Décédé ce 28 septembre à l’âge de 59 ans, le rappeur américain est définitivement lié à son tube de 1995, “Gangsta’s Paradise” et à l’album du même nom. Sous la couche de peinture, pourtant, il était un fidèle représentant du son west coast, poseur à l’ancienne qui est passé tout près d’un statut plus important encore.
Un tube planétaire peut être une bénédiction ou une malédiction. Dans le cas de Coolio, on ne saurait faire un choix arrêté. En 1995, le rappeur californien était catapulté star du genre avec le single Gangsta’s Paradise, composé pour la bande originale du film Dangerous Minds (Esprits rebelles, en version française).
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Un long métrage caricatural où Michelle Pfeiffer, professeure blanche, tente tant bien que mal d’éduquer une classe turbulente défavorisée majoritairement noire et hispanique. En marge du film, Coolio se retrouvait alors en tête de gondole, trois semaines en première place Billboard Hot 100, douze semaines dans les deux premières places. Il rafle tout : la plus grosse vente de singles de l’année aux États-Unis devant les TLC ou les Boyz II Men, le Grammy Award de la meilleure performance rap solo de 1996, celui du meilleur album rap en 1997 pour l’album du même nom… Et une place au panthéon du hip-hop. À l’heure de sa mort, survenue ce 28 septembre 2022 alors qu’il n’était âge que de 59 ans, c’est de ce hit colossal dont le monde se souvient, quelque part entre le cadeau du ciel et le bâton merdeux. Car après ce coup de force, Coolio a frôlé l’image du one-hit-wonder. C’est un raccourci, mais la mémoire collective est aussi sélective.
À quoi tient cette image ? Au succès, certes, mais aussi au statut d’amuseur public dans lequel Coolio s’est ensuite quelque peu perdu. Bien sûr, il serait réducteur de limiter la suite immédiate de sa carrière à cet aspect. Mais transformé en chouchou d’un jeune public, identifié comme loufoque à cause de ses fameuses tresses en pétard, en s’aventurant à interpréter le générique de la série télévisée Kenan & Kel en 1996, objet pop-rap par excellence, le rappeur a loupé un train qui, après lui, avait pris sérieusement de la vitesse. Celui qui voyait le rap west coast s’autoproclamer roi des charts à la fin des années 1990 avec Dr. Dre, Snoop Dogg, Xzibit, ou Eminem en fers de lance. Coolio, lui, peinait, malgré quelques réussites ponctuelles, à être affilié à cette mouvance dominatrice dont il était pourtant un digne représentant dans la première moitié de ces années-là. Gangsta’s Paradise et ses répercussions étaient passées par là.
Le flow qui rassure
Bien qu’il soit né le 1er août 1963 en Pennsylvanie dans la petite ville industrielle et tranquille de Monessen, Coolio, Artis Leon Ivey Junior de son vrai nom, est un enfant de Compton. Sa famille y a déménagé alors qu’il est encore enfant, le plongeant dans l’un des viviers rap les plus agglutinés du pays. Son premier single, Watcha Gonna Do?, sort en 1987, peu de temps avant qu’il rejoigne le groupe WC and The Maad Circle en 1991 et qu’il participe au premier album de la formation, Ain’t A Damn Thang Changed. C’est le rappeur WC qui mène la danse et remporte les honneurs. Alors, Coolio va voir ailleurs, plus précisément chez le label Tommy Boy Records, sommité dans l’univers rap d’alors. Il quitte la formation et sort son premier album solo en 1994, It Takes A Thief.
Sur ce disque, tiré vers le haut par le single Fantastic Voyage, le rappeur transpire déjà l’esprit des fêtes californiennes. L’esthétique est lumineuse, faite de funk, de basses de Moog et de ses dérivés, de refrains chantés. Il y règne une forme de légèreté couplée à la lourdeur des recettes musicales démocratisées par Dr. Dre ou Above the Law les deux années précédentes. Dans ce domaine, il rivalise sans peine avec Warren G et son album Regulate… G Funk Era, qui sort un mois avant le sien. Sur Regulate, le son est synthétique, épuré, parfaitement taillé pour le son radio. Coolio, lui, s’inscrit plutôt dans la droite lignée sonore du funk des années 1980. Les rythmes sont plus rapides, les batteries moins lourdes, l’ambiance beaucoup plus dansante, les imageries gangstas souvent tournées en dérision. Il s’amuse, passe et offre du bon temps. Surtout, il mobilise sans cesse ce flow singulier, profondément old-school, bien loin des évolutions portées par les nouvelles têtes du rap east coast telles que Nas. Chez lui, le public est confortablement confronté à ce qu’il connaît du rap américain, entend cette diction lente et articulée. Et ça fonctionne : It Takes A Thief est certifié platine et atteint la huitième place du Billboard 2000. Dans un secteur concurrentiel et saturé, c’est une sacrée performance pour un premier coup d’essai solo.
Les étiquettes collent à la peau
Arrive alors Gangsta’s Paradise. Œuvre du producteur Doug Rasheed, l’instru est une reprise (et non pas un sample) de Pastime Paradise de Stevie Wonder, paru en 1976 sur l’album Songs in the Key of Life. 1995, c’est l’avènement de cette recette rap qui vise à prendre un morceau déjà connu et à se le réapproprier sans modification ou presque pour en faire une version hip-hop. Le label Bad Boy Records de Puff Daddy en a fait sa vache à lait, Coolio et le chanteur LV font de même. Avec le succès que l’on connaît. Dans une interview donnée en 2015 à l’émission de radio Sway’s Universe, le rappeur racontait sa difficulté à tenter de rester fidèle à ses racines. Il explique aussi son rapport compliqué à la cocaïne : “J’ai pris de la coke dans les années 1980, et j’ai arrêté ensuite pendant douze ans. […] Quand je suis retombé dedans, ça a duré six ans. Mais je n’ai jamais vendu ma bagnole ou je ne sais quoi pour une dose ou fait le crackhead pour un caillou, je n’ai jamais fait de merde comme ça. » Cette image de junky lui a pourtant collé à la peau, comme celle du personnage de télévision et de piètre gestionnaire de fortune bien acquise.
Si l’album My Soul sorti en 1997 se vend bien, notamment grâce au titre CU When U Get There, les chiffres ne sont en rien comparables avec ceux de ses deux premiers méfaits. Coolio ne retrouvera jamais les charts, même pas avec son album Coolio.com en 2001, pourtant de correcte facture. Dans les années 2000, il collabore encore avec de nombreux artistes réputés comme D12, mais brille plutôt sur le petit écran dans des programmes de télé-réalité douteux tels que la version allemande de Come Back, mettant en vedette d’anciennes gloires des industries culturelles, ou Celebrity Big Brother aux États-Unis. Jusqu’en 2009, il n’a jamais cessé de sortir des albums, jonglant également entre ses six enfants et ses problèmes juridiques à répétition, dignes d’une star sur le déclin. Tout de même, sa popularité ne l’a jamais lâché. Le public mainstream n’a pas cessé d’écouter Gangsta’s Paradise, comme le milieu rap n’a pas cessé de le considérer comme un rappeur important des années 1990. Il fallait seulement regarder au-delà des apparences et écouter, cette fois encore, ce flow si détaché et clair, sa marque de fabrique pour toujours.
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