Pour sa troisième réalisation, la réalisatrice et comédienne touche à l’enfance dans sa cruauté et ses dynamiques intimes.
Le moment où Hafsia Herzi était regardée d’abord en tant que comédienne (chez Kechiche ou Guiraudie, notamment) est bien révolu. A trente-cinq ans, la native de Manosque s’affirme de plus en plus en tant que réalisatrice, l’une des plus pertinentes en France. Après deux longs-métrages pour le cinéma, le très beau Tu mérites un amour (2019) et le passionnant Bonne Mère (2021), la voici de retour avec un téléfilm pour Arte, a priori loin des récits plutôt autobiographiques que dessinaient ses premières tentatives énergiques et fières. Un film de commande, en somme, avec les limites et les angles d’attaque possibles que le genre suppose.
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Tout ou presque se passe dans la cour d’une école, alors qu’une jeune fille de dix ans, Anya (Lucie Loste Berset, très émouvante), intègre le CM2 après un voyage de deux ans à l’étranger avec ses parents. Elle arrive dans un petit monde clos et va devoir trouver une place là où l’espace se divise en groupes souvent incompatibles – un sujet exploré magnifiquement en maternelle par Claire Simon, dans son documentaire emblématique Récréations, en 1998. D’emblée, Herzi travaille cette question de l’espace à travers une problématique qui a pris de l’ampleur ces dernières années : qui a le droit de courir, d’occuper le terrain dans une cour d’école ?
La réponse la plus évidente tient en deux mots : les footeux. Le film fait de ces petits mecs les méchants de l’histoire, montrant comment ils empêchent d’autres enfants de leur âge, et d’abord les filles, de profiter de cette géographie a priori commune. Herzi le démontre en quelques plans, mais n’en fait pas son sujet. Elle préfère filmer les un·es et les autres à égalité, malgré leurs dissensions et leurs différences, parfois brutales et cruelles. C’est ce qui frappe en premier dans La cour : la proximité physique et émotionnelle de la cinéaste avec tous ses personnages, y compris les adultes (notamment Clotilde Courau, dans un rôle secondaire où elle excelle) qui parviennent à exister en quelques minutes de présence, grâce à l’insistance de Herzi à en faire autre chose que des figures sociologiques qui passent.
Le film ne brille pas spécialement par l’originalité de son scénario, qui remplit à peu près les cases du service public contemporain (on aurait pu voir La cour sur France 2), même si une certaine retenue dans la dramatisation le rend plus fin qu’il n’y parait. C’est d’abord le regard de Hafsia Herzi qui compte, sa manière de s’attarder sur des détails ou de s’autoriser quelques chemins de traverse – les mêmes que va rechercher son héroïne. On pense à certaines scènes de colère captées avec une force inouïe, à d’autres beaucoup plus douces qui cherchent toujours à exprimer les sentiments comme une matière filmique, à la présence belle et décalée de Djanis Bouzyani, qui interprète un animateur scolaire ultra bavard.
Herzi semble parfois bridée, voire limitée dans cette ambition par le respect du cahier des charges, mais on reste toujours embarqué·e par le flux de sa caméra frontale et précise. C’est un peu comme si la réalisatrice filmait juste à côté du scénario, capable de le faire avancer tout en s’intéressant à ce qui n’est pas forcément exprimable par les dialogues ou les scènes en tant que telles. Son prochain projet est une adaptation de La Petite Dernière, le roman choc de Fatima Daas, cette fois au cinéma. C’est peu dire qu’on a hâte.
La cour de Hafsia Herzi sur Arte le 30 septembre et sur Arte.tv du 23 septembre au 28 décembre 2022, avec Clotilde Courau, Lucie Loste Berset et Jérémie Laheurte.
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