La semaine dernière, Frédéric Beigbeder était mis en cause par l’écrivaine Bénédicte Martin dans une enquête sur “l’affaire PPDA” publiée dans Libération. En 2003, âgée de 24 ans et invitée par l’animateur star de TF1, Martin aurait été sexuellement agressée par celui-ci. Brutalités, clé de bras, main dans la culotte. Dans Libé, elle reprochait à l’écrivain, alors (son) éditeur à la tête de Flammarion, d’avoir pris l’histoire avec légèreté. Houellebecq, dans son bureau ce jour-là, aurait simplement commenté “rien ne change alors”. Ce qui depuis cinq ans et les débuts de MeToo s’est révélé faux : tout a changé.
Et ce que toute cette histoire vient rappeler, avec ses airs d’anachronisme, c’est à quel point le début des années 2000 était encore misogyne, y compris dans des milieux privilégiés, éduqués, soi-disant éclairés. Certains comportements pourtant inacceptables étaient alors pris à la rigolade, ou acceptés avec fatalisme – “Il est comme ça” -, ou tus. La prise de conscience inouïe qu’a engendrée MeToo consiste non seulement à désigner ces comportements comme criminels, à les débanaliser, mais aussi à montrer, en le contrant, comment le silence des femmes concernées par ces violences masculines est partie prenante d’un système perpétué contre elles.
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Et les femmes ?
Cette libération de la parole est bien sûr passée par les livres, la multiplication d’essais féministes, la mise en avant d’écrivaines. Regardez cette rentrée, à quel point ce sont elles qui s’imposent. Les femmes écrivaient-elles moins bien il y a quinze ans ? Non. Quand je me souviens de ce que j’ai vu et entendu dans le milieu éditorial il y a encore quinze ou dix ans, je mesure le chemin parcouru. Et je ne parle même pas d’agressions sexuelles. Juste d’une mentalité misogyne ordinaire, qui reléguait les femmes à des humains de seconde zone. D’une journaliste à qui je proposais de lire des romans écrits par des femmes me gratifiant d’un cinglant “Encore tes livres de bonnes femmes !”, à celle et ceux ne me parlant que de livres écrits par des hommes, à qui il fallait que je rappelle sans cesse : “Et les femmes ?”. De celles et ceux encore qui, parce que les journalistes de la rubrique livres des Inrocks étaient alors en majorité des femmes, se permettaient de m’en faire la remarque comme si j’avais sûrement un problème avec les hommes ; trouvant par ailleurs complètement normal que la majorité des articles du journal soient écrits par des mecs. Ah, le début des années 2000 : tout un poème !
Je ne listerai pas ici tout ce que j’ai entendu – de la part des hommes comme des femmes. En dévoilant les agressions sexuelles subies par une multitude de femmes, MeToo a aussi participé au dévoilement de toutes ces structures mortifères du silence, de la dénégation, de la moquerie, de la condescendance, d’un pouvoir qu’il aura rendu obsolète. Maintenant, pour revenir à l’affaire PPDA, la justice suivra-t-elle ? MeToo aura changé les mentalités, mais jusqu’où ?
Édito initialement paru dans la newsletter livres du 29 septembre
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