d’une souplesse souveraine.
Une déferlante de favoris oscarisés
En fait ces oscars sont parvenus à délivrer le scénario le plus médian qui soit, mais avec une dramaturgie en montagnes russes. Il faut dire que le cru 2016 voyait une déferlante de favoris pas tellement conçus pour coexister, comme si les vainqueurs annoncés d’une demi-douzaine d’éditions s’étaient involontairement donnés rendez-vous la même année : le roi La La Land du triomphe duquel on tire déjà des sketches, le challenger parfait Moonlight retitré par Screen Junkies « All Of The Oscar Things », et des coups d’éclat comme Premier Contact ou Manchester by the Sea. Et aucun ne rentre la queue entre les jambes.
Si La La Land s’arroge la majorité des récompenses, le film de Damien Chazelle doit néanmoins prendre acte d’un certain backlash survenu ces dernières semaines, et qui faisait presque pressentir une chute un peu douloureuse. Il n’en est rien : lauréat six fois (dont les catégories régaliennes du réalisateur et de l’actrice, et deux prévisibles prix musicaux), la comédie musicale repart glorieuse, tout en cédant une cruciale bataille à Moonlight, qui rentre avec 3 sésames dont celui du meilleur film. Tu ne tueras point s’en réserve deux, poussant déjà certains à parler d’un retour en grâce de Mel Gibson à Hollywood auquel il ne faudrait tout de même pas excessivement s’attendre. Même score pour Manchester by the Sea, et sur les deux catégories qu’il aurait été insupportable de le voir rater : celle du scénario d’une maturité romanesque éclatante de Kenneth Lonergan, et celle de l’interprétation non moins vertigineuse de Casey Affleck.
Isabelle Huppert, rendez-vous manqué
Un palmarès moins parfaitement satisfaisant que parfaitement synchrone et en harmonie, en fait, avec le Hollywood dont il émane, et dont il semble directement exsuder : partage généreux des territoires, reconnaissance des nouveaux mètres étalons de l’oscar movie que sont le spectacle enchanteur de La La Land et le geste indé irréprochable de Moonlight. Une seule vraie réserve peut-être, mais qui concernait un hiatus, un conflit de droits insoluble de cette 89e cérémonie : l’oscar de la meilleure actrice décerné à la favorite Emma Stone pour son rôle dans le film de Damien Chazelle. Ne pas le lui remettre eût été un rendez-vous manqué avec cette actrice certes remarquable, parfait produit de la méritocratie contemporaine de l’entertainment. Mais impossible d’être indifférent à celle à qui le Graal échappe : Isabelle Huppert, plus grande actrice du monde en dehors (juré) de toute préférence nationale. Le retour en force de cette dernière ne permet pas cependant d’exclure une nouvelle chance dans les prochaines années.
S’il fallait retenir un moment, ce serait l’acceptance speech désarmant de Casey Affleck, éternel cadet de sa superstar de frère, acteur incomparable sur un registre de vulnérabilité violente et vénéneuse dont il a quasiment inventé les termes, et qui a trouvé avec Manchester by the Sea un écrin qu’on n’espérait même plus le voir rencontrer un jour. Son discours est à l’image de ses rôles : timide et modeste, nuage de remerciements grommelés dont le dernier, bien sûr, revient à Ben – « I love you ». Mais au milieu, la vérité éclate en trois mots à peine : « I’m included ». Soulagement bouleversant d’un interprète toujours retenu dans l’ombre et qui enfin, pour citer une autre benjamine déconsidérée, peut siéger à la même table que les autres.
Incroyable couac final
Enfin non, soyons honnête : le moment qu’il faut citer, c’est le twist final impensable offert par les remettants du meilleur film Warren Beatty et Faye Dunaway, et qui a conduit à annoncer vainqueur La La Land avant de rétro-pédaler quelques minutes plus tard, alors que l’équipe était déjà sur scène, pour finalement décerner l’oscar à Moonlight. La faute à un imbroglio d’enveloppes interverties dont on n’a pas encore le fin mot, mais quel qu’en soit le bénéficiaire (Barry Jenkins triomphe, mais La La Land a presque eu le loisir d’en profiter tout autant), le scénario est en fait rêvé : après une cérémonie de très belle tenue, qui pouvait nous conduire à penser que les oscars étaient capables de tout, voilà qu’ils nous offrent la seule chose qu’on croyait totalement hors de leur portée – un accident.